L'histoire du dimanche - La Laonnoise Suzanne Noël, pionnière de la chirurgie esthétique et féministe engagée

Elle a réparé les "gueules cassées" durant la Grande Guerre et créé des techniques de médecine esthétique tout en menant de front son combat pour défendre les femmes. Née à Laon dans l'Aisne en 1878, Suzanne Noël s'est fait connaître à l'international pour son talent et son engagement. Portrait.

"On disait de moi que j'étais deux fois folle", disait-elle. Peut-être parce que Suzanne Noël osait mener de front les deux combats de sa vie. La chirurgie, autrefois une affaire d'hommes, et le féminisme.

Son histoire débute à Laon le 19 janvier 1878 où elle est née. Suzanne Gros, à l'époque, est issue d'une famille bourgeoise, la quatrième d'une fratrie dont les trois aînés sont décédés. Ses parents habitent sur les hauteurs de Laon, autrefois rue des casernes, baptisée aujourd'hui rue du 13 octobre 1918. À l'âge de 6 ans, elle perd son père Antoine Victor Gros, sellier de profession, et est élevée par sa mère Esther. Rien ne la prédestinait à devenir médecin. Elle possédait notamment un talent pour le dessin. "Elle était scolarisée au pensionnat des sœurs Carle, c'était un enseignement catholique pour les jeunes filles essentiellement tourné vers la couture, raconte Suzanne Desbois dont le mari était un descendant de la branche cousine de Suzanne Noël. Elle faisait notamment de la décoration sur porcelaine, elle dessinait des choses extrêmement fines."

Enfant, elle fréquente régulièrement l'église Saint-Martin située tout près de chez elle. "Ce qui est frappant c'est que sur le fronton de l'église, il y a une grande rosace qui représente Saint Martin sur son cheval tendant la moitié de son manteau à un mendiant, fait remarquer François Denoncin, fils du filleul de Suzanne Noël. Ce modèle éthique, le souci des autres, c'est quelque chose qui a imprégné Suzanne Noël. Son enfance et son éducation religieuse l'ont marquée en ce sens."

À l'âge de 19 ans, elle se marie avec un dermatologue Henry Pertat et quitte son Aisne natale pour Paris. "Ce n'est pas pour autant qu'elle oublie sa ville, souligne François Denoncin, elle allait régulièrement dans sa maison, au moins pour voir sa mère qui décédera en 1938."

Sarah Bernhardt, l'une de ses premières patientes

En 1905, encouragée par son époux, elle entame des études de médecine. Trois ans plus tard, la jeune femme est nommée externe aux hôpitaux de Paris où elle fait la connaissance un jeune externe comme elle, André Noël, qui deviendra plus tard son mari. Cette année-là, Suzanne continue son apprentissage de la chirurgie alors qu'elle est enceinte de sa fille, Jacqueline, probablement l'enfant d'André. 

En 1909, elle rejoint le service de dermatologie du célèbre professeur Brocq à l'hôpital Saint-Louis. C'est ici qu'elle effectue ses premiers actes de chirurgie esthétique, sur des volontaires. Elle passe alors le concours de l'internat où elle termine quatrième et fait la connaissance d'une certaine Sarah Bernhardt. La comédienne revient d'un voyage aux États-Unis où elle s'est fait faire un lifting, plus ou moins réussi. Suzanne va alors rattraper le coup comme on dit. Elle écrivait à ce propos : "Il lui avait été prélevé, dans le cuir chevelu, une simple bande allant d'une oreille à l'autre. Si le résultat avait été assez efficace pour le haut de la face, en atténuant les rides du front et en effaçant la patte d'oie, il n'avait en rien modifié le bas du visage. Je dois dire qu'elle fut une de mes premières clientes."

Durant la Première Guerre mondiale, la jeune chirurgienne est autorisée à pratiquer la médecine alors qu'elle n'a pas passé sa thèse. Les conditions sont précaires, mais Suzanne se donne corps et âme pour remodeler ces crânes, ces mâchoires, ces nez."Avant la guerre, elle avait déjà développé une pratique, des compétences. Mais c'est vrai que le principal savoir-faire de la chirurgie esthétique tient du conflit 14-18. Les chirurgiens ont tous progressé sur le tas. Il a fallu être inventif et trouver des solutions innovantes", indique François Denoncin. Alors que Suzanne Noël répare les "gueules cassées", son mari Henry Pertat, est lui-même au front. Il décède en 1918, victime d'un gaz de combat.

La chirurgie "un véritable bienfait social"

L'année suivante, Suzanne se remarie avec André Noël, mais sa vie prend un tournant dramatique lorsqu'elle perd sa fille en 1922, emportée par la grippe espagnole. André, qui ne se remettra jamais de ce drame, sombre dans la dépression et se suicide deux ans plus tard en se jetant dans la Seine. "Les deux reposent au cimetière Montmartre. Ce qui nous a touché c'est qu'elle a fait faire une plaque où elle les a réunis tous les deux en mentionnant seulement leurs prénoms", confie François Denoncin. 

