L'enquête avait été délocalisée à Lille, tandis que celle concernant les circonstances de la mort de Kamel est toujours en cours, au parquet de Douai.
C'est un coup dur pour la famille Kerrar, mais pas la fin de son combat. Sa plainte pour "destruction ou modification de preuves d'un crime" a été classée sans suite par le parquet de Lille, vers qui l'enquête avait été délocalisée fin 2019. "On se retourne contre l'Etat", annonce son frère Abdelhafid Kerrar, qui est tombé des nues à l'annonce de cette décision.
Le corps de Kamel Kerrar, 42 ans, avait été repêché dans la Scarpe, à Douai, le 26 décembre 2014. Les mains liées par une écharpe – qui ne lui appartenait pas – et les lacets noués entre eux, la police et le procureur de la République de l'époque Éric Vaillant avaient privilégié la thèse du suicide. Et ce alors que Kamel souffrait de sclérose en plaque. "Il était incapable de faire des nœuds !" tempête Abdelhafid.
Une lettre anonyme perdue puis retrouvée 5 ans plus tard
Les débuts de l'enquête, pour les proches du défunt, ont été marqués par une série d'erreurs, dont les principales sont la perte du sac contenant les vêtements mouillés de Kamel et celle de la lettre anonyme désignant quatre coupables. Une lettre qui aurait été retrouvée depuis dans le dossier par le successeur d'Éric Vaillant, le procureur Frédéric Teillet.Rien n'est moins sûr, pour la famille Kerrar et leur avocat. "Que ce soit une correspondance originale, on n'en sait toujours rien", assurait en juin Me Damien Legrand, car elle "ne supporte aucune trace de pliure". Les Kerrar ont fait appel à un expert pour s'assurer de son authenticité, mais selon le parquet de Lille, c'est bien l'originale qui est dans le dossier, "alors que les résultats sont pas encore arrivés !" s'étonne Abdelhafid.Quoi qu'il en soit l'enveloppe, elle, est bel et bien perdue alors qu'il aurait été possible de retrouver de l'ADN, pour la famille et son conseil.
Des vêtements disparus alors qu'ils séchaient
C'est aussi le problème que pose la perte des vêtements de Kamel. Le sac placé dans une salle de chauffage au commissariat de Douai, pour y sécher, a disparu. "C'était juste une salle avec des radiateurs. C'était pas fermé et tout le monde y avait accès. Est-ce que la femme de ménage n'aurait pas trouvé ça et mis à la poubelle ?"Pourtant, lorsque le corps avait été repêché, le médecin légiste avait posé un obstacle médico-légal : cela signifie qu'il a estimé qu'il s'agissait d'une mort suspecte. L'analyse des vêtements n'a toutefois pas constitué une priorité pour le procureur de l'époque, qui estimait dans un courrier que "les vêtements étaient mouillés, et donc que ça ne servirait à rien d'y chercher de l'ADN", cite Abdelhafid.
Mais entre temps, l'un des trois experts à qui la famille a fait appel est parvenu à trouver de l'ADN sur les lacets et l'écharpe, qui ont eux aussi passé entre 4 et 10 jours dans l'eau. "Il nous a dit que c'était possible de trouver de l'ADN sur des vêtements même s'ils ont été dans l'eau. Vous vous rendez compte que c'est à nous de faire tout ça ?"
"Une bande de rigolos"
Ce sont ces deux disparitions qui ont poussé la famille à déposer une plainte en mars 2019 pour "destruction ou modification de preuves d'un crime", afin de mettre en cause la responsabilité de la justice. Une plainte aujourd'hui classée sans suite L'IGPN, qui a été saisie, reconnaît des dysfonctionnements, mais n'ira pas plus loin. "En gros, c'est une équipe de rigolos mais ils n'ont pas fait exprès et ils ne sont pas là pour nous mettre des bâtons dans les roues", résume à sa manière Abdelhafid Kerrar.S'ils décident d'attaquer l'État, c'est que la perte de ces preuves n'est pas la seule chose que les Kerrar reprochent aux autorités. Abdelhafid accuse la police d'avoir "décidé que c'était un suicide, sans faire aucune recherche". Pourtant, insiste-t-il, plusieurs faits sont troublants : Kamel, sorti avec 300 euros sur lui, "avait zéro centime", son dentier avait été ôté et rangé dans la proche de son blouson, il n'avait plus de caleçon, était vêtu d'un polo qui ne lui appartenait pas et portait un hématome ainsi que deux traces de piqûres : une sur le bras et une sur une fesse, couverte par un pansement.
"La police a convoqué l'infirmière pour lui demander si elle mettait parfois des pansements après les piqûres", pour le traitement de la sclérose en plaque du Douaisien. "Elle a dit que ça pouvait parfois arriver, quand il saignait. Mais on ne lui a pas demandé de ramener les pansements qu'elle mettait pour comparer avec ceux qu'on avait retrouvés !"
Près de six ans de lutte, de nombreux frais d'avocat, le recours à trois experts différents... la recherche de la vérité a un prix, pour la famille Kerrar. "Ça fait six ans et j'ai toujours pas baissé les bras", assure le frère aîné de Kamel. "Mes parents, ils ont 80 ans. Ils y pensent tous les jours. Je veux découvrir la vérité avant qu'ils partent."