Denain : un journaliste publie le roman photo d'une France des oubliés

Pour "Les racines de la colère. Deux ans d'enquête dans une France qui n'est pas en Marche", le photojournaliste Vincent Jarousseau a suivi le quotidien de huit familles denaisiennes. Un livre documentaire sous forme de roman photo qui raconte la vie de ceux qui rament.

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C'est un roman photo où tout est vrai. Il se passe à Denain, ville du Valenciennois parmi les plus pauvres de France, où le glorieux passé minier puis sidérurgique n'est plus qu'un lointain souvenir, qui s'est envolé avec la fermeture d'Usinor il y a 40 ans. 10 000 emplois perdus. Aujourd'hui, dans cette ville de 20 000 habitants, le chômage frappe 35 % de la population active

C'est dans ce décor que s'inscrit "Les racines de la colère", un livre documentaire dont les personnages sont des familles denaisiennes. Huit exactement, qui vivent ou survivent entre boulots mal payés, allocations et colis du Secours populaire pour certaines.
 

Une enquête dans une France "qui n'est pas en Marche"


Cette "France qui n'est pas en Marche", Vincent Jarousseau l'a suivie pendant deux ans. Au départ, en 2016, le photojournaliste avait prévu d'étudier la question de la mobilité des classes populaires, celle-là même qui allait déclencher le mouvement des Gilets jaunes à l'automne dernier.

Il venait de terminer une autre enquête, de deux ans là aussi, publiée sous la même forme d'un roman photo. "L’Illusion nationale", un premier travail auprès de populations en situation de précarité, dans trois villes du Front national : Hénin-Beaumont, Beaucaire et Hayange.

C'est dans la cité minière du Pas-de-Calais qu'il a commencé à entendre parler de Denain. Il y a réalisé des carnets de campagnes pendant la présidentielle pour plusieurs journaux, et un documentaire pour la télé australienne. Il y a mesuré la distorsion entre "la start-up nation" promue par le candidat Macron et la réalité des habitants de cette ville.

"Dans son programme, la mobilité, c'est la solution miracle pour sortir de l'assignation sociale dans laquelle sont enfermées ces populations. C'est le discours néolibéral porté par les élites. L'idée que les gens sont assignés chez eux parce qu'ils ne veulent pas bouger".

A Denain, en 2017, le président a rassemblé moins d'un électeur sur quatre, dans un climat de forte abstention.

 


Un quotidien sur le fil

Au fil des mois passés dans la cité nordiste, la mobilité s'est élargie au récit du quotidien des Denaisiens qui ont accordé leur confiance au photo reporter. 

Comme Loïc, la trentaine, qui déjoue les préjugés d'une "immobilité choisie". Il a été jusqu'à Peugeot Sochaux pour une mission d'intérim, a marché des kilomètres dans la nuit pour rallier un TER, et les usines automobiles de la région. 

Loïc n'a pas les moyens de se payer le permis, et même quand il rencontre une structure pour le financer, les choses ne sont jamais simples. "Loïc, c'est l'exemple d'un garçon prêt à bouger, dans une mobilité contrariée", résume Vincent Jarousseau.  

Loïc est aussi le récit d'une vie cabossée. Enfant placé suite à des violences intrafamiliales subies, adolescent qui a ressenti un très fort sentiment d'injustice face à un juge pour enfants qui lui promettait chaque année un retour auprès de sa mère jamais suivi d'effet, adulte qui est sorti de prison il y a un an et reste contraint par un contrôle judicaire. Qui reste courageux malgré les galères qui s'enchaînent. 


Entre petits salaires et aides sociales

"On croit connaître ces situations, comme on l'a beaucoup fait, nous journalistes, en racontant la vie des Gilets jaunes ces derniers mois. Mais on ne sait rien, tant qu'on ne passe pas du temps avec ces personnes. Les seuls chiffres de revenus ou de budgets mensuels ne disent pas tout", analyse l'auteur du livre "Les racines de la colère".

Parmi ceux dont il raconte le quotidien dans son enquête, certains ont rejoint les rond-points des Gilets jaunes. C'est le cas d'Adrien, jeune père de famille, qui enchaîne les chantiers en région parisienne la semaine, en interim, et ne revient que le week-end auprès des siens. 

"Ce sont ces petits salaires qui permettent juste de faire face au quotidien, sans offrir de perspectives", résume Vincent Jarousseau, qui présente son enquête comme "un dialogue entre ceux qui travaillent et s'en sortent difficilement, et ceux qui ne travaillent pas, et galèrent encore plus."
 

Le sentiment d'injustice des oubliés de la "start-up nation"

A l'instar de Guillaume, qui vit du RSA, et ressent un profond sentiment d'injustice. Le renforcement du contrôle technique cristallise sa colère, lui qui parcourt 2000 km/an au volant de sa voiture vieille de 30 ans, et "pollue moins que ces cadres ou ces dirigeants qui pennent l'avion à tout bout de champ et ne sont pas taxés pour cela."

Une enquête comme un cri de colère donc de cette "France qui n'est pas en Marche", victime du mépris présidentiel, à coups de petites phrases polémiques sur les pauvres qui coûtent un "pognon de dingue" où le travail qui se trouverait en face pour peu qu'on traverse la rue. 

L'image que retient Vincent Jarousseau de ses deux années d'immersion dans la cité nordiste ? "Les jardins à l'arrière des maisons devenus des dépotoirs. A Denain, il ne reste plus que des supermarchés low cost et des parking". L'hyperconsommation comme seul horizon. 
 
"Les racines de la colère"
"Les racines de la colère. Deux ans d'enquête dans une France qui n'est pas en Marche" de Vincent Jarousseau est publié aux Editions Les Arènes. 160 p. 22 €.
L'auteur sera à Denain le samedi 30 mars 2019.
 
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