Au début des années 50, les habitants de la commune rurale de Nogentel, près de Château-Thierry, s'étaient cotisés pour acquérir un téléviseur et profiter ensemble des joies, alors onéreuses, du petit écran. Retour sur cette histoire, à l'occasion des 70 ans du JT.
Jeudi 13 juin, en partenariat avec l'INA, France 2 proposera en prime time une soirée événement pour fêter les 70 ans du premier journal télévisé. Un anniversaire que la chaîne a déjà commencé à célébrer, à travers notamment son feuilleton du journal de 13h cette semaine, qui évoque une passionante histoire picarde.
Au milieu du quatrième épisode (visible ci-dessous) : un reportage tourné par la télévision publique au début des années 50. Il raconte comment un village de l'Aisne, Nogentel, fut la première commune rurale à s'équiper d'une antenne et d'un poste de télévision collectif, via ce que l'on appellerait aujourd'hui un "financement participatif".
"Mais enfin, aucune image ne passe dans un fil ?!"
Lors de la diffusion du premier JT en 1949, seulement 297 foyers possèdent un téléviseur. Pendant plusieurs années, il n'existe que deux émetteurs, à Paris et à Lille, si bien que seuls les Franciliens et les Nordistes peuvent espérer capter la télévision. De plus, dans ce péripètre géographique, très peu ont les moyens de s'équiper : un poste coûte 110 000 francs, l'équivalent de 6 à 8 mois de salaires.
À Nogentel, "un village dont le Larousse ne parle pas" (dixit un journaliste de l'époque), la plupart des quelques 500 habitants ne savent même pas que la télévision existe (beaucoup n'ont déjà pas de radio). "On en avait entendu parler", assure aujourd'hui Carmélo Gonzalez, 14 ans à l'époque. "Mais on ne savait pas comment on pouvait recevoir des images, comme ça, dans un poste. Il y a des fils, mais enfin... aucune image ne passe dans un fil ?!"
Les habitants finiront par comprendre, ou tout du moins à accepter et profiter. Ce bonheur, ils le doivent à deux hommes : Alfred Beaufort - l'instituteur visionnaire du village - et Roger Louis - professeur à Château-Thierry, futur grand reporter de 5 colonnes à la une -. En 1951, ils créeront le premier télé-club de France, à Nogentel.
Une démonstration pour convaincre
Il fallait d'abord convaincre la population de l'intérêt de ce coûteux investissement. Alors ils trouvent des partenaires pour organiser une démonstration gratuite. Une antenne de 17 mètres est installée près du monument aux morts.
"On était tous dehors en train de regarder ce qu'il se passait", se souvient Carmélo Gonzalez. Une curiosité dont s'amuse le reporter, dans le sujet réalisé à l'époque : "Lorsqu’un beau jour, les habitants de Nogentel virent (ce) matériel barbare, ils se demandèrent à quoi pouvait bien servir cette espèce de perchoir aux pigeons".
Un téléviseur - transformé pour obtenir un écran de 120 cm - est placé dans la salle de classe, ainsi qu'un ampli dans le grenier. Tous les habitants sont conviés... et émerveillés.
Désormais, la population est invitée à contribuer pour acheter le téléviseur et péréniser ce nouveau loisir. Le site de la mairie de Nogentel précise que des actions de 500 francs sont émises et "deux thermomètres" sont installés dans le village pour indiquer, chaque jour, le niveau de la collecte.
Opération réussie : les 110 000 francs auraient été atteints en 8 jours. Le téléviseur peut donc rester dans la salle de classe. Chaque soir ou presque, après le repas, des projections d'émissions seront organisées. Alfred Beaufort utilisera aussi la télévision comme outil pédagogique pour éduquer ses élèves.
Divertissement vs. Education
L'INA rappelle qu'"après Paris, la région du Nord est la première à pouvoir capter la télévision, dès 1949", profitant de l'émetteur installé à Lille. Les mineurs sont ainsi les premiers Français non-citadins à acquérir un poste, malgré l'investissement financier nécessaire. Objectif pour eux : se divertir, en regardant du sport, des films et de la variété.
Dans un tout autre genre, chaque projection à Nogentel est suivie d'un débat. Les télé-clubs ont pour objectif de former de "bons" téléspectateurs, informés, sélecteurs, actifs. C'est dans cet esprit que l'expérience de Nogentel sera reproduite dans plusieurs communes de France, avec le soutien de l'Unesco et du mouvement pour l'Education populaire. On parlera de "télévision collective rurale".
Si vous souhaitez en savoir plus sur les débuts de la télévision, nous vous conseillons de revoir ce reportage réalisé en 2014 par le magazine 13h15 le dimanche, où la petite "célébrité" de Nogentel était déjà évoquée.