Pour l'entrepreneur nordiste, ex-patron du Medef du Nord, il ne faut pas renier la façon dont notre économie fonctionne, même si cette crise va changer beaucoup de choses.
Jeudi soir, Frédéric Motte rentrait en voiture de Lens, avec une raison supplémentaire de croire en l'avenir. Avant de quitter ses bureaux, le président-fondateur de Cèdres-Industries croisait l'agent chargé du nettoyage des locaux. "Il m'a dit qu'en cette période de confinement, il voulait que tout soit particulièrement nickel. Impeccable. Parfait. C'est aussi ce que me rapportent mes directeurs : jamais ils n'ont atteint une si belle productivité. Jamais les gens dans les ateliers n'ont été si impliqués. Ça bosse. La fabrication d'une pièce qui habituellement nous demandait 25 heures... là on est largement en dessous. En ces temps tellement incertains pour notre économie, patrons et collaborateurs sont mobilisés."
Frédéric Motte, 55 ans, est une personnalité "multiple" du monde économique. Un ogre dont les appétits ont parfois donné quelques aigreurs d'estomac à ses pairs.
Motte, c'est d'abord un nom et une dynastie d'entrepreneurs nordistes ayant fait fortune dans la bière et le textile. En 1996, le jeune Frédéric hypothèque sa maison pour créer Cèdres-Industries, un groupement de PMI spécialisées dans la maintenance industrielle qui compte aujourd'hui une douzaine d'entreprises, 17 sites à travers tout le pays et 400 salariés.
Une "reprise en U"
Mais Frédéric Motte n'est jamais rassasié : maire de Beaucamps-Ligny, dans le Nord (l'un des plus jeunes maires de France en 1995), vice-président de la Communauté Urbaine de Lille, président du Conseil Economique, Social et Environnemental Régional (CESER), président du campus patronal de Marcq-en-Baroeul, président du MEDEF Nord-Pas de Calais, vice-président du MEDEF... Mais en 2017, c'est l'indigestion : Frédéric Motte est candidat à la présidence du MEDEF. La marche est trop haute. Les patrons du Nord le lâchent. Il doit jeter l'éponge en rase campagne.
Il n'empêche que ce parcours et cette énorme ambition autorisent une analyse sur la crise que nous traversons. "Il y a deux façons d'appréhender la fin du confinement après le 11 mai", note Frédéric Motte. "Enfin un peu de visibilité pour les entreprises qui petit à petit, tout doucement, commencent à retrouver de l'activité ; je sens que ça bouge. Et puis celles pour qui cette visibilité est quasiment nulle ; je pense aux commerçants et restaurateurs, très inquiets. Ne nous berçons pas d'illusions : il n'y aura pas de reprise en "V" mais plutôt une reprise en "U"... et la barre plate du "U" sera longue."
"L'économie tient le coup"
Et l'ancien patron des patrons nordistes met en garde : "Attention ! Après le 11 mai, ne jetons pas le monde d'avant ! Même si le domaine de la santé a révélé des faiblesses, notre système tient le coup. L'économie tient le coup. La solidarité nous permet de tenir le coup. Regardez les magasins qui ne connaissent pas de graves pénuries. Regardez l'entreprise textile Lemahieu, à Saint-André, qui produit des masques en tissu avec 10 000 couturières bénévoles. Regardez ces personnels de l'hôpital public qui dessinent et fabriquent eux-même des blouses de protection. Regardez ces maires et ces associations qui font des choses fabuleuses. Ne changeons rien. Il faut que tout ça perdure."
Car sur le monde d'après, Frédéric Motte est plus réservé. Il a bien entendu le message du président de la République pour qui "déléguer à d'autres notre alimentation, notre production, notre capacité à soigner est une folie." Il entend l'exécutif dire et redire qu'il faut rapatrier en France nos industries stratégiques, relocaliser l'indispensable, retrouver notre souveraineté nationale, ne plus dépendre de nos importations.
Les Français, vraiment prêt au prix du "made in France" ?
"Bingo !" reprend le patron nordiste. "Mais n'oublions pas qu'on a délocalisé pour bénéficier d'une main d'œuvre à bas coût. Si demain la production est rapatriée chez nous, ce ne seront plus les mêmes usines qu'avant. Ce ne seront pas des centaines de milliers d'emplois créés, du fait de la révolution technologique. Et puis, je doute que le consommateur soit prêt à acheter plus cher un produit fabriqué en France. Je me souviens de la levée de bouclier lorsque l'APL avait baissé de 5 euros par mois (2017). Que se passera t-il pour la fraise française, plus chère de quelques euros que la fraise espagnole ? Pour le vélo fabriqué à Sochaux, 25% plus cher que le vélo chinois ?"
En revanche, pour Frédéric Motte, il est évident que la crise du Covid va doper l'économie circulaire. "Le confinement nous a fait prendre de nouvelles habitudes. Et de toute façon, l'entrepreneur est forcément quelqu'un d'optimiste. Combatif. C'est l'essence même de l'entrepreneuriat. Se battre et relever de nouveaux défis. Moi, j'emprunte sur 15 ans pour construire une nouvelle usine, alors qu'il y aura 50% de nouveaux produits sur le marché dans seulement cinq ans. Je fais donc le pari d'évoluer, d'imaginer, d'inventer. Voilà ce que le Covid va accélérer."
Enfin, sur les aides gouvernementales, Frédéric Motte salue "des mesures de bons sens". "C'est du carburant qu'on donne aux entreprises en attendant de redémarrer et retrouver de la compétitivité. Même s'il faudra rembourser... On peut toujours tout critiquer, mais en ce moment, on est en territoire inconnu. On s'en fout des polémiques. Quand Churchill tentait de gagner la guerre, il n'était pas la cible d'un sondage chaque jour !"