Ce dimanche 17 mai, Xavier Bertrand a dévoilé son ambition présidentielle en gardant son masque. Il participait aux commémorations de la bataille de Montcornet. Consigne avait été donnée aux élus d’apparaître visage nu. Le président de région a déjoué la communication de l’Elysée.
La politique est un art martial. Et une prise de judo savamment distillée peut retourner l’adversaire le plus costaud. L’affrontement n’a pas eu lieu dans un dojo mais dans le plat pays de Picardie.
Une cérémonie à l'heure du Covid-19
Dimanche 17 mai, Emmanuel Macron donnait le coup d'envoi de l’année De Gaulle, à l’occasion du 80ème anniversaire de la bataille de Montcornet. La pandémie est passée par là ; le faste républicain a cédé la place à une commémoration au public restreint : quelques journalistes et une poignée d’élus locaux, face à un petit monument construit en rase campagne. Nous avons tous été transportés sur place, équipés de masques. L’évènement est télévisé. Consigne nous est donné d’enlever ces protections au cas où nous apparaîtrions dans le champ des caméras. Les positions des élus sont marquées au sol : une distance raisonnable a été prévue entre chacun d’entre eux.
Arrive le président de la République, qui passe les troupes en revue. Après les militaires, les politiques. Le premier d’entre eux s’appelle Xavier Bertrand. Lui garde le masque, dans tous les sens du terme. Le président de région a écrit une tribune, publiée le matin-même par le Journal du Dimanche. Du travail d’orfèvre. Cette tribune est un réquisitoire contre le pouvoir en place, sans que le nom d’Emmanuel Macron apparaisse jamais. Il y est question de 1940.
"D’abord, face à la menace, l’Etat n’était pas prêt. Il n’avait pas les équipements nécessaires : les avions manquaient. Pire, les gouvernements de passage avaient menti à la population crédule, leur laissant croire que la France attendait l’ennemi de pied ferme… Lorsque que le conflit éclata, nous avons pris la mauvaise décision. Nos généraux n’avaient pas su moderniser leur stratégie. Ils ne comprenaient pas l’ennemi et étaient en retard dans les décisions." Toute ressemblance avec la manière dont notre pays lutte contre le virus serait bien sûr fortuite...
L'exemple De Gaulle
De Gaulle, ensuite. Xavier Bertrand appartient à la famille politique inspirée par le général. Et il ne voudrait pas qu’un nouveau venu capte l’héritage de manière indue. "De Gaulle nous apprend aussi en mai 1940 ce que doit être un chef. Un chef ne doit pas parler en permanence à tort et à travers Il doit mener son pays d’une main ferme sans se préoccuper de sa popularité. Il ne doit pas avoir le besoin pathologique d’être aimé." Pas un mot sur Emmanuel Macron. De l’art de la suggestion.
Cette tribune est une déclaration de guerre, le jour-même où les deux hommes se retrouvent face à face. D’ailleurs, pendant le discours du chef de l’Etat, Xavier Bertrand se tient droit, bras croisés, le visage masqué. Il incarne la posture du défi.
Et Emmanuel Macron ? Que dit-il, pendant ce temps-là ? Dans l’Aisne, lui aussi fait de la politique. Lui aussi évoque le virus, sans jamais le nommer. 1940-2020, même combat, espère le chef de l’Etat dans son discours : "Dans ce maelstrom terrible, la France ne fut pas la victime consentante de son effondrement, ni un fétu piétiné. Nos armées furent battues. Oui. Mais, elles luttèrent. (...) Il est des défaites d’un jour qui portent toutefois en elles le germe des victoires à venir."
L’indomptable De Gaulle est bien sûr l’exemple à suivre. Il incarne l’esprit français : "À des Français en proie au doute et à l’abattement, cet homme pénétré de l’amour de son pays offrit par son exemple et par sa parole (…) sa confiance inébranlable dans le destin de la France."
"L’esprit français, oui, farouchement libre et fier, déterminé et inébranlable, qui jamais ne meurt, même quand le pays est vaincu. L’esprit français qui, toujours, permet, au peuple de France de se redresser et de reprendre la grande marche de son destin. L’esprit français qui jamais ne se résout à la défaite, qui choisit la conquête et embrasse l’audace. "
Face-à-face présidentiel
Une tribune, un discours et un face-à-face, pour terminer. Le virus, pour de bon, cette fois-ci. Emmanuel Macron en chef de l’État poli : "Merci pour le travail fait."
Xavier Bertrand en défenseur de la région et de ses habitants : "Les gens ont souffert. Ils souffrent. Les gens qu’on dit toujours querelleurs, indisciplinés, ils ont été sacrément exemplaires, les Français, dans les Hauts-de-France, solidaires."
Tout cela dit d’une voix assourdie par le masque. L’ancien ministre de la Santé ajoute l’image au message. Redoutable d’efficacité. Il nous montre ainsi qu’il est responsable, face à un président non protégé, et donc symboliquement désarmé. En cachant son visage, Xavier Bertrand nous révèle son ambition.