A Calais, la "Jungle" amputée du sud se recompose déjà au nord

L'immense mer de débris et de déchets qui s'étale sur la zone sud de la "Jungle" de Calais, mardi, témoigne de l'efficacité de sa démolition par l'Etat. Mais au nord, le bidonville, où vivent quelques milliers de migrants, se recompose, en attendant une nouvelle expulsion.

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Le directeur de cabinet de la préfète, Etienne Desplanques, bottes et blouson chaud de rigueur, "règne" seul sur un champ de ruines. Au milieu des employés de l'entreprise chargée du chantier, il supervise le démantèlement des dernières cabanes près du chemin menant à Jules Ferry, le centre d'accueil de jour. La présence de la dizaine de CRS semble superflue tant, loin de l'agitation d'il y a deux semaines au début de l'opération d'expulsion, la zone sud semble morte. "Il nous reste encore du travail demain, et ce sera fini", se réjouit Etienne Desplanques, visiblement soulagé d'en finir. "Nous allons plus vite car le système est rôdé, et depuis quelques jours, nous +traitons+ des abris inoccupés".

En effet, les migrants, après quelques gestes de résistance les premiers jours, ont vite compris que survivre au milieu d'une décharge publique avait ses limites. Seule l'Eglise orthodoxe, avec ses deux clochers de fortune et son beau portail bleu roi, est maintenue en vie. Les airs mélancoliques de l'office religieux du matin s'en échappent. 

Les maraudes des services sociaux, qui devaient convaincre les 1.000 à 3.500 migrants, selon les sources, de rallier un hébergement d'Etat, ne trouvent plus d'interlocuteurs. La plupart des habitants de la partie sud ne les ont pas attendues : 80%, selon l'Auberge des migrants et Médecins sans frontières, ont migré à seulement un ou deux km, en allant dans la zone nord habiter chez des amis ou tout bonnement en y déménageant leur cabanon. A peine 300 ont opté pour un centre d'accueil et d'orientation (CAO) en France, selon les chiffres de la préfecture.

"Des lendemains encore plus tristes"

Le Centre d'accueil provisoire (CAP) de l'Etat et ses conteneurs blanchâtres -1.500 places en dortoirs, presque toutes pourvues -, qui dominaient le secteur, sont désormais débordés sur la gauche par de nombreux abris de fortune et caravanes. La vie communautaire du camp se reconstruit tout autour. Les propriétaires des magasins et restaurants afghans, qui avaient autrefois pignon sur rue à l'entrée du bidonville, ont dû se replier là pour sauver leurs commerces.

Les coups de marteau et de tournevis vont bon train pour réassembler les cabanons fournis par l'Auberge des migrants, et pour cause: ils valent de 200 à 800 euros. L'association a elle-même loué une pelleteuse il y a quelques jours pour défricher certaines zones. L'Irakien Pairow, ses deux enfants en bas âge et sa femme ont déplacé leur caravane dans le nouveau quartier. "Nous, ce qu'on veut c'est retourner au Royaume-Uni", confie celui qui a déjà habité cinq ans à Manchester mais est reparti en Irak en 2006, pensant assister à la renaissance de son pays.

"Où vont aller tous ces gens lorsqu'on les chassera à nouveau ?"

Un peu plus loin s'est réinstallée l'"Ashram Kitchen", un lieu convivial de distribution de nourriture qui prospérait tout au sud de la "Jungle". "Nous allons rameuter du monde à nouveau", promet une bénévole britannique derrière son stand. "Lors de l'expulsion du sud, nous, associatifs, étions finalement plus tristes que les migrants eux-mêmes", admet Christian Salomé. "Eux ils ont vécu bien pire, dans leur pays puis dans leur exil".

L'arrivée d'entre 2.000 et 3.000 personnes s'est bien déroulée grâce à la pacification des relations entre communautés observée ces derniers mois, note Olivier Marteau, responsable de la mission MSF sur place. Les migrants ont-ils conscience que ce qu'ils rebâtissent ne survivra peut-être pas à la fin mars, date évoquée par l'Etat auprès des associations pour l'expulsion des cabanons de la zone nord ? "A leurs yeux, tout a toujours été temporaire. Objectif : Angleterre", relativise Olivier Marteau.

Mais la question demeure. "Où vont aller tous ces gens lorsqu'on les chassera à nouveau ?", s'interroge Christian Salomé. "Ce sera 4.000 personnes qu'on va retrouver sur des terrains vagues, sur des plages, sous les ponts, dans des jardins publics. On s'attend à des lendemains encore plus tristes".

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