"Je commence à envisager des projets sans lui". Entretien avec Isabelle, dont le mari Philippe est malade d'Alzheimer

Depuis les premiers symptômes de la maladie d'Alzheimer, il y a 7 ans, Isabelle vit au gré de l'évolution de la maladie de son mari, Philippe. Elle témoigne de ses moments de doute, d'incompréhension, et de solitude. À l'occasion de la journée mondiale Alzheimer du 21 septembre, entretien avec cette aidante.

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Isabelle Wauthier, ancienne infirmière puéricultrice, âgée de 63 ans, a pris une retraite anticipée pour accompagner son mari Philippe, 62 ans,malade d'Alzheimer. Après le diagnostic en novembre 2022, elle dit avoir passé deux années très dures psychologiquement. Elle prévoit maintenant quelques jours de vacances sans Philippe, placé en accueil de jour trois jours par semaine.

Quand et dans quel cadre avez-vous pris connaissance du diagnostic ?

Les premiers signes à nous alerter sont apparus lorsque Philippe avait 56 ans. Ça posait quelques problèmes dans l'entreprise où il travaillait. Il faisait des erreurs, il avait des oublis, on devait refaire ce qu'il avait fait. Il était informaticien et a ensuite fait un AVC. Le langage avait été atteint, puis cela s'est résolu. Il y a eu le Covid-19 et, en 2021, on s'est aperçus - il était suivi par une orthophoniste - qu'il avait des lacunes. Le diagnostic a été posé en novembre 2021. On a su à cette période que c'était une maladie neurodégénérative. Et une ponction lombaire a confirmé le diagnostic.

Parfois, il ne se souvient pas. Parfois, il cherche "Madame Wauthier" dans la maison. Je lui dis "je suis là !" (rires).

Isabelle Wauthier, aidante, à propos de son mari atteint d'Alzheimer

La nouvelle a été brutale ?

On avait déjà des indices. Il oubliait beaucoup, il répétait beaucoup les mots, il était perdu dans l'espace. Il ne savait plus manœuvrer la voiture. Donc j'étais alertée, même s'il avait eu un AVC, je savais qu'après cela devait s'améliorer, pas se dégrader. Donc je pensais qu'il y avait autre chose. Le diagnostic a été annoncé après des examens qui ont eu lieu sur l'année 2022.

Philippe est avec vous aujourd'hui ?

Il est en accueil de jour - 3 jours par semaine - aux Oyats à Gravelines, un Ehpad avec une structure spécialisée pour les malades Alzheimer. Il sort beaucoup, fait des jeux. Il est très mobile, du point de vue physique, il n'a pas de souci. Ils font des activités sportives adaptées. Même s'il est aphasique, en raison de la maladie d'Alzheimer, il garde sa mobilité. 

Est-ce qu'il vous reconnaît ?

Pas toujours. Parfois, il ne se souvient pas. Parfois, il cherche "Madame Wauthier" dans la maison. Je lui dis "je suis là !" (rires).

Philippe faisait de la course, des marathons (...) ne fumait pas, ne buvait pas... Cela a été une grande déception et une grande douleur parce qu'on avait plein de projets pour la retraite qui s'effondraient

Isabelle Wauthier, aidante

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Comment la vivez-vous sa maladie ?

Ça a été très très dur les deux premières années. Cela a été une incompréhension. Car on dit que pour éviter la maladie, il faut avoir une vie saine, sportive. Mon mari faisait de la photo, s'impliquait dans des associations, faisait de la course, des marathons, faisait attention à ce qu'il mangeait. Il ne fumait pas, ne buvait pas... Moi, je n'ai pas compris. Et puis on s'est dit "pourquoi !". Cela a été une grande déception et une grande douleur parce qu'on avait plein de projets pour la retraite qui s'effondraient. Je savais qu'il ne pouvait pas guérir, contrairement à certains cancers. On se détruit, petit à petit : il s'éteint. Il n'y a que maintenant, au bout de deux ans, que j'arrive à me projeter sans lui. Avant je ne pouvais pas. Son accueil de jour s'est donc fait progressivement. D'abord sur une journée et maintenant trois. Trois jours, cela me convient parce que j'ai encore besoin de lui, j'aime bien quand il est à côté de moi. Et je n'envisage pas de le mettre tout le temps dans un établissement. On aime bien se promener, chanter, danser. Mais je ne peux pas le laisser seul. Il faut faire le deuil des projets qui n'auront plus lieu. Même si je veux faire quelque chose, ce sera sans lui : car je suis parti avec lui un week-end chez mon fils à Lyon, c'est toute une organisation. C'est du stress. On est parti en train, mais il est incontinent. Tout le monde n'est pas incontinent ou aphasique, mais il faut ne pas le perdre non plus, car dès qu'on n'est plus dans le champ de vision, il est perdu.

Vous sentez-vous seule ?

Bah oui, un peu. Quand il est là, ce n'est que pour lui. Pour la famille, le prendre en charge, c'est compliqué. Je ne suis pas entourée comme je le voudrais, parce que je ne peux plus aller comme je veux chez les autres. Des membres de la famille, par exemple, n'osent plus le voir. Ça leur pèse, ils ne comprennent pas. Je ne les vois plus. Les gens sont désolés mais ont peur...

On voit toujours la maladie d'Alzheimer chez les personnes âgées. Or c'est une autre problématique quand on la déclare à 56 ans, la personne est complètement valide physiquement

Isabelle Wauthier, aidante

Et l'association France Alzheimer ?

Au départ, je n'ai pas voulu me tourner vers l'association France Alzheimer. Je voulais m'éloigner de la maladie. Puis ça s'est fait progressivement. On faisait de la marche avec mon mari à Loon-Plage avec une association de marcheurs. On a été exclus du groupe car mon mari s'est sauvé en courant un jour, et cela représentait trop de responsabilités pour le président de l'association. Aujourd'hui, on a intégré France Alzheimer et on retrouve des gens qui ont la même problématique que nous. Et j'ai pu voir d'autres malades d'Alzheimer qui sont valides et on rigole, on fait des choses ensemble, et ça fait du bien.

Pourquoi avoir accepté cette interview ?

Maintenant j'arrive à en parler. Et comme mon mari est un malade jeune, je trouve qu'on n'en parle pas assez. On voit toujours la maladie d'Alzheimer chez les personnes âgées. Or, c'est une autre problématique quand on la déclare à 56 ans, la personne est complètement valide physiquement.

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