Dans un rapport publié en mars 2024, la Cour des comptes est critique vis-à-vis de l’État sur le financement de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts dans l'Aisne. Précisions.
C'est un rapport qui fait tache. Cinq mois après l'inauguration en grande pompe de la Cité internationale de la langue française, la Cour des comptes n'est pas tendre avec l'État sur son financement. "Certains choix paraissent risqués et discutables", peut-on, notamment, lire.
Un budget qui a explosé
Dans un rapport intitulé "Des moyens considérables, une logique de guichet, un contrôle insatisfaisant 2017-2023", la juridiction financière évoque le montant des travaux du château de Villers-Cotterêts. En 2019, le budget alloué était de 110 millions d'euros. Quatre ans plus tard, en 2024, on découvre que "le coût total du chantier est désormais estimé à 234 millions d'euros". Soit plus du double qu'à l'origine. Mais alors comment a été payé le surplus ?
"Ce type de projet, normalement financé par le budget ordinaire du ministère de la Culture, l'a été en grande majorité par des crédits exceptionnels : 100 millions pris sur le plan de relance", apprend-on. Mais ce n'est pas tout. "Pour couvrir l'impasse constatée pour le chantier de Villers-Cotterêts", 19 millions de crédits prévus pour la presse et 5 millions du Centre national de la musique ont finalement été versés pour finaliser le chantier axonais.
Des dépenses supplémentaires que justifie Paul Rondin, le directeur de la Cité internationale de la langue française : "Ce qui n'avait pas été pris en compte, c'est l'état dans lequel le centre des monuments nationaux a trouvé le château. Les offices et le logis royal étaient dans un état déplorable. Aurait-on pu l'anticiper ? Peut-être, mais pas sûr. [...] On ne savait pas, non plus, qu'il y aurait une pandémie et que le prix de certains matériaux allait exploser. Par exemple, le bois se négociait à des prix improbables."
C'est vrai que c'est une somme importante, mais au regard de ce que ça apporte, c'est un très bon investissement.
Paul Rondin, directeur de la Cité internationale de la langue française
Le responsable du site vante même les investissements : "Il y a eu des retombées économiques considérables pour la ville. Ça a fait travailler des centaines de personnes dans une période compliquée : des gens éloignés du travail, des entreprises et des artisans français. On a maintenu ce savoir-faire dans une période difficile. Et au-delà de la restauration, c'est l'ouverture culturelle, touristique et sociale sur un territoire où il n'y avait aucun établissement de cette dimension."
Un financement "contestable" ?
Dans son rapport, la Cour des comptes pointe du doigt un autre élément concernant le financement. En 2019, dans le budget initial de 110 millions d'euros, une enveloppe de 30 millions d'euros provenait du PIA3, un programme national censé "soutenir un effort d'investissement de long terme en faveur de projets prometteurs et innovants dans des secteurs stratégiques pour la France." Un choix que la Cour des comptes estime "contestable au vu de l'absence de lien avec l'objet du programme auquel ils sont rattachés".
Ce que réfute Paul Rondin, le directeur du site : "Je ne suis pas d'accord avec ce commentaire. Il y a 60 dispositifs numériques, une bibliothèque en intelligence artificielle... Tout le parcours est innovant, il n'y en a aucun autre comme ça dans le monde. Je reçois des délégations du Brésil, d'Allemagne, de Suède qui veulent s'inspirer du dispositif numérique."
Le château de Villers-Cotterêts n'a pas été le seul à profiter du PIA 3. Le gouvernement l'a aussi utilisé pour financer le projet d'aménagement et de rénovation du Grand Palais à Paris (160 millions d'euros). "L'essentiel des crédits du PIA 3 alloués au secteur de la culture ont été programmés de façon à lever des impasses budgétaires dans le secteur patrimonial, sans lien avec des objectifs d'innovation. [...] Certains choix paraissent risqués et discutables en termes d’innovation au regard de la doctrine d’investissement des PIA", relèvent les rapporteurs.
Patrimoine et innovation peuvent faire bon ménage? Je laisse chacun évaluer quel est l’équilibre entre les deux.
Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes
"Le pilotage des crédits exceptionnels par le secrétariat général pour l'investissement (qui dépend de Bercy, NDLR) contribue à dessaisir le ministère de la Culture de ses missions et à mettre à l'écart le Parlement", dit la Cour, prônant un retour de ces crédits dans le périmètre du ministère de tutelle.
Depuis l'ouverture au public le 1ᵉʳ novembre 2023, la Cité internationale de la langue française a accueilli 108 000 visiteurs.