EPISODE 1 - C'était il y a 80 ans. L'armée allemande, toute puissante, s'apprêtait à lancer son offensive-éclair dans le nord de la France. France 3 Nord Pas-de-Calais vous raconte, au jour le jour, cet épisode tragique de notre histoire, à partir de témoignages de ceux qui l'ont vécu.
Depuis le 3 septembre 1939 et la déclaration de guerre du Royaume-Uni et de la France au Reich, les armées se sont observées de part et d’autre des frontières.
La Pologne a été écrasée par l’Allemagne et l’URSS. Britanniques et Français sont venus aider les Norvégiens et se battent contre les troupes allemandes en Norvège du côté de Narvik notamment.
Extrait de "Divide and Conquer" de Frank Capra
L’armée française a lancé une timide offensive en Allemagne du côté de la Sarre grignotant quelques kilomètres de Reich sans chercher à aller plus loin. Mais cette guerre est tellement étrange et calme que l’histoire s’en rappellera comme de la "Drôle de Guerre".
Pourtant en ce début mai, les Européens pressentent que cela va changer. Des opposants au régime nazi ont laissé fuiter des informations. Les Pays-Bas sont neutres mais depuis le 5 mai, l’armée néerlandaise est en état d’alerte. Il faut dire qu’Hitler a déjà attaqué, sans déclaration de guerre, le Danemark et la Norvège, deux pays neutres également.
En France, Marc Bloch est à Valenciennes. Son état-major est installé dans un lycée de jeunes filles. Historien, il a été sergent d’infanterie en 14/18. Père de 6 enfants, il reprend malgré tout l’uniforme en 39, il est capitaine. Il s’attend à partir en Belgique dès le début de l’offensive allemande car le haut commandement français et alliés s’attend à une attaque allemande en Belgique et aux Pays-Bas.
Comme ces pays sont neutres, l’armée française ne peut y pénétrer avant le début de l’offensive du Reich. Le plan est de se précipiter, dès le début de l’attaque allemande jusqu’à Liège en Belgique et Breda aux Pays-Bas pour constituer un long front uni avec les armées britanniques, belges et néerlandaises.
Pour cela l’armée française a massé ses meilleures troupes, les plus modernes et mobiles, dans le Nord, surtout à Maubeuge et Valenciennes, laissant la garde du reste du territoire à des unités moins performantes et à la Ligne Maginot dans l’est.
La Ligne Maginot est une ligne de fortifications qui s’étend de la Suisse à Bray-Dunes dans le Nord. Dans l’est de la France, face à l’Allemagne, les forts sont impressionnants, véritables casernes souterraines ultra modernes, équipés d’armements puissants et de défenses anti-char.
De Sedan à Bray-Dunes, la Ligne Maginot se résume à des casemates de béton voire à de petits bunkers pouvant tout juste servir d’abri à un canon et quelques hommes. Un bel exemple de cette ligne Maginot version "allégée" est encore visible sur les flancs du Mont Noir, le long de la frontière belge.
Pour avoir le temps de s’organiser face à l’attaque allemande, les alliés comptent, comme en 14/18, sur les fortifications belges, construites autour de Liège, notamment le fort d’Eben-Emael considéré comme la plus puissante forteresse d’Europe et qui doit contenir l’armée allemande 4 ou 5 jours.
Les Alliés sont sûrs de leur plan. La Ligne Maginot empêchera les Allemands d’attaquer l’est de la France, les meilleurs troupes françaises et britanniques sont sur la frontière belge, prêtes à s’avancer au-devant de l’envahisseur pour le bloquer loin du territoire français.
Il y a un point faible dans ce dispositif, les Ardennes, mais l’Etat major français est sûr qu’une armée moderne ne peut traverser rapidement ce massif forestier.
Ce plan est détaillé dans le film de Frank Capra "Divide and Conquer" en 1943. Le cinéaste américain y explique les raisons de la défaite française de 1940 dans un film financé par le gouvernement des USA à des fins de propagande.
Extrait de "Divide and Conquer" de Frank Capra.
L’attaque allemande n’est pas une surprise : Karl-Heinz Frieser, historien militaire allemand, rapporte dans son analyse de la Guerre-éclair que dès le 22 mars les services secrets français notaient que des agents allemands faisaient preuve "d’un intérêt surprenant pour le massif boisé (des Ardennes)" et qu’ils effectuaient "des reconnaissances très poussées sur les routes qui menaient de Sedan à Abbeville".
Le 1er mai 1940, l’attaché militaire français à Berne en Suisse fait savoir au commandement de l’armée française que "l’armée allemande attaquera entre le 8 et 10 mai sur l’ensemble du front, y compris la ligne Maginot. Effort principal : Sedan". Même le Pape avait fait prévenir Paris. Le 6 mai, son substitut, le futur Pape Paul VI, fait savoir à l’ambassadeur de France à Rome que "les Allemands vont attaquer cette semaine".
Les généraux français Gamelin et Georges n’y verront que des tentatives de diversion, d’intoxication. Eux sont convaincus que les Allemands attaqueront par le centre de la Belgique comme en 1914 et que les Ardennes ne peuvent être traversées par de grandes unités de chars. Et pourtant…
Conscients que l’armée allemande ne pourra tenir bien longtemps face aux armées alliées, Hitler et son Etat-major ont imaginé un plan d’attaque risqué, misant sur la vitesse et le choc psychologique d’une attaque concentrée sur le point faible de l’ennemi en combinant l’aviation, les blindés et les chars. Ils savent qu’ils n’ont que quelques jours pour emporter une victoire décisive dans les Ardennes.
L’Etat-major allié s’attend à fixer l’attaque allemande en Belgique, loin des territoires du Nord de la France et des côtes anglaises, pour contraindre les Allemands à une guerre défensive d’usure comme en 14/18.
Dans la soirée du 9 mai, Hitler quitte Berlin
Ce 9 mai 1940, dans la soirée, comme l’écrit l’historien Philippe Masson, Hitler quitte Berlin à bord de son train spécial Amerika à destination d’Hambourg. Tout laisse croire qu’il part en tournée d’inspection en Norvège où les combats faisaient rage.
Mais peu après minuit, le train change de direction à Hanovre et part vers le sud. Il arrivera vers 5 heures du matin non loin de la frontière belge, près d’Aix-la-Chapelle. Hitler déclare à son entourage : "Messieurs, l’offensive contre les puissances occidentales vient de commencer". Au même moment, l’aviation allemande bombarde les aérodromes, des Pays-Bas à Clermont-Ferrand, ainsi que les carrefours et nœuds ferroviaires en Belgique, dans le nord et l’est de la France.
Jérémy Brunet, soldat français originaire de Buysscheure, est à la frontière allemande avec son régiment de Dragons. Il fait partie d’une compagnie d’éclaireurs à cheval, armé d’un sabre et d’un fusil moderne dont il est fier, un modèle 36. Ce 9 mai, il patrouille devant la Ligne Maginot non loin des frontières allemande et luxembourgeoise. Pour lui la "Drôle de guerre" est terminée.
A partir de cette soirée du 9 mai, 3 millions d’hommes allaient s’affronter du nord des Pays-Bas aux Ardennes.
► La suite de notre série demain avec la journée du 10 mai 1940.