Le 16 juin 1972, 108 personnes sont mortes dans l'effondrement du tunnel ferroviaire de Vierzy dans l'Aisne. Une catastrophe qui a poussé la SNCF à remettre en état une centaine de tunnels du réseau et à la médecine de catastrophe, alors balbutiante, à se structurer.
"À deux heures du matin, nous sommes entrés dans le tunnel sombre avec une lampe de poche. On s'est demandé comment agir, comment réaliser les mêmes techniques de soin que dans des conditions normales. Je suis resté 36 heures sur le terrain."
Ce 16 juin 1972, le docteur René Noto, n'est pas encore médecin général au service de santé des Armées et spécialiste français de la médecine de catastrophe. À 38 ans, il exerce au sein de la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris depuis six ans, où il a mis en service la première ambulance de réanimation.
Les bases de la médecine de catastrophe posées à Vierzy
"On avait connu quelques effondrements d'immeubles, où nous avions travaillé dans des conditions similaires. Mais nous traitions toujours un nombre de victimes limité. À Vierzy, il y en avait plusieurs dizaines." Plus de deux cents usagers et personnels de la SNCF.
Quelques heures plus tôt, deux autorails, qui devaient se croiser, sont entrés en collision avec les débris de l'éboulement de la voûte du tunnel, situé sur la ligne Laon-Paris, causant la mort de 108 personnes. Le traitement individuel est dès lors impossible. "Nous avons dû traiter les victimes successivement, par triage", explique René Noto. Le triage, alors spécifique à la médecine de guerre, va devenir un des principes fondamentaux de la médecine de catastrophe.
Autre contrainte, les badauds. Les gendarmes n'avaient établi aucun périmètre de sécurité. "J'avais été choqué de voir les gens s'agglutiner pour voir le spectacle. Après ça, j'ai introduit dans mon vocabulaire le voyeurisme de catastrophe". À la décharge des forces de l'ordre, ces protocoles évidents de nos jours ne sont pas encore entrés dans les mœurs en 1972.
On pensait que les pompiers étaient fait d'airain. C'est faux, ils sont soumis à la peur.
René Noto, fondateur de la Société française de médecine de catastrophe
Bien que le plan Orsec (organisation des secours), créé en 1952, demande la mise en place d'une zone interdite au public, il n'avait été appliqué qu'une seule fois, en 1959, après la rupture du barrage de Malpasset. "On avait oublié les risques de la guerre. On était très content de soi. On avait un plan Orsec, mais voilà, on ne s'entrainait pas", rappelle, fataliste, René Noto. En décembre 1983 auront lieu dans la région de Belfort, Vosges 83, les premières manœuvres conçues par la direction de la sécurité civile simulant un tremblement de terre.
Sous le tunnel, le travail des secouristes s'opère sous la menace de l'effondrement. Un risque inhabituel que le docteur Noto qualifiera plus tard d'"évolutif" : "les agents de la SNCF nous disaient de nous dépêcher. Si ça pète, la victime meurt et nous aussi". Le stress, d'ailleurs, n'épargne pas les sauveteurs. À Vierzy, certains craquent : "à l'époque, on pensait que les pompiers étaient fait d'airain. C'est faux, ils sont soumis à la peur, à l'inquiétude", confirme René Noto.
Création des cellules d'urgence médico-psychologiques et d'une spécialité médicale
Après ce drame et d'autres catastrophes, comme l'attentat du 25 juillet 1995 à la station RER Saint-Michel à Paris, cette prise de conscience permettra la création des cellules d'urgence médico-psychologiques (CUMP). Dès lors, victimes et sauveteurs sont pris en charge par des médecins psychiatres, des psychologues et des infirmiers préalablement formés et intégrés aux unités d’aide médicale urgente.
L'expérience de Vierzy nourrira dans les années suivantes la réflexion du Dr Noto et des professeurs Pierre Huguenard et Jean-Pierre Thomas, qui aboutira en 1981 à la mise en place du premier enseignement à la médecine de catastrophe à l'université de Paris XII. Douze universités délivrent désormais un diplôme en médecine de catastrophe, dont Lille et Amiens.
En 1983, René Noto fondera la Société française de médecine de catastrophe qui continue de promouvoir cette spécialité.
Le contrôleur des ouvrages d'art de la SNCF condamné
Le tunnel de Vierzy avait été construit avec des matériaux médiocres en 1862 et fragilisé par des explosions durant les guerres de 1870 et les deux Guerres mondiales. Mais l'enquête a établi que l'effondrement de la voûte était lié aux travaux de reprise réalisés quelques mois plus tôt, comme le confirmait Yves Guéna, ministre des Transports à l'Assemblée nationale le 2 mai 1973 : "La commission d'enquête conclut que la cause dernière de la rupture de la voûte parait bien être le dégarnissage des briques sur une grande longueur".
En février 1977, la cour d'appel d'Amiens a condamné le contrôleur des ouvrages d'art de la SNCF à huit mois d'emprisonnement avec sursis pour homicides et blessures involontaires.
Dix ans pour rénover tous les tunnels ferroviaires
Parallèlement au volet judiciaire, l'entreprise a lancé un plan de contrôle des tunnels du réseau. "Avant les contrôles étaient plutôt visuels. Mais en raison des techniques anciennes de construction, des vides se constituaient parfois entre les planches et la maçonnerie. Et on ne pouvait pas les voir", révèle Denis Rolland, président de la Société historique de Soissons. Après Vierzy, "l'auscultation était détaillée avec des endoscopes".
Denis Rolland connaît bien le sujet. En 1979, il était ingénieur de travaux publics et travaillait justement à la remise en état de tunnels ferroviaires dans le Massif central : "il y en avait une demi-douzaine à rénover. Quand on parlait aux techniciens de la SNCF, on sentait bien que l'ombre de Vierzy était dans tous les esprits".
La remise en état des tunnels a duré dix ans. À Vierzy, "ils ont réalisé un chemisage par couche de béton de 60 cm pour renforcer la voûte, pour qu'elle ne s'effondre pas", explique Boris Deshayes. Cet agent d'exploitation du métro parisien et passionné de trains a co-écrit l'ouvrage Le tunnel ferroviaire de Vierzy, histoire de la tragédie du 16 juin 1972. Ces travaux ont réduit la largeur du tunnel et "ne permettent plus le passage à deux voies. Il n'y a maintenant qu'une seule voie et plus d'espace pour les agents techniques".
Le renouvellement d’une telle catastrophe est hautement improbable.
Rapport sénatorial sur la sécurité des tunnels routiers et ferroviaires français
Selon le rapport sénatorial sur la sécurité des tunnels routiers et ferroviaires français rédigé suite à l'incendie du tunnel du Mont-Blanc en 1999, "l’importante campagne de contrôle et de rénovation du génie civil de ce type d’ouvrages, qui a été entreprise et poursuivie depuis [le drame de Vierzy, ndlr], permet de considérer que le renouvellement d’une telle catastrophe est hautement improbable".
La catastrophe de Vierzy reste à ce jour le troisième accident le plus meurtrier de l'histoire ferroviaire française.