Accueillir ses petits-enfants pour Pâques, organiser une sortie en famille ou s'offrir enfin de la viande : à Denain, l'une des villes les plus pauvres de France, les 50 euros de "chèques coup de pouce" de la mairie font carton plein face à l'inflation.
"Ça devient dur pour l'alimentation. Alors 50 euros, ça dépanne bien, surtout pour recevoir mes petits-enfants à Pâques", se réjouit Irène, 66 ans, venue dès le premier jour récupérer le carnet vert pomme à son nom.
Comme elle, la quasi-totalité des foyers de Denain (20.000 habitants) se sont inscrits pour recevoir ces bons d'achat, à dépenser dans les commerces de la ville, sans condition de ressource.
"Il n'y a pas de riches ici", relève Irène en désignant la foule qui patiente dans le hall de l'Hôtel de ville.
Mon mari est fonctionnaire, on a deux enfants. Un caddie, c'est 150 euros par semaine. On ne peut plus se faire plaisir
Latifa Dynowski, mère de famille
"Moi, je suis juste au-dessus des barèmes, alors je n'ai pas d'aide des associations. Il faut que je me débrouille", poursuit la discrète retraitée, qui n'a pas voulu donner son nom.
Elle compte acheter de la viande, des légumes et cuisiner "un plat polonais" pour Pâques. Latifa Dynowski, trentenaire en recherche d'activité, hésite encore : ça sera soit des baskets pour ses filles, soit un cinéma en famille.
"Mon mari est fonctionnaire, on a deux enfants. Un caddie, c'est 150 euros par semaine. Avant, ça comprenait un petit extra, mais maintenant, c'est uniquement l'essentiel. On ne peut plus se faire plaisir", décrit-elle.
"On ne fait plus rien"
Denain, ancien haut lieu de la sidérurgie près de Valenciennes, est l'une des villes du bassin minier qui peine le plus à sortir du marasme de la désindustrialisation.
Plus de 35% de la population est au chômage et la pauvreté y est trois fois supérieure à la moyenne nationale, selon l'Insee.
C'est là qu'Emmanuel Macron était venu parler pouvoir d'achat et baisses d'impôts lors de la campagne en 2022, non sans se faire prendre à partie.
On prend la voiture au minimum : c'est soit du carburant, soit on mange.
Nathanaël, père de famille
Dans le centre-ville où la fête foraine bat son plein, des snacks et magasins de vêtements côtoient un cinéma -- mais beaucoup de familles ont renoncé aux sorties.
"On prend la voiture au minimum : c'est soit du carburant, soit on mange", lance Nathanaël Deshayes, électricien et père de famille de 38 ans.
"Du coup, on ne fait plus rien." Même le Faisan doré, petit parc animalier municipal gratuit à 15 km, "ce n'est plus possible". Les bons lui permettront d'aller manger "un burger en famille".
Flore Pottiez, 86 ans, va elle en profiter pour fleurir la tombe de son mari et s'offrir un petit extra dans l'assiette.
"Je n'ai pas de voiture, je fais attention à l'électricité, au gaz, mais là, la viande a tellement augmenté.", déplore la retraitée.
Pour Pâques et le ramadan
Lait infantile, légumes et viandes : lors de la première édition en avril 2022, "75% des chéquiers avaient été dépensés pour de l'alimentaire", souligne la maire socialiste de Denain, Anne-Lise Dufour-Tonini.
Face à l'inflation, la commune s'est serré la ceinture pour trouver les 350.000 euros nécessaires au renouvellement de l'opération, organisée en plein ramadan et peu avant Pâques, "quand les Denaisiens reçoivent leur famille". Cette aide complète des dispositifs nationaux comme les 100 euros pour le chauffage et 100 euros pour le carburant.
Cette aide permet de toucher les travailleurs pauvres qui ont du mal à boucler les fins de mois mais n'ont jamais droit à rien.
Anne-Lise Dufour-Tonini, maire de Denain
Elle permet de toucher "les travailleurs pauvres qui ont du mal à boucler les fins de mois mais n'ont jamais droit à rien", souligne la maire, réélue dès le premier tour en 2020 face au RN Sébastien Chenu.
A la boucherie Rahman, l'affluence est continue. C'est là que nombre de bénéficiaires viennent dépenser leurs bons, d'autant que la boutique a innové pour l'occasion : contre 50 euros, les clients ont droit à un colis de poulet, viande hachée et merguez en promotion.
Le gérant associé, Khalid Bouali, espère voir son chiffre d'affaires grimper comme l'an dernier. Avec la hausse de l'électricité, pour les commerçants aussi, la situation est "difficile", souligne-t-il.
Avec AFP