Deux ans d'enquête, 25 plaintes et un non-lieu. La justice belge a décidé de ne pas poursuivre un enseignant d'école maternelle de Mouscron. L'homme est accusé d'avoir violé et agressé sexuellement au moins 25 enfants âgés de 3 à 5 ans.
Inès Gonçalvès n'oubliera jamais ce soir du 17 octobre 2022 dans sa maison de Mouscron en Belgique. Les vacances scolaires commencent pour sa petite fille de trois ans et demi. Il est 20h30 quand elle monte la coucher : "Et là, elle me dit qu'elle a bobo à sa pépette". Infirmière, Inès Gonçalvès pense d'abord à une irritation liée à l'acquisition de la propreté. Elle s'apprête à mettre de la crème à sa fille. "Elle serre les cuisses. Elle dit que c'est le Monsieur aux cheveux longs de l'école qui a fait bobo à sa pépette".
La petite ajoute des détails qu'elle "ne pouvait pas connaître à trois ans" selon sa maman : "Quand on lui demandait ce qu'elle avait vu, elle disait qu'elle avait vu le zizi de Monsieur, que le zizi était petit et qu'il devenait grand, que Monsieur faisait pipi blanc".
Inès Gonçalvès prend le temps qu'il faut pour libérer la parole de sa fille. Elle veut comprendre, vérifier, être sûre… jusqu'à ses mots qui sont comme une détonation. Sa fille a peur : "Je ne peux rien dire, c'est un secret. Monsieur a dit que, si je le disais, j'irais en prison".
25 parties civiles dont 4 familles françaises
Le lendemain, avec son mari, Inès Gonçalvès porte plainte à la police de Mouscron, là où est scolarisée Cataleya. La petite est orientée vers une association pour enfants qui subissent des violences. Elle est vue par un psychologue qui décrit "une enfant très repliée sur elle-même", selon la mère. Son médecin l'ausculte et conclut à "une possible déchirure de l'hymen".
À la demande de sa mère, Cataleya dessine. Une petite fille pleure. Elle est en noire. Sur la même page, elle représente un sexe d'homme. Elle en dessine un autre sur une autre feuille. "À la question "Que t'a montré le Monsieur ?", elle nous dessinait son zizi. Ce sont les dessins d'une petite fille de trois ans et demi", insiste Inès Gonçalvès. La jeune mère commence à comprendre des comportements passés inexpliqués : "Elle avait beaucoup de terreurs nocturnes. Tous les matins, il y avait des hurlements pour ne pas aller à l’école".
Elle avait beaucoup de terreurs nocturnes. Tous les matins, il y avait des hurlements pour ne pas aller à l’école.
Inès Gonçalvès, mère de Cataleya
Via les réseaux sociaux, Inès et son conjoint décident alors d'interroger d'autres parents dont les enfants sont scolarisés avec leur fille. À ce moment-là, les enfants sont en vacances et ne sont pas en contact entre eux. "Le lendemain, j'ai reçu des messages de parents dont les enfants disaient la même chose que ma fille". L'affaire prend alors une tout autre ampleur. A terme, il y aura 25 plaignants dans le dossier, dont quatre Français.
L'enquête au cœur de la polémique
L'homme qui fait l'objet des plaintes est un professeur belge de psychomotricité. Il a été écarté de ses fonctions enseignantes dès novembre 2022. Le parquet de Mons a mené l'enquête. Un juge d'instruction a été nommé. Le professeur est poursuivi pour "viols avec circonstances aggravantes" en tant que détenteur d'une autorité sur les potentielles victimes.
Je ne peux pas dire qu'il n'y a pas eu d'enquête, mais l'ordre dans lequel elle a été diligentée, ça ne fonctionne pas.
