Situés sur les communes de Margival, Laffaux et Neuville-sur-Margival, au nord de Soissons, les bunkers du Ravin du loup 2 ont abrité le QG du dictateur nazi en juin 1944.
Que faire du "Wolfsschlucht II" (W2, "Ravin du loup 2" en allemand) ? Situé sur les communes de Margival, Laffaux et Neuville-sur-Margival, près de Soissons, ce colossal ensemble de béton abrite le seul des dix quartiers généraux d'Hitler encore intact en Europe, un héritage oublié qui embarrasse encore les élus locaux.
Au coeur de ces constructions hors norme totalisant sur six kilomètres pas moins de 850 ouvrages de béton armé, dont 450 bunkers, répartis sur trois villages ruraux, se trouve le "Führerbunker", où le dictateur nazi tint une conférence avec ses officiers supérieurs le 17 juin 1944, onze jours après le Débarquement.
Un autre bâtiment, long de 108 mètres et baptisé "Constance", fut le plus grand centre de transmission allemand de la Seconde Guerre mondiale. "On a eu un temps le projet d'y implanter des entreprises, une sorte de zone artisanale. Mais il y a eu des opposants. Le projet a été abandonné", se souvient Bruno Marcellin, maire depuis 2014 de Margival, l'une des trois communes. "Et puis, le seul nom d'Hitler fait fuir pas mal de gens", souffle-t-il.L'OTAN n'y a en tout cas pas vu d'obstacle: de 1952 à 1956, elle y a installé un poste de commandement, comprenant 1.500 hommes. Durant la crise de Cuba entre les USA et l'Union soviétique, l'organisation a même envisagé d'y transférer son quartier général. Puis l'armée française a pris le relais de 1968 à 1995, pour y former ses commandos. En 2.000, le site est finalement vendu aux communes environnantes.
Le Ravin du Loup 2 (le 1 se trouve dans le hameau du Brûly-de-Pesche près de Couvin en Belgique) serait depuis longtemps enfoui sous la végétation, sans le travail opiniâtre de la quinzaine de bénévoles actifs de l'association de sauvegarde du W2 (ASW2) créée en 2007.
Démesure nazie
Aux travaux de défrichage et d'élagage permanents, l'ASW2 ajoute la mise en valeur historique. L'association a ainsi reconstitué du mieux possible l'intérieur dubunker d'Hitler, le n°1, appartement privé et salle de conférence compris.
Résonnant dans ce labyrinthe de béton et de portes blindées, le grondement sourd du générateur électrique d'aujourd'hui renvoie immanquablement à cette journée du 17 juin 1944 où le dictateur nazi convoque d'urgence neuf de ses officiers supérieurs, dont Erwin Rommel, pour rendre compte du Débarquement de Normandie et de l'offensive alliée. "Une vraie remontée de bretelles!", sourit Eric Trinon, passionné et guide bénévole de l'ASW2.Episode moins connu: le refus du dernier commandant allemand du QG, le 25 août 44, de transmettre l'ordre d'Hitler de déverser sur Paris un déluge de feu... Les beaux restes de la forteresse, perdue au milieu de la forêt axonaise, témoignent de la démesure nazie: le dictateur ne resta pourtant que douze heures dans ce QG construit spécialement pour lui par 22.000 hommes du service du travail obligatoire (STO), français et étrangers, durant 18 mois entre 1942 et 1944.
Soit "265.000 m3 de béton!", s'étonne encore Eric Trinon. Ce qui aurait faire dire à Rommel le 17 juin 44, selon les mémoires de l'officier général allemand Hans Speidel : "Ici, il y a le béton qui nous manque en Normandie".
Condensé de mémoire militaire, le W2 fascine désormais curieux et amateurs d'histoire : l'association ASW2 y accueille plusieurs milliers de visiteurs par an, "2.000 lors de la dernière journée du patrimoine", relève avec satisfaction Eric Trinon. "Aujourd'hui, notre détermination pour préserver le W2 permet que le site revive", écrit le président de l'ASW2 Didier Ledé dans la brochure vendue aux visiteurs à l'issue des visites guidées gratuites.
Depuis 2009, le W2 est aussi devenu un lieu de formation pour la Gendarmerie et les pompiers. Mais pour le maire de Margival, inutile d'attendre de l'ancien QG d'Hitler de quelconques retombées économiques. L'heure est plutôt à la dépense : "3.000 euros à l'année pour essayer de sécuriser le site...", estime-t-il.
Il ne désespère pas cependant de pouvoir fédérer un jour les élus de la communauté de communauté du Val de l'Aisne autour d'un grand projet de valorisation.