Les épisodes de sécheresse menacent le massif des Hautes-Vosges de pénurie d'eau. La commune de Bussang à la source de la Moselle a engagé d'importants travaux afin de préserver la précieuse ressource
Surnommé " le château d'eau de la Lorraine", le massif des Vosges est un des secteurs les plus arrosés de France. Il tombe en moyenne deux mètres de pluie et neige par an. A l'été 2022, des signes inquiétants ont alarmé les pouvoirs publics : la Moselle à hauteur de Remiremont (Vosges) avait l'aspect d'une rivière de cailloux. Des sources réputées permanentes se sont retrouvées à sec.
Selon Didier François, chercheur au laboratoire de géographie Loterr de l' université de Lorraine, ces phénomènes estivaux sont récurrents depuis plusieurs années : " La partie amont du bassin de la Moselle et de la Moselotte est un secteur que nous surveillons de manière plus précise. On s'est aperçu que sur cette partie, il y avait des sécheresses un peu plus sévères qu'ailleurs."
La canicule est un facteur aggravant de la sécheresse
Didier François constate que les épisodes de sécheresse sont plus précoces. Ils se déclenchent à partir du mois de juin : " Normalement, on observait les niveaux d'étiages les plus bas aux mois d'août et septembre. Aujourd'hui, cette précocité exceptionnelle est liée aux vagues de chaleur." La canicule est un facteur aggravant de la sécheresse et la succession d’étiages sévères est devenue la norme depuis 2015. Une tendance qui se poursuit. Au 1ᵉʳ mars 2023, la majorité des niveaux des nappes phréatiques en France sont en baisse comparée aux années précédentes. Le département des Vosges n'échappe pas à la règle.
La Lorraine dispose depuis 1971 d'un réseau de stations de mesure efficace. Pour les chercheurs du laboratoire Loterr, 2022 a connu un épisode de sécheresse précoce comparable à celui de 1976. Une année restée mémorable de par l'intensité et la durée de l'épisode caniculaire qui frappa l'Europe. Plus proche de nous, l'année 2003 est devenue, pour les mêmes raisons, une année de référence pour les météorologues et les hydrogéologues de la Lorraine. On s'est aperçu que c'est un secteur qui pouvait être vulnérable.
Didier François, ingénieur de recherche au laboratoire de géographie Loterr de l’université de Lorraine.
Le secteur des Ballons des Vosges est constitué de roches granitiques et volcaniques très dures avec peu de vides à l’intérieur. La capacité de stockage des eaux est donc limitée. Il existe malgré tout des endroits avec des réserves souterraines. Elles sont dans des parties altérées qui ont été soumises à des déformations tectoniques. Il existe aussi quelques petites réserves superficielles.
Pour bien comprendre l'ampleur du phénomène de sécheresse et ses conséquences, il faut se rendre à Bussang. Perchée à 600 mètres d'altitude, au cœur du parc des Ballons des Vosges, la localité est connue pour être la source de la Moselle. Elle est aussi une commune touristique. En pleine saison, sa population de 1400 habitants augmente de 75 %.
En 2012, la municipalité commence à se préoccuper de la sécurisation de l'alimentation en eau potable. Il faut dire que ce secteur de la Haute Moselle a toujours été alimenté par de multiples ruisseaux et torrents que l'on appelle " les gouttes " en dialecte local. La prise de conscience d'une diminution de la ressource et l'augmentation de la consommation saisonnière incite la municipalité à engager de lourds travaux de rénovation de son réseau d'adduction.
Bachir Aïd, le maire de la commune explique : " le réseau d'eau potable était fuyard, il datait des années 50. Avec l'augmentation des usages, le remplissage des piscines, des spas, il a fallu anticiper." Anticiper et optimiser les captages. Sur vingt et une sources dispersées, six, les plus performantes, ont été conservées.
Bachir Aïd accompagné des deux fontainiers de la commune nous ouvre la porte du grand réservoir de Larcenaire. Nous profitons du point de vue exceptionnel pour admirer les sommets qui entourent Bussang en contrebas. Le local abrite les bassins de filtration, les canalisations, tout est neuf.
Deux millions d'euros de travaux sur dix ans
Deux kilomètres de canalisation pour acheminer l'eau des captages ont été posés, le vieux réseau en fonte distribuant l'eau chez les Bussenets, brisé par endroit et rafistolé au fil des ans est remplacé dans sa totalité, des compteurs sectoriels communicants sont installés pour détecter la moindre fuite. Coût total des travaux : deux millions d'€ financés à hauteur de 80 % par l'Agence de l'eau Rhin-Meuse.
