L'asile en France plutôt que le rêve d'un passage en Grande-Bretagne: à Calais et à Grande-Synthe, les délégués de l'Ofpra déploient des trésors de pédagogie pour inciter les migrants à quitter leur bidonville avant l'hiver.
Au centre Jules Ferry de Calais où un point d'information a été ouvert pour les 4.000 migrants du campement, les délégués de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), qui envoie une mission chaque semaine, profitent de la distribution de café pour prêcher la bonne parole.
"La frontière est fermée. Vous perdez votre temps ici", assure Mourad Derbak, responsable de la division Moyen-Orient de l'Ofpra, à un groupe de Soudanais. "Des bus partent cet après-midi vers des centres d'accueil, vous pourrez manger trois fois par jour, prendre des douches, c'est gratuit. Vous pourrez réfléchir à une demande d'asile aussi", ajoute-t-il. En face, les hommes en pantalon de survêtement écoutent avec circonspection, accrochés
à leur rêve de Grande-Bretagne -- même si le renforcement des effectifs policiers a rendu le tunnel étanche, depuis la mi-octobre, aux intrusions dans le tunnel.
"Je ne parle pas français. En Grande-Bretagne il y a du travail, c'est plus facile d'obtenir des papiers", explique Saïd, reprenant les arguments répétés jusqu'au cliché. L'asile ? Il fait la moue. "Peut-être. Si je n'arrive pas à passer".
'Travail de longue haleine'
A côté de l'ouverture de containers chauffés, et alors qu'une partie des migrants a dû déménager des abords de la rocade longeant le campement à la demande des autorités, les grands moyens ont été déployés en faveur de l'asile, avec une offre d'hébergement non conditionnée à une demande, la promesse de ne pas renvoyer les migrants vers un autre pays européen s'ils y ont laissé leurs empreintes...Plus nouveau, les autorités assurent qu'elle soumettront aux Britanniques les dossiers des migrants ayant de la famille proche sur place. Depuis octobre, près de 1.900 personnes ont accepté cette offre à Calais, et si le rythme des départs s'est ralenti autour de Noël, on reste confiant à l'Ofpra au vu d'une reprise la semaine dernière, avec 200 départs enregistrés. "C'est un travail de longue haleine", résume Pascal Brice, le directeur général de l'office, en arpentant la rue principale du campement bordée de petits commerces.
Kurdes d'Irak
L'ambiance est toute autre à Grande-Synthe, à quarante kilomètres de là, où un bidonville a grossi depuis quelques semaines jusqu'à 2.200 personnes environ. Ni boutiques ni restaurants ici, mais un alignement de tentes dans un sous-bois en partie inondable, où les poubelles débordent dans la boue visqueuse."Ce sont surtout des Kurdes d'Irak, qui sont déjà allés en Grande-Bretagne, et ont regagné le Kurdistan au moment de la reprise économique", explique Pascal Brice, en évoquant des "logiques de filières". Et ces migrants, anglophones, dont beaucoup de femmes et d'enfants, sont difficiles à convaincre.
Dans une cabane faisant office de cuisine commune, autour d'un brasero à l'odeur âcre, Pascal Brice commence son discours bien rodé : "Nous ne pouvons pas vous laisser ici avec l'hiver. Vous pouvez partir vers un centre". Mais le public est tendu. Une jeune femme, qui se dit extérieure au campement, s'en prend violemment aux conditions de vie réservées au femmes.
L'équipe de l'Ofpra lève le camp, sous les invectives du petit groupe. Exaspération spontanée ou colère attisée par les passeurs ? "On ne sait jamais
dans quelle ambiance on va tomber", soupire Pascal Brice, qui assure qu'il s'agit là d'une scène inhabituelle.
Mais Saabit, l'un des manifestants, ne mâche pas ses mots : "Je ne veux pas rester ici. La police m'a frappé et gazé. J'ai déjà vécu six ans en Grande Bretagne. Regardez le campement. Vous trouvez que c'est le pays des droits de l'homme ?"
Ce n'est que partie remise pour les responsables de l'Ofpra. Près de 500 personnes ont quitté le campement pour des centres, ou pour engager une démarche d'asile, indique Pascal Brice, qui assure : "Je reviendrai aussi souvent qu'il le faudra".