Témoignage. Il y a 50 ans, la catastrophe ferroviaire de Vierzy faisait 108 morts : "il nous arrive encore d’en faire des cauchemars"

Publié le Mis à jour le Écrit par Emilie Boulenger

Ils racontent tous l’indicible. La marche dans le noir, les cris, les gerbes d’étincelle des tronçonneuses des pompiers découpant la ferraille... 50 ans après, les témoins du drame de Vierzy n’ont rien oublié de ce qui reste l’une des plus grandes catastrophes de l'histoire ferroviaire française.

"Il nous arrive encore d’en faire des cauchemars", confie d’emblée Monique Collet quand on évoque le 16 juin 1972. Ce soir-là, à Vierzy, dans l’Aisne, deux autorails se percutent dans un tunnel, suite à l’effondrement de la voûte du souterrain. Le bilan est lourd : 108 morts et 111 blessés.

L’attente, la recherche des survivants, et l’enfer dans lequel sont plongés les secouristes et tous ceux qui sont venus prêter main forte bouleversent des centaines de personnes, marquées à jamais par cette catastrophe sans précédent.

Une odeur qu'on n'oublie pas

Pour Monique et Jacques - son mari - tous deux secouristes à l’époque des faits,  l’émotion est toujours aussi vive chaque année au moment des commémorations. "Des frissons, la chair de poule... Et puis, quand on voit la stèle avec tous les noms, ça retourne les tripes", racontent-ils. À l’époque, les cellules psychologiques n’existent pas. "Heureusement qu’on l’a vécu en couple, il y aurait eu de quoi devenir frappadingue..."

Cet enfer, Philippe Recton s’en souvient également comme si c’était hier. Aujourd’hui capitaine honoraire, il n’a à l’époque que 16 ans et participe avec les pompiers à la mise en place des moyens de ventilation du tunnel et au transport des blessés et des corps. "L’odeur du gazole prenait à la gorge... Sans parler de l’odeur des corps au bout de trois à quatre jours..."

Philippe Recton revoit encore ce colonel médecin de la brigade passer des tubes d’oxygène : "quand on a à peine 17 ans, ce sont des images qu’on n’oublie pas. Ça m’a suivi toute ma carrière." Pourtant choqué, le jeune pompier est au contraire conforté dans sa vocation. "Ça m’a donné la volonté de porter secours, d’aider mon prochain. (…) Vivre une chose comme ça, ça motive pour le reste de sa vie."

Une chaîne de solidarité exceptionnelle

"La solidarité, l’unité nous avaient beaucoup marqués", ajoute Monique Collet. À l’époque, les moyens de communication sont restreints. Son frère qui avait une voiture, se charge alors, de faire le tour des secouristes pour les prévenir. Le fils aîné de Monique âgé de 11 ans part sans réfléchir à 5 kilomètres de là à pied pour prévenir d’autres secours… "Ce soir-là, il y avait aussi une réunion de la société historique. 80 personnes qui ont immédiatement voulu donner leur sang."

Sans parler des personnes âgées qui réchauffent du café pour les secouristes, faute de pouvoir sortir. 50 ans après, Monique veut encore se souvenir du positif.

"Aussi cauchemardesque et aussi terrible que ça puisse être, la vie continue et on fait quelque chose de ces évènements-là chacun à son niveau", raconte Isabelle Debraye. Monteuse à France 3 Picardie, elle est aussi à l’origine du documentaire Et puis nous sortirons revoir les étoiles produit en 2016 par La Voie lactée qui raconte cette catastrophe ferroviaire par le biais de ceux qui l’ont vécue.

©France 3 Picardie

Isabelle est aussi la fille du dernier survivant extrait du train à l’époque. Il a perdu ses deux jambes dans cette catastrophe. "La vie est faite d’accidents, de deuils, d’événements terribles comme perdre ses deux jambes à 22 ans ou être secouriste et se retrouver pendant plusieurs jours dans l’enfer et y penser toute sa vie, raconte-t-elle. Mais ce qui est important, c’est ce qu’on fait de ces trucs terribles et comment on en parle des années après.

