La cour d’assises du Nord juge quatre marins arrêtés en décembre 2015 à Boulogne-sur-Mer, lors d’une saisie record de 2,3 tonnes de cocaïne. Le vieux cargo avait été arraisonné au large, mais les vrais commanditaires n’étaient pas à bord. Que vont pouvoir raconter ces quatre-là ?
À Douai, au procès du cargo bourré de cocaïne "Carib Palm", les enquêteurs, dépendants de la bonne volonté des pays étrangers, ont raconté mardi comment ils ont tenté de remonter la filière, malgré "l'ingénierie juridique" du réseau criminel aux "capacités financières illimitées".
Qui a investi 75 millions d'euros pour faire importer en Europe les 2,3 tonnes de cocaïne ? Qui étaient les différents clients ? Pourquoi l'un des principaux accusés a-t-il été arrêté en Colombie puis libéré trois heures plus tard ?
Autant de questions auxquelles les enquêteurs français n'ont pas pu répondre, devant la cour d'assises spéciale du Nord. "C'est un exemple de ce qu'est le trafic international de cocaïne, avec derrière des organisations criminelles aux capacités financières illimitées, une logistique conséquente et l'ingénierie juridique nécessaire", a résumé le commissaire de police Guillaume Barbagli.
Difficile coopération internationale
Mi-décembre 2015, il supervisait les interrogatoires des douze marins arrêtés sur le "Carib Palm", arraisonné dans les eaux du Pas-de-Calais. Ce n'est qu'après 12 heures de recherches qu'un agent des douanes a découvert la drogue, intrigué par la peinture fraiche d'une cloison métallique en salle des machines, qui détonait "avec le reste du navire", en "très mauvais état".
Derrière, un puits naturel objet de "travaux de soudure conséquents", dissimulés sous de la mousse. Le chien n'avait rien senti.
En exploitant notamment sources publiques sur internet, téléphones des suspects, système de géolocalisation du navire, photos facebook, quelques recoupements avec des services étrangers, les enquêteurs de la police judiciaire de Lille réussissent à reconstituer le trajet du navire. Et arrivent tant bien que mal à détricoter une partie de l'organisation criminelle.
"On a beau avoir identifié ces personnes, on n'a pas été en capacité de les interpeller, on a essayé de faire de la coopération. Malheureusement, toutes les personnes ne sont pas là", a reconnu Lilian Bresson, qui a dirigé les investigations le temps de l'instruction de la JIRS de Lille, alors que six accusés sont sous mandat d'arrêt.
S'ils retrouvent le nom du bateau de pêche qui devait réceptionner la drogue dans l'archipel de la Frise, les enquêteurs n'obtiennent que "peu" d'informations des autorités néerlandaises. De ce qu'ils découvrent dans les affaires du capitaine, suggérant qu'il devait y avoir 128 ballots de drogue et non 80, la PJ s'interroge : y-a-t-il eu un autre transbordement dans l'Atlantique? Mystère.
Par la DEA américaine, ils apprendront que le principal accusé jugé en son absence et soupçonné d'avoir acheté le rafiot et organisé la traversée, est interdit de territoire américain. Mais sans savoir pourquoi. C'est lui qui a payé des appartements luxueux à une partie de l'équipage au Shakey Hotel à Saint-Domingue, avant que le bateau "fantôme" ne quitte l'île, pour la Colombie.
En Ukraine, ils entendront l'un des entremetteurs qui a démarché des marins ukrainiens à la recherche d'emploi. Mais il gardera le silence, et ne sera jamais extradé.
"Des relations"
Quant au broker panaméen, qui affichait publiquement des photos compromettantes sur facebook, il a été arrêté à l'aéroport de Carthagène à la suite d'une notice rouge d'Interpol. Mais trois heures après, il prenait un avion en sens inverse pour retourner au Panama.
"Ça démontre qu'ils ont moyens financiers mais aussi de moyens qui leur permettent d'avoir des relations qui permettent" aux principaux accusés "de vaquer à leurs occupations et de voyager", a déclaré l'enquêteur, se gardant de prononcer le mot "corruption".
De leurs déplacements en Moldavie et Géorgie, les enquêteurs n'apprennent pas grand chose. Les Turcs, eux, n'ont jamais répondu. Après un contact téléphonique, les Iles Marshall, où était domiciliée la société écran, n'ont plus répondu. "Il y a un système de sociétés très opaques", a souligné l'avocat général Antoine Berthelot, "un système de poupée russe des sociétés".
Jusqu'en février 2020, il s'agissait de la plus grosse saisie de cocaïne en France métropolitaine.