Portrait : Karen Schickel, ethnologue, fermière-aubergiste et écrivain

Entre Laponie et route des Crêtes, rennes du grand Nord et vaches vosgiennes, articles d'anthropologie pour revues spécialisées et livres pour enfants, la vie de Karen Schickel, mère de famille, ethnologue et épouse de fermier-aubergiste, n'est pas banale. Portrait.  
 

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Six mois par an, de mai à octobre, Karen Schickel vit sur la route des Crêtes, dans la ferme-auberge du Hahnenbrunnen qu'elle tient avec son mari Gérard et sa belle-famille. Elle y travaille en cuisine et assure le service en salle. Puis, durant les mois d'hiver, la famille redescend vivre à Breitenbach, dans la vallée de Munster. Là, Karen trouve davantage le temps de s'adonner aux autres activités qui la définissent : son travail d'ethnologue, et sa passion, qui est d'écrire des histoires pour enfants.   
 

Tourte à la viande et Röijgebradelti

Les matins, au Hahnenbrunnen, Karen et Gérard Schickel se retrouvent dans la grande cuisine, à préparer les plats emblématiques du lieu : les fameuses Röijgebradelti (pommes de terre marcaires) et les tourtes à la viande. "Des tourtes Schickel, selon la recette de la grand-maman de Gérard, précise Karen. On suit la même depuis des années." Une recette gardée secrète, évidemment. L'été, quand ils sont en vacances, leurs trois enfants leur donnent un sérieux coup de main. Pétrir la viande de porc hachée assaisonnée, puis "peindre" les couvercles de pâte au jaune d'œuf, rien n'a de secret pour eux. "C'est parce qu'on aime faire la cuisine" explique Heidi, 10 ans. Son frère Robin, 8 ans, aime beaucoup "dessiner sur les tourtes avec la fourchette", en créant de jolies étoiles et des maisons. Et Nils, presque cinq ans, sait déjà préparer les Röijgebradelti dans sa propre casserole en fonte, adaptée à sa taille.

Par beau temps et les week-ends, les clients de la ferme-auberge sont nombreux, et il faut prévoir une dizaine de tourtes chaque jour. La production du fromage est assurée par le frère de Gérard, avec le lait de ses vaches, d'authentiques vosgiennes. Trois fromages à pâte cuite, tomme, marbré des chaumes et bargkas (fromage de montagne) et, bien sûr, le fameux munster… fromage préféré de Karen, "parce qu'on peut le manger tous les jours, et que tous les jours, il a un autre goût" explique-t-elle. "Le premier jour, on peut le manger sucré, et le lendemain, le déguster sous forme de Bibeleskäs (fromage blanc), avec oignons et ciboulette. On peut aussi en faire de la tarte au fromage, ou le savourer à l'apéritif, coupé en cubes assaisonnés d'huile d'olives."
 

Du côté paternel, la famille de Karen vient de Schiltigheim et de Seltz, et du côté maternel, de la vallée de Munster. De sa jeunesse passée près de Strasbourg, elle a gardé son alsacien bas-rhinois, qui lui vient spontanément. Mais elle maîtrise aussi le dialecte de la vallée de Munster, et dès son enfance, son grand-père maternelle lui a appris à apprécier les Röijgebradelti et le Sieskäs (munster très frais assaisonné de sucre, de crème et de schnaps) "sans kirsch, bien sûr, avec du miel, de la confiture ou des fruits", précise-t-elle.

Cette existence un peu "hors normes" qui est la sienne aujourd'hui, celle de fermiers-aubergistes vivant proches de leurs bêtes, vaches, poneys, lapins, et partagés entre deux lieux de vie, fait écho à celle du peuples lapon des Sâmes, éleveurs de rennes, sur lesquels elle a fait sa thèse de doctorat. "J'ai fait mes études d'anthropologie à Strasbourg, sur la relation entre la nature et les animaux chez les Sâmes en Norvège" précise-t-elle.
 

Une passion qui lui est venue… par le biais de son prénom. "Je m'appelle Karen, et là-bas, on trouve beaucoup de Karen. J'ai donc voulu comprendre comment vivent les gens dans le grand Nord, là où vivent les Karen." Elle a partagé la vie des Sâmes, qui lui ont confié combien ils trouvaient drôle de voir autant de touristes intéressés par leur mode de vie, sachant que le terme "Lapons" vient de l'allemand "Lappen" (chiffons), qui était sensé qualifier - et dénigrer - leur style vestimentaire.
 

Malgré son doctorat, Karen Schickel n'occupe pas de poste universitaire. Mais elle reste en contact avec de nombreux collègues, et met à profit les six mois d'hiver, plus calmes, dans leur maison de Breitenbach, pour continuer à écrire pour des revues scientifiques.

Durant ses études, elle a séjourné dans de nombreux pays nordiques, et pour elle, la nature représente "un besoin vital". De retour en Alsace, pour rédiger sa thèse, elle s'est installée dans les Hautes-Vosges, partant le matin avec ses cahiers dans son sac à dos, pour aller travailler "en pleine nature", près d'un lac. Et actuellement, elle contrebalance le travail très prenant de la ferme-auberge par de longues balades, qui lui permettent d'admirer l'arnica et la gentiane jaune, en pleine floraison en ce début juillet.
 

Quel qu'ait été le rythme du jour, elle se prend le temps de lire "beaucoup" et, surtout, d'écrire des histoires pour enfants. Que ce soit le soir, la nuit ou tôt le matin, qu'importe. Pour elle, "c'est vraiment un besoin vital, quotidien."
 

Cette habitude lui vient de son enfance. "Petite fille, j'aimais déjà écrire. A 6 ans, j'ai commencé à écrire des histoires pour ma sœur", raconte-t-elle. Elle a continué, pour ses propres enfants… et ne peut pas s'arrêter. Elle a "plus de 250 histoires en stock. "Parfois, ça donne des livres, et parfois, elles restent là, dans mes carnets, ou pour plus tard."  

Plusieurs de ses histoires ont été publiées, chez divers éditeurs. "Petit renne a peur de tout", "Airelle et les champignons", "Lichen et le drôle de caillou", "Le mystère du coffre à jouets"… Des histoires nourries de ses connaissances des animaux, des traditions et des mythologies du grand Nord. Car son souhait est que, par ses livres, les enfants "rêvent, et voyagent, et s'évadent."
 

L'an dernier, elle a traduit l'un de ses livres, "Petit renne a peur de tout" en alsacien – l'alsacien de la vallée de Munster, ce qui donne "Klein Renntiar hät Angscht vo àllem". "C'était un challenge" reconnaît-elle. Elle l'a fait relire par l'écrivain et conteur Gérard Leser "pour vérifier la grammaire", et  prépare déjà les traductions suivantes, ainsi qu'un "Bàbbelbüech", un imagier sur le thème des lutins, destiné au niveau des classes de maternelle. "L'alsacien, c'est ma langue" explique-t-elle simplement. "Je voulais que les enfants l'entendent, mais aussi, qu'ils la voient écrite. Et qu'on cesse de prétendre que c'est une langue qui ne s'écrit pas."
 

Certains de ses livres sont aussi édités sous forme de kamishibai – chaque illustration est imprimée sur une page séparée, avec le texte au dos, ce qui permet de raconter l'histoire à un groupe d'enfants, en positionnant les pages dans un castelet. Le prochain projet de Karen est de se lancer dans l'écriture de véritables romans pour enfants. Mais là, ce sera pour l'hiver prochain.
 
 
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