Polémique : destruction d’une maison à colombages dans un village alsacien, Stéphane Bern furieux

Les défenseurs du patrimoine architectural sont furieux. Une maison alsacienne du XVIIe siècle, a été détruite sur ordre du maire de Geudertheim, alors qu'elle était en bon état structurel. Pour l'association de défense du patrimoine ASMA et Stéphane Bern, c'est un acte de vandalisme.
 

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La colère de Stéphane Bern, responsable pour le gouvernement français de la Mission Patrimoine, est palpable dès les premiers mots de sa lettre au maire de Geudertheim (Bas-Rhin). "C’est avec une infinie tristesse et autant de stupéfaction et de colère que j’ai appris par les habitants de votre commune et par l’Association de sauvegarde de la maison alsacienne, l’acte de vandalisme que vous avez commis, en détruisant un joyau du patrimoine alsacien, en l’occurrence la maison Greder qui avait près de 360 ans d’existence et qui était en bon état structurel.
 
Mais comme lui, tous les défenseurs du patrimoine sont consternés. Denis Elbel, vice-président de l'ASMA, association de sauvegarde de la maison alsacienne, se sent trahi après les nombreuses démarches faites avec l'association et d'autres personnalités, notamment Frédéric Bierry, président du conseil départemental du Bas-Rhin, pour éviter que le maire ne détruise cette bâtisse, située au 81 rue du Général de Gaulle, juste en face de l'école. 
 

"J'ai rencontré le maire Pierre Gross à plusieurs reprises, je lui ai soumis les solutions permettant de ne pas détruire cette maison, mais le 13 mars, il a signé le permis de démolir." 

-Denis Elbel, vice-président de l'ASMA

 

Sur le permis de démolir : nulle trace de l'année 1662

"Le permis de démolir a été signé le 13 mars 2020, juste avant le confinement" explique Denis Elbel."Nous avons constaté que sur le permis, cette maison était datée de 1900, alors que la date de 1662 figurait sur une des poutres de la maison. Nous avons donc fait intervenir Michel Knittel, l’historien de Geudertheim. Il a fait des recherches et présenté une étude de vingt-cinq pages, dans laquelle il a apporté la preuve de l'ancienneté du bâtiment."

"Les cadastres du village stipulent bien que Niklas Wolf  a fait construire cette maison
[visible sur la carte ci-dessous; ndlr] en 1662. Comme cette étude a été réalisée pendant le confinement, on pouvait difficilement se déplacer, alors c'est un habitant du village qui a fait une demande de recours gracieux au maire. Ce dernier a répondu qu'il n'était pas question de supprimer le permis de démolir, même s'il y avait une erreur sur la date."
 
L'association a donc déposé un recours auprès du tribunal administratif le 6 mai, a adressé une lettre ouverte à Frédéric Bierry, président du conseil départemental du Bas-Rhin, le 25 mai, pour indiquer que "la maison Greder est un type de  maison rare dans ce secteur. C'était la plus ancienne du village. L'intérêt patrimonial était évident." 

"Nous avons eu son soutien ainsi que celui de nombreuses personnes comme Marc Grodwohl, fondateur de l'Écomusée d'Alsace, Jean-Jacques Schwien, président de la conservation des monuments historiques d’Alsace, de plusieurs personnalités compétentes. Christian Hahn, président du Conseil culturel d’Alsace a proposé d’être médiateur, mais tous ces courriers n’ont jamais eu de réponse du maire."


 


Le 9 juin le tribunal administratif a rejeté le  recours de l’Asma. "Il ne pouvait pas faire autrement, car le PLU, Plan local d'urbanisme, était établi par le maire et dans ce PLU , contrairement au rapport de présentation, le chapitre qui préconisait la  protection des maisons et corps de ferme anciens, a été retiré au moment du vote. Cette maison n’étant pas protégée par le PLU, le tribunal ne pouvait donc pas prendre d'autre décision. Dans ce cas la commune était  juge et partie."

"Nous avons envoyé le rapport d’expertise à Frédéric Bierry, pour lui indiquer que la maison n’était pas dans un état lamentable, comme le disait le maire, qu'elle n'était pas dangereuse et "restaurable" avec un budget raisonnable. Nous sommes allés sur place avec plusieurs personnes compétentes, dont le directeur du conseil d'architecture et d'urbanisme du Bas-Rhin , pour trouver une solution."

