La Belgique, en état d'alerte terroriste, est accusée d'avoir laissé se développer un terrain favorable à l'émergence sur son sol de jihadistes en péchant par excès de "communautarisme" ou en s'égarant dans des débats institutionnels sans fin.
Alors que l'état d'alerte maximale à Bruxelles, instauré samedi, a été prolongé jusqu'à lundi prochain en raison d'une menace d'attentat "sérieuse et imminente", le parti nationaliste flamand N-VA a lancé mardi un violent réquisitoire contre la gauche francophone, sa bête noire politique, rompant l'unité nationale en vigueur depuis les attentats de Paris. "Vingt ans de laxisme du Parti socialiste (PS) et d'+"slamo-socialisme" nous ont conduit où nous nous trouvons aujourd'hui, avec Bruxelles comme base arrière de la barbarie islamique", a accusé le député régional N-VA Karl Vanlouwe dans un texte au vitriol publié par le quotidien francophone Le Soir.
Une des figures historiques du PS, Philippe Moureaux, ancien ministre de la Justice et bourgmestre (maire) de 1992 à 2012 de la commune bruxelloise de Molenbeek-Saint-Jean, par où sont passés de nombreux jihadistes, est particulièrement dans le viseur. "Moureaux était tolérant", critique Karl Vanlouwe, lui reprochant d'avoir fermé les yeux sur ceux qui "intimidaient les filles et femmes sans voile" ou même "vendaient de la drogue et des armes" dans sa commune. "D'autres sont même allés plus loin en se battant aux côtés de l'EI (Etat islamique), en commettant des attentats en Europe de l'Ouest", poursuit l'élu flamand, dont le parti constitue la principale force au sein de la majorité de droite du Premier ministre libéral Charles Michel. "Bruxelles et la Belgique méritent mieux que la stratégie de la N-VA qui divise", a répliqué sur Twitter le PS bruxellois.
"Le jihadisme comble un vide"
"Le "communautarisme" tant décrié pratiqué par Philippe Moureaux se manifestait surtout dans les relations sociales : il recevait tout le monde à la mairie, il avait placé de nombreuses personnes d'origine étrangère sur ses listes électorales, il donnait des subsides à des associations culturelles marocaines", explique le chercheur de l'Université de Liège Hassan Bousetta, spécialiste des politiques d'intégration. "Mais c'est plutôt l'absence de liens forts au sein d'une communauté qui génère le jihadisme", observe le sociologue. "La vision pathologique de l'islam se développe quand les solidarités disparaissent, comme c'est le cas pour des jeunes d'origine marocaine ou algérienne de 2e ou 3e génération. Le jihadisme vient combler un vide. Ceux qu'on a vu à l'oeuvre à Paris ont un profil de gens désocialisés, souvent passés par la délinquance", souligne Hassan Bousetta, relevant que la communauté turque de Belgique, très soudée, ne compte pas, elle, de jihadistes.Le quotidien français Le Monde a jeté mardi un autre pavé dans la mare de la classe politique belge. Son éditorialiste critique la "trop grande tolérance" d'autorités belges surtout soucieuses de ne pas troubler la paix civile. Mais il estime que le royaume, qui depuis 40 ans s'est engagé dans un tortueux chemin vers le fédéralisme, "est resté prisonnier d'un débat institutionnel que l'on a pu trouver pittoresque mais qui tourne au tragique". La réponse, cinglante, de l'éditorialiste de La Libre Belgique ne s'est pas faite attendre : "Il n'est pas question de gommer certaines responsabilités et réalités belges, les lourdeurs institutionnelles (...) Mais les critiques seraient plus facile à accepter si elles venaient (...)d'un Etat qui serait un modèle du vivre ensemble et de l'intégration", réagit Francis Van de Woestyne, regrettant que "la condescendance française n'ait pas de limite". Professeur à l'Université libre de Bruxelles (ULB), où il dirige le centre "Migrations, Asile, Multiculturalisme", Andrea Réa estime que les critiques sur les incohérences du système politique belge relève pour une bonne part de "l'arène politique" et de la concurrence exacerbée entre N-VA et PS. Pour M. Réa, plutôt que de fustiger le modèle fédéral belge, il est plus pertinent de pointer le "manque de coordination au niveau européen". "Les jihadistes sont dans une logique transnationale, alors que les polices campent sur des positions nationales", argue M. Réa.