Pour se reconstruire elle-même, Suzanne Noël consacrera le reste de sa vie à réparer les autres. Elle soutient finalement sa thèse en 1925, ouvre son cabinet et s'intéresse à d'autres chirurgies que le visage. Elle remodèle les corps, les seins, les ventres, regalbe des fesses. Elle invente la technique de dégraissage par aspiration et des instruments comme le crâniomètre ou le gabarit. "Dans cette pratique, Suzanne Noël se montre très inventive et l'on reste confondu d'admiration devant les résultats obtenus avec pareille économie de moyens. Les complications infectieuses en particulier furent exceptionnelles", écrit Jeannine Jacquemin dans un article consacré à Suzanne Noël dans la revue d'histoire des sciences médicales en 1988.

Convaincue par le rôle social de la chirurgie esthétique, elle opère gratuitement les femmes en fonction de leurs moyens, notamment des ouvrières licenciées car jugées trop vieilles. "La chirurgie esthétique m'apparut dès lors comme un véritable bienfait social permettant aussi bien aux hommes qu'aux femmes de prolonger leurs possibilités de travail de manière inespérée", écrivait-elle dans son livre La chirurgie esthétique, son rôle social paru en 1926

Des Soroptimist aux P'tits Quinquins, elle devient ambassadrice 

C'est sa nature profondément féministe qui la conduit en 1924 à créer à Paris le premier club Soroptimist d'Europe dédié à la valorisation des femmes. Aujourd'hui, l'organisation compte près de 75 000 membres dans le monde dont plus de 2 300 en France. 

Suzanne Noël, organisera alors des conférences dans le monde entier. Elle fondera successivement les clubs Soroptimist de différents pays d'Europe, ainsi que ceux de Pékin et Tokyo. Une bourse portant son nom est même instituée pour aider une femme médecin à se spécialiser en chirurgie plastique. À ce titre, et "pour sa contribution à la notoriété scientifique de la France sur la scène internationale", elle reçoit la Légion d'honneur en 1928. 

Parallèlement, à partir de 1926, elle est également ambassadrice de l'œuvre de l'enfance Les P'tits Quinquins. L'objectif de l'association est de lever des fonds pour permettre aux enfants issus des départements septentrionaux, c'est-à-dire du nord de la France, de partir en colonie de vacances. "C'est révélateur que c'était une personne très humaniste, elle était issue d'un milieu bourgeois et avait eu cette chance petite, mais elle n'a pas oublié de renvoyer l'ascenseur", souligne François Denoncin. Elle reçut même la médaille d'honneur de l'association en 1939 pour, indique-t-elle "le dévouement sans bornes qu’elle prodigue depuis si longtemps à notre œuvre."

Si elle met la chirurgie entre parenthèses en 1936 à cause d'un problème de vue, elle n'arrêtera son métier qu'un court laps de temps. Durant la Seconde Guerre mondiale, elle métamorphose les visages de résistants et de juifs qui fuient la Gestapo. À la libération, elle effacera leur séquelles physiques. "Elle n'a pas été dans la résistance, mais, par sa pratique, il est certain qu'elle a mis sa compétence au service des victimes du conflit", précise François Denoncin. 

Longtemps oubliée à Laon

Suzanne Noël meurt le 11 novembre 1954 à l'âge de 76 ans. Elle est enterrée au cimetière Montmartre avec son mari et sa fille. De la chirurgienne à Laon, il reste sa maison natale dans la cour de l'ancienne maternité, rue du 13 octobre 1918. Elle a été acquise par la ville pour en faire une pouponnière en 1946.

Longtemps oubliée des Laonnois, la chirurgienne fut honorée récemment. En 2018, tout d'abord, lors du centenaire de la libération de Laon. Une rue porte également son nom près du cimetière de Montreuil, tout comme une salle de la préfecture de l'Aisne inaugurée le 29 mars 2019. Des artistes comme Pierre Grenier ou C215 ont aussi réalisé des portraits d'elle dans les rues de la ville. 

Ceci étant, il est vrai que les descendants de la chirurgienne aimeraient qu'elle soit davantage mise en valeur. "Peut-être qu'elle mériterait mieux, c'était quand même une ambassadrice, relève François Denoncin. Elle est connue à l'international et on n'a pas pris la mesure qu'elle est une figure de Laon. Pourtant, je pense qu'elle peut intéresser des jeunes filles, il y a une certaine modernité dans son approche féministe."

"Ma belle-mère parlait très souvent de la cousine Suzanne comme d'une femme extraordinaire. Elle ne comprenait pas qu'elle ne soit pas connue en France", confie également Suzanne Desbois. 

En novembre 2020, Leïla Slimani, prix Goncourt en 2016, a décidé de lui consacrer une BD intitulée À Mains Nues. Peut-être l'occasion de remettre en avant ou de faire découvrir au grand public le parcours de cette femme d'exception. 

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