Une démarche à laquelle ont tout de suite adhéré Monique et Jacques Collet, après avoir rencontré Isabelle Debraye sur le site de l'accident. "Quand elle est venue à nous au-dessus du tunnel de Vierzy, on n’a pas dormi de la nuit, confie le couple. C’est très bien qu’elle ait voulu savoir, reconstituer ce que son papa avait vécu… Il était bloqué sous la ferraille… (…) Il a vécu autre chose que ce que nous, nous avons connu."

17 heures aux côtés du dernier survivant

Après avoir peu parlé de l’accident pendant 43 ans, le couple accepte de se confier et découvre avec émotion le résultat à l’écran. "À l’époque, on s’est dit, après 43 ans, il y a prescription, plus de devoir de réserve. On s’est dit, il faut qu’on en parle, autrement, personne ne saura."

"Au début, je pense que nous n’avons pas eu les mots, estime Philippe Recton. Et puis, c’était des gens très très jeunes, ce qui fait qu’il y a eu un certain respect par rapport à ces personnes."

Jean-François Devars du Mayne confirme. Lui non plus n’en a pas beaucoup parlé ces cinquante dernières années. "J’en ai cauchemardé pendant des semaines et puis, j’ai oublié, même si on ne peut pas oublier."

Oublier n’est effectivement pas le terme car quand il raconte ce qu’il a vécu en tant que jeune médecin interne, ses souvenirs sont très précis. "On a été appelés à la 36e heure… Quand on est arrivés sur place, on nous a annoncés que les recherches étaient terminées."

Pourtant, quelques instants après, des signes de vie sont entendus. "Ni l’infirmière, ni le médecin sur place ne se sont sentis la force de rentrer", se souvient Jean-François Devars du Mayne. L’aspirant médecin ne réfléchit pas et se lance. "C’était difficile de rentrer tellement on sentait l’ampleur de la catastrophe", raconte-t-il avant de poursuivre son récit.

"On m’a accompagné, on m’a fait monter sur un monticule de terre et de ferraille… Ils avaient creusé un trou de 50 cm de diamètre dans laquelle il y avait un bras, une main… Ils m’ont suspendu par les pieds et je suis allé serrer la main qui m’avait répondu… C’est tout ce qu’on voyait de Bernard… Il y avait un pouls, une saturation mauvaise en oxygène. J’avais essayé de le conforter par la voix en lui disant que j’allais le perfuser et suspendu par les pieds j’ai réussi à lui mettre un cathéter veineux. Il ne réagissait plus et je me disais qu’il avait un pouls mais ne devait plus être conscient…"

Commence alors une attente interminable aux côtés de Bernard Debraye, le père d’Isabelle… "Je suis resté 17h comme ça jusqu’à ce qu’on me mette de côté, me disant qu’on allait le tirer avec des cordes par les épaules", raconte l’aspirant médecin. Le dernier survivant est alors emmené en hélicoptère jusqu’au Val de Grâce. "Je ne l’ai pas revu, j’ai su qu’il avait été amputé et qu’il était vivant.

Jean-François Devars du Mayne reprend sa vie et poursuit sa vocation, jusqu’à devenir professeur de médecine. Il ne revient jamais à Vierzy mais reste marqué par cette "médecine de guerre" et par ce wagon de 40 mètres réduit à 4 mètres… Et c’est par hasard, en voulant montrer à ses petits-enfants la une de France Soir de l’époque sur laquelle il figure qu’il découvre il y a quelques semaines l’existence du documentaire de la fille de Bernard Debraye dont il avait oublié jusqu’au nom.