 

Le maire assume

Interviewé par France 3 Alsace ce lundi le 30 novembre, le maire Pierre Gross, qui a signé l'avis de démolition, assume. Il justifie le remplacement de l'ancienne maison par une structure périscolaire ("un service important") car le nombre d'élèves a augmenté, et qu'il fallait trouver de la place. "On voulait rester dans le centre du village, il y a déjà la mairie, l'atelier municipal, l'école en face... Tout est rassemblé, cela aurait été dommage de tout éparpiller."

"On a donc acheté le terrain de douze ares de cette maison alsacienne pour notre projet. Aucun de nos cabinets d'architecte consultés n'a émis le souhait de garder cette maison : pas assez de place, il fallait la surface." 
Il n'était pas contre laisser démonter et remonter ailleurs la maison pour un euro symbolique, mais selon lui, aucune offre ne lui a été faite. Et il écarte la possibilité de construire cette structure périscolaire à la sortie du village au lieu de démolir la maison, arguant que "le papa ou la maman qui vient en ville chercher les enfants à la sortie des écoles ne va pas refaire deux kilomètres pour les déposer après".

Traité de "vandale" et d'"élu qui n'écoute rien et méprise ses administrés", Pierre Gross reste droit dans ses bottes et exige des excuses de Stéphane Bern. "Il ne me connaît pas et ne sait pas exactement de quoi il parle, je pense. Lui et d'autres gens de l'extérieur qui m'envoient ces messages ne connaissent rien à l'histoire de notre ville ou de nos enfants." Il avance avoir le soutien de sa population... et la conscience tranquille.
 
 

Deux solutions auraient permis de construire l'école, sans détruire la maison

"Pour que le maire puisse construire l'école maternelle et le périscolaire, nous lui avons proposé deux solutions : il pouvait enlever la partie arrière du XIXe et ne conserver que la partie la plus ancienne de la maison, donc celle de 1622. On pouvait la transformer à moindre coût en préau pour la cour de l'école, en préservant simplement la charpente et le toit."
 

Le 10 juillet, le président du conseil départemental du Bas-Rhin a envoyé lui-même une lettre au maire, lui signifiant le soutien du département pour l'accompagner, protéger et mettre en valeur ce patrimoine culturel. La deuxième solution consistait à la déconstruire et la remonter ailleurs sur la commune. "Le maire m'avait dit être d'accord pour la faire démonter et remonter ailleurs." Après quoi, il est devenu injoignable pendant des semaines, il m’a rappelé le 30 septembre pour me dire "on a décidé de démolir". J'ai assisté à la destruction de ce patrimoine... On se sent trahi."


 

"Il nous a fait croire qu’il la démonterait pour la reconstruire, mais il l’a démontée, en la détruisant."

-Denis Elbel, vice-président de l'ASMA

  

Développer une pédagogie pour éviter ce genre de dommage irréversible

Tous les courriers envoyés à l'édile ne sauveront plus cette maison réduite en poussière, mais serviront peut-être à ce que d'autres, parmi les 880 maires d'Alsace ne commettent pas de tels actes. C'est l'espoir des membres de l'Asma qui publieront les réactions, début décembre, dans leur lettre d'information bimestrielle "S' Blättele" qui touche 3000 lecteurs. L'idée c’est d’informer les maires, les aider à trouver des solutions, car elles existent le plus souvent, sous forme de conseils, d'assistance et de financements.

 

"Une affaire emblématique de ce qui peut arriver aux vieilles bâtisses, en cas d’inculture des élus."

-Un membre de l'ASMA


Selon l'ASMA, qui compte 800 adhérents, 300 à 400 maisons à valeur patrimoniale sont rasées chaque année entre Wissembourg et la frontière suisse. Ce chiffre énorme peut surprendre, mais sur la seule commune de Geudertheim, deux autres maisons ont déjà subi le même sort depuis la maison Greder. Certains maires doivent être condamnés devant les tribunaux pour comprendre qu'ils ne faut pas détruire les joyaux patrimoniaux. D'autres communes, une douzaine dans toute Alsace, sont déjà inscrites à l’ASMA, comme Lembach, Holtzheim, Willgotheim ou encore La Wantzenau.
 
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