Six personnes sont dans le box des accusés, dont la mère de Yanis et le couple qui a hébergé le petit garçon pendant 15 jours en décembre 2018 à Auberchicourt (nord). Un séjour durant lequel l'enfant a frôlé la mort après avoir été frappé et violenté à plusieurs reprises.
Comment des adultes ont pu s'acharner avec une telle cruauté sur un enfant de 2 ans et demi ? Quelles sont les responsabilités des uns et des autres ? Pourquoi personne n’a donné l’alerte plus tôt ? Y a-t-il eu défaillance des services sociaux dans la prise en charge d’enfants en danger ? Quel futur pour Yanis, son frère et les autres enfants qui ont assisté au déferlement de violence ?
Des dizaines de questions, à l’aube d’un procès glaçant. Six adultes, mis en examen en décembre 2018, vont comparaître à partir de ce lundi 9 janvier 2023 devant les Assises du Nord. Certains sont accusés d’avoir commis des actes de torture et de barbarie inouïs sur Yanis, âgé de 2 ans et demi à l’époque des faits. D’autres vont être sommés de s’expliquer sur la non-dénonciation de ces faits, auxquels ils ont pourtant assisté.
Un procès qui va durer plus de deux semaines, durant lequel quatre associations de protection de l’enfance se sont portées parties civiles. Le verdict est attendu mardi 24 janvier.
15 jours d’horreur
Un calvaire qui s’est déroulé quatre années en arrière. Le 5 décembre 2018, la mère de Yanis, Christine P., dépose son fils, âgé de 2 ans de demi, chez un couple d’amis qu’elle revoit depuis peu. Coraline R. et Sébastien B. C’est lui, dit-elle, qui lui a proposé de déposer le petit garçon au domicile pour lui permettre "de se reposer". C’est également avec lui qu’elle a eu des relations sexuelles quelques semaines plus tôt.
Après deux années passées dans le Lot-et-Garonne, Sébastien B., sa femme et leurs cinq filles sont revenus s’installer dans le Nord, d’où ils sont originaires. Ils occupent une petite maison de lotissement à Auberchicourt (Nord), un village situé à équidistance de Douai et Denain. Yanis va y passer deux semaines. Deux semaines durant lesquelles l’enfant va vivre un enfer : il va être frappé, maltraité et torturé par plusieurs adultes, dont Sébastien B.
Yanis va recevoir des coups de pied, des coups de poing. Il va être attaché avec du scotch à une chaise, va être utilisé "comme un ballon de football". Le petit garçon va être forcé de manger sur le sol, de dormir par terre. Deux soirées vont être le théâtre d’un déchaînement inouï de violences, les samedis 8 et 15 décembre 2018. Kévin D. et son frère Jordan D., dont l’un était en couple avec la sœur de Coraline R.., étaient présents et ont participé aux violences. Des sévices insupportables, inimaginables. Nous avons fait le choix de ne pas tout retranscrire dans cet article.
Yanis, entre la vie et la mort, plongé dans le coma
Le 17 décembre, la mère de Yanis se rend à Auberchicourt. Elle découvre son fils "pâle et affiné", allongé sur le canapé. Le lendemain, Christine P. envoie des photos des blessures de l’enfant à son frère, qui la somme de se rendre aux urgences immédiatement. Elle décide finalement d’aller à l’hôpital de Dechy à 15h30, contre l’avis de Stéphane B. Face à la situation critique, les soignants préviennent la police. Christine P. est immédiatement placée en garde à vue, ainsi que 5 autres adultes, qui ont participé au déchaînement de violence ou ont assisté à celui-ci.
Au regard des multiples fractures, lésions et ecchymoses découvertes sur le corps du petit garçon de deux ans et demi, Yanis est transféré au CHR de Lille, entre la vie et la mort. Le corps médical le place dans un coma artificiel, son pronostic vital est engagé. Il se réveillera près de trois semaines plus tard.
"Quand il est sorti de l’hôpital, c’est comme si il naissait à nouveau, explique aujourd’hui son avocat, maître Alain Reisenthel. Il a dû tout réapprendre". Un apprentissage au long cours, Yanis ne reparle que depuis deux ans. "Il a réappris à marcher, à boire, à manger, à dormir, à faire confiance, à se laver. Voilà des conséquence directe de ce qu’il a subi pendant ces 15 jours".
