Neuf passeurs ont écopé de dix mois à six ans de prison ferme à l'issue d'un procès mardi à Boulogne-sur-Mer qui a permis de jeter un éclairage sur les pratiques de ce type de réseaux auprès des migrants de Calais.
Les huit Egyptiens et le Tunisien jugés, qui proposaient aux migrants de les faire entrer clandestinement en Angleterre, se sont également vus infliger des sanctions d'interdiction du territoire français (ITF), sauf pour l'un d'entre eux qui a un enfant en France.
Les juges du tribunal correctionnel ont globalement suivi les réquisitions du procureur de la République qui avait demandé "d'adresser un message aux réseaux d'immigration clandestine pour qu'ils ne continuent pas impunément de gagner énormément d'argent sur la détresse des migrants".
Il avait fallu près de huit mois d'enquête (écoutes téléphoniques, filatures...) entre avril et décembre 2013 pour démanteler ce réseau. Le tribunal correctionnel s'est penché des heures durant sur les us et coutumes de ce milieu opaque, où les rôles et les identités de chacun sont tus.
Arrivés à Calais après un long périple, les migrants sont approchés par ces passeurs qui sont en rapport, eux, avec la tête du réseau en Angleterre.
Deux options s'offrent aux clandestins : "un passage classique (caché dans un camion, ndlr), dont les tarifs vont de 400 euros à 1.000 euros, ou alors un passage garanti, principalement dans le coffre d'une voiture, avec un tiers complice, qui peut coûter jusqu'à 5.000 euros", a expliqué Me Stéphane Duchateau, un des avocats des prévenus.
Certains des présumés passeurs sont accusés d'avoir donné rendez-vous aux migrants au "Carré de Calais", une zone où se trouvent de nombreux poids-lourds en partance pour l'Angleterre, et de les avoir fait monter dans des camions, parfois frigorifiques. Il arrivait que ces passeurs fassent "monter" une
douzaine de migrants d'un coup dans une remorque.
A l'audience, il est apparu également que les passeurs pouvaient effectuer d'importants virements bancaires, parfois de l'ordre de 10.000 euros. "Les enquêteurs ont intercepté un appel où vous avertissez votre mère de l'envoi d'une importante somme d'argent pour l'achat d'un appartement en Egypte", questionne le président du jury. Après la traduction en arabe, le prévenu concerné est resté muet.
"Guerre de territoire"
Certains prévenus paradaient sur les réseaux sociaux avec l'argent du trafic. "Vous êtes beaux sur Facebook avec vos liasses de billets dans les mains", leur lance le président du tribunal, Maurice Marlière.
"Comme en matière de stupéfiants, on sait que ce sont souvent les petites et moyennes mains qui sont arrêtées - même si elles gagnent beaucoup d'argent- et qu'il est difficile de trouver les têtes des réseaux", a souligné Me Thierry Normand, défenseur de l'un des passeurs.
Les enquêteurs ont découvert que les prévenus, dont certains ont fait passer plus de 200 clandestins outre Manche, détenaient des armes (machettes, fusil à pompe...) en raison d'une "guerre du territoire" avec un réseau kurde concurrent.
Le phénomène des passeurs prolifère à Calais, en raison de l'afflux de migrants, dont le nombre dans le Calaisis est passé de 350 fin 2013 à entre 2.200 et 2.500, selon le dernier décompte de la préfecture.