Une instruction aléatoire, des souvenirs douloureux mais flous d'enfants violés, le cauchemar renouvelé d'un "acquitté"... La cour a replongé à Rennes dans les affres de l'affaire d'Outreau avec le procès de Daniel Legrand pour des viols sur enfants qu'il aurait commis quand il était mineur.
Une plongée que risque d'accentuer, en deuxième semaine, mardi et mercredi, le témoignage des principaux auteurs des viols sur les enfants Delay, leurs parents Thierry Delay et Myriam Badaoui. Trois jeunes hommes brisés - l'un accusé de viols pédophiles pour la 3e fois, Daniel Legrand, et deux enfants violés devenus grands, Chérif et Jonathan Delay - aux parcours chaotiques similaires, ont mis leurs souffrances face à face, à quelques jours d'intervalle, lors de la première semaine d'audience de ce procès d'assises qui en compte trois.
Séjours en internement psychiatrique, petits délits, condamnations... Même s'il en veut aux fils Delay qui, sans l'avoir reconnu lors des deux premiers procès, soutiennent aujourd'hui à la barre "qu'il était là" et a participé à certains sévices sexuels dont ils ont été victimes, Daniel Legrand, 33 ans, les écoute attentivement raconter leurs parcours, si proches du sien. Le traitement médicamenteux psychiatrique lourd, la prison, c'est également le
sort de Chérif Delay, 25 ans, venu crier jeudi sa souffrance mais aussi l'enfer qu'est sa vie, depuis un terrible Noël, synonyme de premiers viols, à l'âge de 5 ans.
De l'homme si semblable à lui qui l'observe depuis le box des accusés, Chérif dit qu'il a été un de ses agresseurs, une fois, mais aussi qu'il a été victime,
violé comme lui par son beau-père alors qu'il était mineur.
Sables mouvants
Mais si Daniel Legrand, et son père homonyme, acquitté également et décédé en 2012, prennent pour la première fois place dans les scènes d'horreur que décrit Chérif Delay, d'autres personnes, qu'il accusait il y a 15 ans, en ont disparu. La veille, son petit frère Jonathan Delay, 20 ans, s'est d'abord déclaré "victime de l'affaire Outreau". Et selon lui, Daniel Legrand, a "été là", quand il était agressé. "Je le vois chez mes parents", s'est-il contenté d'affirmer. Sans précisions.Seuls éléments tangibles, massifs, chez Jonathan comme Chérif, les souffrances, issues autant des viols subis que de leur profond sentiment d'injustice. Ils vivent le "fiasco judiciaire" d'Outreau, l'acquittement de 13 des 17 accusés, comme une insulte. Les lourdes condamnations de leurs principaux tortionnaires, leurs parents Thierry Delay et Myriam Badaoui et un couple de voisins qui ont aussi avoué, ont été balayées dans leur esprit par la violence qu'ils ont ressentie lors des procès. "On m'a demandé de répondre à un certain nombre de questions... S'en est suivi deux procès où +ils+ sont quasiment tous sortis et acquittés", résume Jonathan. Mais leurs témoignages, comme sur des sables mouvants, ne sont ni renforcés, ni démentis, par l'instruction aléatoire menée initialement par le juge Fabrice Burgaud.
Fabrice Burgaud n'a pas de regrets
Un "Dany Legrand" agresseur apparaît d'abord sur une liste, écrite par une assistante familiale chez qui avait été placé Dimitri, un autre frère Delay. Puis, dans la bouche de Myriam Badaoui, il devient un "patron de sex shop" en Belgique. Pourtant, soulignera le président de la cour en interrogeant l'ancien juge d'instruction Fabrice Burgaud vendredi, Daniel et son père ne sont "ni +Dany+, ni belges, ni patrons de sex-shop..."Mais malgré le feu roulant de questions sur les failles dans son instruction, Fabrice Burgaud n'a concédé aucun regret. L'audience reprend mardi avec l'audition de Dimitri Delay, partie civile lui aussi, avant que Thierry Delay ne soit entendu dans l'après-midi en visioconférence depuis la prison dans laquelle il purge sa peine de 20 ans d'incarcération pour avoir violé ses enfants.
Le lendemain c'est leur mère, Myriam Badaoui, dont les déclarations changeantes ont autant contribué à l'édification de l'instruction d'Outreau
qu'à son effondrement, qui doit venir témoigner en personne. Ayant purgé les deux tiers des 15 ans d'incarcération auxquels elle avait été condamnée, elle est libre depuis 2011.