Au-delà du petit garçon, victime principale, l’avocat défend 6 autres enfants dans ce dossier. Le grand frère de Yanis, ainsi que les 5 filles de Sébastien B., âgées de 4 à 10 ans au moment des faits. Tous ont été confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance. Certaines ont assisté aux violences subies par Yanis. Les auditions des accusés dévoileront plus tard que des violences antérieures au séjour de Yanis ont été commises sur plusieurs des enfants.
Sébastien B., principal accusé ?
Parmi les six personnes mises en examen, quatre le sont pour torture ou acte de barbarie entrainant une mutilation ou une infirmité permanente : Sébastien B., sa femme Coraline R., Kevin D. et Jordan D.
Le premier, 29 ans au moment des faits, semble être celui qui a initié les violences, rejoint à certains moments par Jordan D. et Kevin D., deux frères de 22 et 24 ans. Mis en examen pour violence sur un mineur de 15 ans sans incapacité et torture ou acte de barbarie sur un mineur de 15 ans par un ascendant et violence, Sébastien B. encourt 30 ans de réclusion criminelle.
"Il assume sa responsabilité sans se dédouaner sur les autres", affirme son avocat, maître Loïc Bussy. À l’aube de l’ouverture du procès, "Sébastien B. est impatient de pouvoir s’expliquer et d’être jugé". L’enjeu, selon la défense, est de pouvoir instaurer un débat juridique. Bien que les violences commises par son client sont "d’une extrême gravité", maître Bussy avance qu’il ne s’agit pas d’actes de torture ou de barbarie, au regard du droit pénal. Il s’explique : "le fait de faire bouffer un oignon à un gosse, ce n’est pas un acte de torture et de barbarie, ce sont des violences. On est à la limite des actes de barbarie, on n’est pas loin, sans doute. Mais j’ai cette intime conviction qu’on ne l’a pas atteinte".
Selon l’enquête de personnalité que nous avons pu consulter, Sébastien B. a lui-même été victime de violences par ascendant durant son enfance, tant physiques que sexuelles, avant d’être placé en foyer. Sans emploi fixe au moment des faits qui lui sont reprochés, il a confirmé aux enquêteurs avoir une addiction à l’alcool depuis 2017. Son casier judiciaire comporte trois condamnations pour des faits d’agression sexuelle sur mineurs alors qu’il était âgé de 15 ans, pour transport d’arme et pour violence.
Placé en détention provisoire depuis décembre 2018, il n’a jamais formulé de demande de mise en liberté. "Une preuve qu’il a conscience de la gravité des faits qu’il a commis", selon son avocat.
4 ans plus tard, des séquelles profondes pour Yanis et les enfants
Aujourd’hui âgé de 6 ans et demi, Yanis se reconstruit petit à petit. "D’apparence, on a l’impression qu’il va bien. Physiquement, c’est un petit garçon qui sourit. Mais il est pas mal détruit sur le plan physique et sur le plan psychologique, ajoute rapidement maître Reisenthel. Même quatre ans après, chaque semaine est rythmée par des visites diverses et variées devant une ribambelle de spécialistes, et c’est impératif".
C’est un petit garçon qui réagit de manière brutale et vive dès qu’il est face à une situation qui peut ressembler plus ou moins à ce qu’il a vécu il y a quatre ans : ça peut être un bruit, une odeur, de la musique, des gens.
Maître Alain Reisenthel, avocat de Yanis et des six autres enfants
Médecins, psychologues, psychiatres et référents sociaux… Tous ont été unanimes : hors de question que Yanis assiste au procès. "Le simple fait d’être mis en contact visuel avec ses bourreaux pourrait entraîner une réaction extrêmement forte et nocive, détaille l’avocat. C’est un petit garçon qui réagit de manière brutale et vive dès qu’il est face à une situation qui peut ressembler plus ou moins à ce qu’il a vécu il y a quatre ans : ça peut être un bruit, une odeur, de la musique, des gens".
Quant aux cinq filles de Stéphane B., elles devraient être appelées à la barre pour témoigner. Un choc, forcément, de se retrouver face "à leur père, leur mère, leur ancienne belle-mère" quatre ans plus tard. "Ces enfants peuvent être partagés, explique leur avocat, Alain Reisenthel. Entre l’amour d’un père ou d’une mère et cette aversion vis-à-vis de personnes qui ont détruit un petit garçon de 2 ans et demi sans aucune explication".