"Non seulement, il a survécu, mais il a vécu"

"J’étais content de pouvoir enfin montrer des images à mes enfants et mes petits-enfants, explique-t-il. Je n’avais pas eu cette vision d’ensemble. Au sortir du tunnel, quand on voit la chaîne de solidarité avec les gendarmes de part et d’autre de la voie ferrée... Comme dit une de mes filles, c’était très émouvant."

Aujourd’hui, c’est avec cette même émotion que Jean-François Devars du Mayne se prépare à retourner à Vierzy pour les commémorations de ce cinquantenaire et à rencontrer celui qui a, sans le savoir, marqué sa vie. "Je ne lui ai jamais parlé. Je pense le rencontrer jeudi s’il en est d’accord évidemment. J’ai une grande admiration pour son courage. Non seulement il a survécu, mais il a vécu."

"Oui, bien sûr, je suis content de le rencontrer, confirme pudiquement Bernard Debraye. Les remerciements éternels comme on dit."

Mais pour le rescapé, cet hommage est surtout l'occasion de se souvenir de tous ceux qui ont perdu la vie : "leur avenir a été brisé ce jour-là". "Les victimes et les sauveteurs, c'est ce qu'on peut retenir."

Une exposition et la projection du documentaire

C’est pour cette raison que le maire de Vierzy tient chaque année à organiser une cérémonie pour ne pas oublier. "Nous avons mis en place une exposition avec tout ce qu’on a pu retrouver dans les journaux de l’époque pour que la population puisse se souvenir, explique Hervé Muzart. Et le film d’Isabelle Debraye sera également diffusé."

Lui aussi a été marqué par l’accident. Ce soir-là, ses parents sont venus le chercher à Paris… Il aurait pu être dans ce train dans lequel plusieurs de ses amis ont perdu la vie. Et il le sait, "à part les anciens, beaucoup de jeunes et de nouveaux habitants ne savent même pas qu’il y a eu un accident dans le tunnel". Alors il espère que ce cinquantenaire attirera un plus large public et que l’on continuera à parler de ce qui s’est passé.

Parler… C’est aussi la philosophie du pompier Philippe Recton.  "À chaque fois qu’il y a un truc atroce, il faut se réunir, en causer… (…) Dans le feu de l’action, on ne se rend pas compte mais le soir, les années qui suivent, on revoit les images." Et Vierzy reste à jamais parmi ces images gravées.

Une catastrophe que personne n’oubliera grâce aussi à ce film. "C’était important que quelqu’un fasse un documentaire là-dessus pour qu’on puisse se rendre compte", affirme le maire.

Six ans après s’être lancée, Isabelle Debraye ne regrette rien : "au début, quand j’ai rencontré toutes ces personnes, je ne leur ai pas dit que j’étais la fille du dernier survivant. Je voulais qu’ils me parlent de la manière dont ils avaient envie d’en parler… Et c’est au fur et à mesure des rencontres avec les gens avec qui on était en confiance mutuelle que j’ai réussi à leur dire. (… ) Et quand on se mettait à discuter, je ne pensais pas que les gens pouvaient se souvenir à ce point- là."

Se souvenir de la négligence des hommes

Difficile pour Bernard Debraye de se regarder à la télévision, mais "ça va laisser une trace, confirme-t-il, évoquant toutes les archives audiovisuelles réunies dans ce documentaire. Cela va aussi permettre de retenir que cette catastrophe c'est 108 victimes décédées par la faute des hommes, la négligence…"

Les époux Collet semblent tout aussi satisfaits d'avoir contribué à enrichir la mémoire collective. "Notre rencontre avec Isabelle ? Oh là ça a été un moment très très fort…", confirme le couple. L’ancienne secouriste tient à raconter une anecdote supplémentaire : "la première fille d’Isabelle Debraye est née le jour de mon anniversaire. J’ai trouvé ça un clin d’œil formidable à la vie".  Un message d’espoir, c’est finalement le sens du documentaire et de ces célébrations malgré l’ampleur de la tragédie.

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