Marie Cuilliez, avocate des parties civiles
Enfants, parents, personnel de l'école, enseignants… De nombreuses auditions se sont déroulées. Le prévenu, lui, n'a été entendu qu'en juin 2023. Et c'est là l'une des plus grossières erreurs de l'enquête, selon Marie Cuilliez, avocate de parties civiles : "Je ne peux pas dire qu'il n'y a pas eu d'enquête, mais l'ordre dans lequel elle a été diligentée, ça ne fonctionne pas", précise-t-elle. Selon l'avocate, il aurait fallu perquisitionner dès le lendemain de la première plainte chez le professeur incriminé, mais aussi à l'école : "Ils sont venus le chercher 10 mois après ! En l'ayant laissé en liberté… Il avait le temps de faire disparaître son matériel informatique, son téléphone, toutes les preuves". Surtout, Marie Cuilliez ne s'explique pas la disparition de certains documents du dossier, notamment ce rapport de l'unité pédiatrique spécialisée du CHR de Tourcoing qui confirmait l'état dégradé de la petite Cataleya. "Ce signalement a disparu de la procédure. Il y a des choses qui posent question".
Bien au contraire, l'avocat de l'enseignant défend la procédure telle qu'elle a été menée : "Le juge mène son instruction comme il le veut", nous explique Xavier Leclercq. "Le juge d'instruction voulait entendre tous les enfants avant".
Un non-lieu sur la forme, pas de procès sur le fond
Pour les familles plaignantes, il a fallu s'adapter et comprendre le système judiciaire belge. Une fois saisi, le procureur du roi mène l'enquête. L'instruction est confiée à un juge d'instruction. Quand le dossier d'instruction est clôturé, le procureur du roi prend un réquisitoire pour déterminer s'il y a suffisamment de charges ou pas. Un premier avis négatif a été rendu à ce stade. La Chambre du conseil a ensuite été saisie sur la forme et non sur le fond. Chambre qui a prononcé un non-lieu en novembre 2024. "Ils insinuent que nos enfants mentent", s'indigne Carla Czermak dont la fille raconte, elle aussi, des attouchements.
À ce stade, il n'y a donc eu aucun procès. De quoi susciter colère et incompréhension du côté des parties civiles : "Je n'ai pas d'explication", s'étonne Marie Cuilliez. "Ils auraient pu donner au moins le droit à un procès. C'est la première fois que je suis dans l'incapacité d'expliquer les choses à mes clients".
Vous avez une décision de justice qui est bien charpentée, qui est parfaitement motivée.
Xavier Leclercq, avocat du prévenu
Pour l'avocat de l'enseignant, la situation, au contraire, est très claire : "Il n'y a aucun élément qui permet de dire que Monsieur est coupable". Selon Xavier Leclercq, l'enquête a été minutieuse : "On a des magistrats qui font leur travail impeccablement. On n'a rien bâclé. Vous avez une décision de justice qui est bien charpentée, qui est parfaitement motivée". L'avocat du prévenu met même en doute le témoignage des enfants. Selon lui, une psychologue du dossier souligne qu'il y a chez certains enfants une "tendance à la nette exagération". Xavier Leclercq ajoute que "certains témoignages ne sont pas crédibles" avant d'interroger : "quelle est l'influence des parents à ce niveau-là ?"
L'avocat dénonce par ailleurs un acharnement contre son client : "On l'a tabassé, on a incendié son véhicule. Il y a des excréments sur sa façade. Ses enfants n'osent plus aller à l'école. C'est invivable. Il résiste difficilement, mais il résiste".
Le prévenu n'a pas repris son poste en attendant une prochaine audience. Les parties civiles ont fait appel de la décision de non-lieu. Il est donc toujours poursuivi pour viol aggravé et atteinte à l'intégrité sexuelle sur mineurs de moins de 16 ans.
De son côté, la famille de la petite Cataleya prépare ses cartons. Ils ont prévu de déménager début 2025. "On vit avec la peur de le croiser. On ne peut plus rester ici, c'est invivable".