La crise sanitaire touche aussi les producteurs de pommes de terre. La fermeture des restaurants impacte directement la production, les obligeant à conserver des tonnes de patates, impossibles à écouler.
Avec la crise sanitaire, la situation économique des producteurs de pommes de terre est préoccupante. La fermeture des restaurants a entraîné l’effondrement de la demande en pommes de terre et par conséquent, des difficultés à écouler les stocks. Plusieurs tonnes de pommes de terre pourrissent dans les hangars ou sont vendues à des prix très bas.
Arnaud Delacour est producteur de pommes de terre à Dommiers, dans l’Aisne.
En 2020, sa production a été directement impactée par la crise sanitaire. "Pour la dernière campagne, j’ai perdu 20 000 euros", raconte l’agriculteur. Les pommes de terre, chez moi, partent fin février, début avril. En 2020, la production qui devait partir en avril, est partie en juillet. Et de celle qui devait sortir en mars, il m’en est resté à peu près 50 à 70 tonnes." Ce surplus de pommes de terre, Arnaud Delacour a été forcé de le donner, gratuitement, à des méthaniseurs. "Cette année, j’ai peur que ça recommence".
Même situation pour la Maison Bayard, producteurs et vendeurs de pommes de terre à Laucourt dans la Somme.
"Notre spécialité, c’est de vendre des pommes de terre haute-gamme à des restaurants étoilés, donc la situation est très moyenne, raconte Françoise Bayard. "Les pommes de terre ça ne vit pas éternellement. Ce qui nous restait, on a dû le vendre en alimentation animale, soit 10 fois moins que le prix normal", continue la productrice. Le chiffre d’affaire de la Maison Bayard a chuté de 30% en 2020.
En France, pour dix frites mangées, huit le sont au restaurant selon l'UNPT (Union nationale des producteurs de pommes de terre). Les frites de table, commercialisées dans la grande distribution ou à destination des restaurants, représentent environ 55% de la production de pommes de terre. En 2020, 200.000 tonnes de pommes de terre sont restées invendues.
Des aides de l'Etat qui tardent à arriver
Les aides de l’Etat, elles, prennent du temps à arriver. L’an dernier, lors de la première vague de la crise de la Covid, le ministre de l’agriculture de l’époque, Didier Guillaume, "avait réservé une enveloppe de 10 millions d'euros pour permettre une évacuation alimentaire, autre qu’humaine, sur 400 000 à 500 000 tonnes", explique Patrick Legras, responsable de la section pommes de terre au syndical agricole Coordination rurale et agriculteur dans la Somme.
Il avait aussi promis une indemnisation des producteurs. Sauf qu’elle a pris du temps à être mise en place. Neuf mois au total avant qu’une annonce officielle ne soit faite.
"Il a fallu attendre autant de temps pour seulement donner les normes d’acceptation de l’indemnisation. On nous dit que c’est à cause du changement de ministre que le retard s’est accumulé", déplore Patrick Legras. En effet, le mois dernier, France Agrimer a dévoilé les "modalités du dispositif d’indemnisation des producteurs de pommes de terre pour compenser les pertes dues au contexte sanitaire de 2020".
Sauf que pour le responsable de la section pommes de terre, certaines conditions ne peuvent pas être prouvées. Il faut, dans certains cas, "justifier le don des pommes de terre vers des méthaniseurs, pour l’alimentation animale". Et certains n’ont pas la trace de ces dons.
Des initiatives à la rescousse de certains producteurs
Pour tenter de combler le trou, des initiatives existent pour aider les producteurs de pomme de terre à faire face à des stocks qui s’accumulent et qui risquent de pourrir prochainement. Burger King, par exemple, a lancé une "opération patates" qui consiste à donner un sac de pommes de terre fraiches d’un kilo à chaque consommateur qui passe dans les restaurants drive de l’enseigne fast-food.
"C’est parti du constat qu’on fait face à une situation difficile dans la restauration qui touche aussi nos filières agricoles, explique Dominique Ronceray, directeur des achats de Burger King. Cela nous a paru assez naturel de faire un clin d’œil à la production". L’enseigne s’est approvisionnée de 200 tonnes de pommes de terre, distribuées dans 200 restaurants en France dotés d’un drive. Une petite quantité, en comparaison avec les 40 000 tonnes nécessaires pour fabriquer des frites fraiches, qui ne laisse toutefois pas certains producteurs indifférents.
C’est le cas de Bertrand Achte, président de la Commission Transformation de l’Union nationale des producteurs de pommes de terre, qui estime que c’est "un bon geste qui permettra d’écouler des volumes de pomme de terre qui sont en stockage", même si "ce ne sera pas considérable en volumes mais ça permettra de faire re-découvrir la pomme de terre aux consommateurs".
Et même si l’initiative de Burger King est louable, il restera quand même des milliers de tonnes à écouler. Alors, comment faire ? Patrick Legras propose plusieurs solutions pour éviter davantage de pertes en 2021 : faire un planning de ce qui peut être pris par les industriels jusqu’au mois de juin, diminuer les plantations, mais aussi "trouver un moyen d’éliminer le plus rapidement possible le trop de production par l’alimentation animale, les méthaniseurs". Il suggère aussi d’effectuer des dons aidés par l’Etat à l’exportation "car il y a des gens qui meurent de faim".