Quelques jours, parfois quelques heures à peine après une mort violente, les appels à une "marche blanche" sont relayés par les réseaux sociaux, faisant de ces défilés dans les rues, avec ou sans les proches, "une nouvelle modalité du deuil" en France, selon les chercheurs.
"Il y a effectivement une multiplication des marches blanches, avant c'était très marginal, maintenant ça devient un réflexe quasiment à chaque enfant mort", note Carole Damiani, psychologue et directrice de Paris aide aux victimes. "La marche blanche a une fonction de canaliser ce qui pourrait s'exprimer de façon plus violente. C'est devenu un rituel alors qu'autrefois ils étaient plutôt religieux", ajoute-t-elle.
Pourtant, la première marche blanche de l'histoire a eu lieu non pas en France, mais en Belgique, à l'occasion du séisme provoqué par l'affaire Dutroux, en 1996. "Une maman d'une victime, interviewée par un journaliste, dit qu'elle voudrait une marche, et non une manifestation, car l'idée est d'en faire une balade en famille le dimanche afin que les enfants puissent y participer", explique Laurie Boussaguet, professeur en Sciences-politique à l'université de Rouen et auteur d'une thèse sur le sujet.
Les parents des victimes demandent aux "marcheurs" de venir en blanc pour qu'il n'y ait pas de couleur politique, le blanc symbolisant à la fois l'enfance, l'innocence et la virginité. La marche fut le plus grand rassemblement d'après-guerre en Belgique. "Cette marche, qui se voulait apolitique, était en réalité profondément politique. Elle dénonçait le fonctionnement du système judiciaire et politique belge", explique-t-elle.
Les marches blanches, qui se multiplient depuis une quinzaine d'années en France avec des participants portant dans une ambiance lourde roses blanches et tee-shirts illustrés d'une photo de la victime, n'ont plus cette dimension politique. En revanche, elles véhiculent "cette même idée de communion autour des victimes et ce besoin d'être ensemble pour faire face à l'effroyable", selon Mme Boussaguet.
Exposition médiatique
Le père d'Aurélie Châtelain était présent à la marche blanche organisée par la mairie de Caudry (Nord) en mai après le meurtre de sa fille à Villejuif par un jihadiste. "Ça m'a fait chaud au coeur de voir les gens se rassembler pour ma fille et ça a peut-être permis aux gens de se rapprocher, mais pour moi ce n'était pas évident. C'était même dur", explique-t-il. Dans la majorité des cas, la famille ou les proches de la victime ne sont pas les instigateurs du défilé. Quelques jours après le drame, parfois avant même l'enterrement, ils doivent subir l'exposition médiatique avec des caméras et des flashs d'appareil photo filmant leur douleur.Il peut exister aussi des cas où est organisée une "double" marche blanche. Ainsi à Calais, la petite Chloé, neuf ans, a été violée puis étranglée un mercredi. Dès le jeudi, la municipalité organisait une marche blanche, attirant 5.000 personnes, avant qu'une autre ne soit organisée le samedi, à l'initiative commerçants du quartier et de son club de danse, avec 2.500 personnes, suivant pratiquement le même itinéraire.
"On est dans des formes d'action qui se caractérisent par leur instantanéité", analyse l'historienne Danielle Tartakowsky, spécialiste des manifestations.
"La marche blanche est une modalité du deuil qui n'est pas celle qui a pu s'organiser dans d'autres temps où les morts pouvaient avoir un sens politique", ajoute-t-elle.
Excès commémoratif ?
"Localement, c'est une manière de marquer l'événement et de permettre un retour à un ordre normal des choses après que quelque chose ait été fait", dit-elle, comme à Calais, où des fleurs et des poèmes ont été déposés sur l'aire de jeux où la petite Chloé a été enlevée. Pour Fabien Thiémé, maire de Marly (FG), où une marche blanche a eu lieu jeudi en souvenir d'une jeune femme tuée par balles en marge d'un mariage, ces défilés font échos aux élans de solidarité d'antan."Avant, il n'y avait pas de défilé mais quand un mineur décédait, tout le quartier se relayait pour être auprès de la famille dans la maison du mineur et une collecte était organisée", dit-il, soulignant que la marche permet d'aider financièrement la famille avec des urnes dans le défilé. Mais certains pointent également un excès commémoratif. Ainsi à Lille, mi-mars, une marche blanche a été organisée après un décès causé par un accident de la circulation.
"Si c'est utilisé à tire-larigot, ça n'a plus de sens. J'ai été amenée à rencontrer des familles pour lesquelles le thème de la mort n'était pas suffisamment fédérateur", avec peu de personnes présentes lors de la marche blanche, explique Mme Damiani. "Ces événements confidentiels peuvent être désespérants pour les familles des victimes", prévient-elle.