Alors que lundi 14 octobre 2024, s'ouvre un procès d'ampleur à Châteauroux qui pourrait pointer des défaillances de l'aide sociale à l'enfance du Nord, enquête sur ces mineurs placés sous la responsabilité du Département, et hébergés dans ce qui ressemble à des hôtels. Plusieurs témoignages racontent à quel point leur encadrement est inadapté. De nombreux enfants seraient livrés à eux-mêmes.
Début mai 2024, le syndicat SUD des agents du Département du Nord, annonçait que "cinq enfants de l’Aide Sociale à l'Enfance (ASE) âgés de 8 à 13 ans ont passé une à plusieurs nuits dans des hôtels du département, faute de places disponibles dans les structures adaptées". Interrogé, le président du Département, Christian Poiret, démentait cette information. Il rencontrait Sarah El Haïry, ministre en charge de l’Enfance, le 6 mai.
Alors que d'un côté, Sarah El Haïry, l'ancienne ministre chargée de l'Enfance déclarait : "Aujourd'hui, la loi est très claire : j'ai signé le décret interdisant le placement des enfants dans des hôtels", Christian Poiret assurait lui : "Deux enfants ont été placés en urgence une seule nuit dans un endroit qui n'est pas un hôtel". "Après, vous croyez qui vous croyez...", avait-il insisté.
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Effectivement, aujourd'hui, les structures accueillant les enfants n'ont plus d'enseigne commerciale. Les bâtiments sont vidés de la clientèle habituelle. Des enfants y sont placés comme à Saint-Pol-sur-Mer, ou à Roubaix, où nous sommes rendus.
Pour comprendre, le Département utilise des bâtiments, anciens hôtels, pour loger les jeunes, des mineurs non accompagnés et étrangers ou des enfants placés originaires du territoire.
Le Département du Nord délègue cette mission à l'association Coallia, laquelle répond par mail qu' :"En tant qu'opérateur des politiques publiques de l'État et des collectivités territoriales, nous ne souhaitons pas commenter le sujet proposé".
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Sous couvert d'anonymat, un ancien salarié de cette association, explique comment fonctionne cet accueil.
L'association se servait d'un intermédiaire qui vérifie plus ou moins les diplômes et, ce qui est plus questionnant, ne vérifie pas le casier judiciaire. Donc j'aurais pu avoir un casier judiciaire, que ce soit sur n'importe quel volet, même en lien avec les enfants, cela n'aurait pas été vérifié.
Un éducateur
Selon lui, les problèmes commencent dès l'embauche. "Les offres paraissaient une heure après la prise de poste, ce qui sous-entend une forte pénurie et un énorme turn-over. L'association se servait d'un intermédiaire qui vérifie plus ou moins les diplômes, et ce qui est plus questionnant, ne vérifie pas le casier judiciaire. Donc j'aurais pu avoir un casier judiciaire, que ce soit sur n'importe quel volet, même en lien avec les enfants, cela n'aurait pas été vérifié".
La suite est tout aussi édifiante. "J'arrive sur place. Aucune vérification à nouveau, j'aurais pu être n'importe qui. Nous étions deux éducateurs diplômés, une personne en renfort pour 104 enfants. Ils sont livrés à eux-mêmes. Assis dans les escaliers de l'hôtel ou devant".
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"Je veux aller à l'école et ils m'ont dit, c'est pour les gens d'ici. On ne peut rien faire", explique un mineur rencontré aux abords d'une structure d'hébergement.
Il n'y a aucun travail sur la scolarité. La réponse qui est faite, c'est de ne pas inscrire ces jeunes à l'école, au collège ou au lycée. Et donc, ils ne font rien ou presque rien de leur journée.
Un éducateur
Notre éducateur confirme : "Il n'y a aucun travail sur la scolarité. La réponse qui est faite, c'est de ne pas inscrire ces jeunes à l'école, au collège ou au lycée. Et donc, ils ne font rien ou presque rien de leur journée."
David Guiraud, député (LFI) du Nord, était membre de la commission d'enquête sur l'aide sociale à l'enfance avant la dissolution. "On a des remontées de gamins qui ne devraient pas y être. De gamins qui tombent dans les réseaux de prostitution. Qui tombent dans les réseaux de drogue. Qui subissent des traitements inhumains, dégradants. Et à chaque fois qu'on voit des jeunes comme ça devant des structures hôtelières, on se demande s'ils sont aussi concernés ? Il y en a sûrement quelques-uns qui vont bien, mais c'est extrêmement préoccupant...".
Le Département du Nord, sollicité, n'a pas souhaité s'exprimer pour le moment.
Avec Ophélie Masure, Marie-Noëlle Grimaldi et Alexis Chantoiseau / FTV. Infographie Arthur Mennetret. Édité par Emmanuel Pall.