Un investissement vertueux qui n'autorise cependant aucun gaspillage, car le temps de l'eau en abondance et pas chère est révolu. Didier Cunat est responsable de l'exploitation et de la maintenance du réseau de distribution d'eau potable de la commune avertit : " la consommation journalière et de 350 m³ par jour. L'été, nous montons à 450 m³. Le réservoir de Larcenaire est juste à l'équilibre."
Les spas très gourmands en eau sont-ils vraiment indispensables ?
Pour le maire, il ne faut pas que les efforts consentis d'un côté soient anéantis par les gaspillages inconsidérés. Il n'est plus possible de faire l'économie d'une réflexion globale sur les usages de l'eau. Ainsi, les piscines et les spas très gourmands en eau sont-ils vraiment indispensables ? Il n'est pas le seul élu à poser la question. C'est aussi cette voie que souhaite promouvoir Dominique Peduzzi.
Le président de la Communauté de communes des Ballons des Hautes-Vosges fait ce constat : " Météo France montre qu'il tombe la même quantité annuelle de précipitations, mais au lieu de s'étaler sur 270 jours comme avant, les jours de pluie ont diminué d'un tiers." Et cela a son importance, car la nature géologique du massif a besoin pour une bonne recharge des réserves de pluies régulières tout au long de l'année ainsi qu'un bon enneigement en hiver.
Un tiers de l'eau dont nous avons besoin dépend de la neige.
Dominique Peduzzi, président de la Communauté de communes des Ballons des Hautes-Vosges
Pour Dominique Peduzzi un signe ne trompe pas : l'état des sources. Elles alimentent depuis toujours les habitations isolées sans jamais faillir, sauf ces dernières années : " les fermes qui avaient deux mois de coupure en été, aujourd'hui, elles en ont presque quatre, cinq ou six. Je vois début avril des gens qui me disent : j'ai plus d'eau à ma source, elle était pourtant réputée increvable."
A l'échelle de sa commune, Dominique Peduzzi fait installer des pièges à eau dans les secteurs pentus. Le principe d'une subvention a aussi été voté en conseil municipal afin que les foyers où c'est possible, cessent de pomper dans les sources naturelles et se raccordent au réseau d'eau potable de la commune.
Les petits ruisseaux font les grandes rivières
" Il ne faut pas qu'on attende que ça nous tombe sur le coin du nez ! " C'est le message que souhaite faire passer Dominique Peduzzi à l'échelle de la Communauté de communes qu'il préside. Car si le salut passe par les subventions octroyées par l'Agence de l'eau Rhin-Meuse pour financer les travaux de modernisation des réseaux, il passe aussi par une prise de conscience générale de la fragilité de la ressource par les différents acteurs et usagers de l'eau.
En avril 2022, il a convié, avec l'Agence de l'eau et les services de l'État, les agriculteurs, forestiers, industriels, associations et gestionnaires de l'eau à un Atelier des Territoires. Il y a urgence à trouver des solutions ou du moins à anticiper les problèmes à venir. Des problèmes qui surviendront à cause de l'effet ciseaux : une ressource en eau qui diminue et une fréquentation touristique en hausse.
Avec un printemps bien arrosé, on devrait passer l'été sans problème
Si les épisodes de sécheresse deviennent la norme, Didier François ne se veut pas alarmiste pour autant : " On constate une recharge des nappes, mais moins importante que ce qu'on peut observer en moyenne sur des périodes de 30 ans. Cette année le mois de mars a été assez pluvieux. Il y a une reconstitution des réserves. Pas à la hauteur de ce qu'on a habituellement, mais il y a quand même une recharge." Puis de faire observer que l'on parle beaucoup de la sécheresse de 2022 alors qu'en 2021, il y a eu des excès d'eau toute l'année.
Quant aux prévisions pour l'été à venir ?
La santé du "château d'eau de la Lorraine" inquiète aussi toute la partie aval du bassin versant de la Moselle. Il alimente en eau potable Épinal, l'agglomération nancéienne, messine et refroidit aussi les quatre réacteurs de la centrale nucléaire de Cattenom (Moselle). Le chercheur reste prudent. Si Météo France prévoit un été 2023 plus chaud que d'habitude, en ce qui concerne les précipitations, c'est beaucoup plus compliqué à prévoir. Il n'y a pas de tendance claire pour le moment. Mais la situation est suffisamment préoccupante pour donner lieu à un colloque organisé par le laboratoire Loterr dans le cadre du 40ᵉ anniversaire des grandes crues de 1983 et du 20ᵉ anniversaire de la sécheresse de 2003. Il se déroulera à Metz (Moselle) le 4 mai prochain.