Essentiellement produite en Ukraine mais aussi en Russie, l'huile de tournesol commence à faire défaut. La pénurie bouleverse par ricochet l'ensemble du marché de l'huile alimentaire. Premier symptôme pour les producteurs de chips de la région, la flambée du prix de cette matière première.
"Après le Covid, nous n'avions pas besoin de ça", déplore Julie Gérard, co-fondatrice de So Chips. Depuis 2018, l'entreprise de 10 personnes produit des chips artisanales à Longueil-Sainte-Marie dans l'Oise. Elle subit déjà les répercussions de la pénurie d'huile née du conflit en Ukraine.
"Clairement nous sommes hyper impactés", explique la dirigeante. Pourtant, si l'huile est évidemment une matière première indispensable à ses fabrications, la société n'utilise pas d'huile venant d'Ukraine. Elle utilise une huile de tournesol "oléique", plus résistante à la chaleur et produite en France, mais aujourd'hui, elle n'en est pas moins concernée car la crise "tend tout le marché international".
Le premier impact, c'est déjà la flambée du prix d'achat de l'huile nécessaire à l'entreprise de l'Oise. Le prix d'achat de la cuve de 1 000 litres a littéralement explosé. "Début 2021, elle était à 1 100 euros, nous sommes aujourd'hui à 3 600", confie Julie Gérard. Des achats que l'entreprise doit nécessairement renouveler régulièrement pour son activité.
Pour faire face, la société va donc devoir répercuter cette hausse sur ses prix de vente, "s'il le faut" , estime sa dirigeante, mais elle se demande jusqu'où cela est acceptable pour le consommateur "Il y a un moment, il faut s'arrêter, la chips, c'est un produit populaire", estime Julie Gérard.
L'autre sujet d'inquiétude, c'est simplement de pouvoir se fournir en huile. Pour le moment l'entreprise peut tourner normalement, mais "c'est un problème à court terme, à 4 mois" analyse sa responsable. "Pour l'instant, on se fait livrer, nous avons géré nos approvisionnements avant. Mais est-ce qu'on va être livrés ?" s'interroge Julie Gérard. Certes, il existe des contrats avec les fournisseurs d'huile mais la co-fondatrice de So Chips redoute que ces derniers aillent finalement "au plus offrant".
Dans le département voisin, dans l'Aisne, une problématique très similaire touche La Chips française. Cette autre société de huit personnes, implantée depuis avril 2019 à Saint-Aubin, fabrique également les petits pétales à base de pommes de terre locales. "Nous sommes clairement impactés", explique André Vanlerberghe, le co-gérant de l'entreprise. Pourtant, "Nous n'utilisons que de l'huile française", met-il en avant, mais par le même effet domino, l'entreprise se trouve elle aussi prise dans la tourmente.
Les gros industriels cherchent des solutions de remplacement à l'huile ukrainienne ou russe qui fait défaut et se reportent sur d'autres productions. "Nous sommes déjà impactés par le tarif. Ce matin, nous avions notre fournisseur au téléphone qui nous annonce un prix. C'est trois fois plus cher qu'il y a deux ans", raconte André Vanlerberghe. Et c'est toute la question de la rentabilité qui se pose à terme. "Les marges sont calculées pour que nous gagnions notre vie. Il y a un moment où ça ne passera plus", s'inquiète l'entrepreneur axonais.
Difficile de changer de recette
Quant au stock, pour le moment, le co-responsable de l'entreprise explique disposer de l'huile nécessaire pour produire "jusque fin mai". Après, c'est l'inconnue. L'entreprise craint des tensions entre les fournisseurs et les clients et recherche d'éventuelles possibilités de s'approvisionner plus directement. Pas évident.
Quant à envisager de changer la recette de ses chips en se tournant vers d'autres huiles. Le dirigeant l'exclut. "Sur nos packagings, on mentionne nos origines. Nous avons fait le choix d'utiliser nos pommes de terre et une huile française. Ce serait incohérent d'utiliser de l'huile de palme. Nous préférerions ne pas tourner que d'utiliser cela. Nous avons fait une promesse à nos consommateurs", affirme André Vanlerberghe
Vico touché mais discret
Il y a enfin le cas du plus gros producteur. À Montigny-Lengrain dans l'Aisne, Intersnack fabrique les chips de la marque Vico et d'autres produits apéritifs renommés. L'entreprise emploie plusieurs centaines de personnes et l'on imagine que l'impact de la pénurie d'huile y prend des proportions particulières.
Pour autant, Intersnack ne souhaite visiblement pas s'étendre sur le sujet. Sollicitée, la direction nous a fait adresser une réponse écrite laconique : "Il nous a fallu réagir immédiatement et nous adapter au jour le jour. L’Ukraine et la Russie étant deux producteurs majeurs de tournesol (80 % des parts de marché), l’approvisionnement d’huile est déjà impacté, voyant le prix de sa tonne doubler en un peu plus d’un mois. Les équipes de Vico ont tout mis en œuvre pour sécuriser un maximum de livraisons d’huile vers nos usines et ainsi garantir le meilleur service possible à nos consommateurs".
Difficile donc à ce stade de connaître l'impact précis pour l'entreprise, mais faute d'évolution de la situation géopolitique, il risque de s'alourdir encore dans les mois à venir, pour elle, comme pour les autres producteurs de chips picards.