L'histoire du dimanche - Cycliste légendaire du Paris-Roubaix, Jean Stablinski, l'homme qui est passé de la mine aux pavés

L'histoire personnelle et la carrière de Jean Stablinski sont intimement liées à l’épreuve de Paris-Roubaix. Le coureur de légende, originaire du Nord, n’a pourtant jamais remporté cette course qu’il a énormément convoitée. À l’évocation de son nom, beaucoup pensent au rôle majeur qu’il a eu pour aider Jacques Anquetil à conquérir cinq Tours de France. Mais, "Stab", comme il était nommé dans le milieu du cyclisme, est bien plus que ça.

Jean Stablinski, "c’est évoquer l’histoire de la région [du Nord, NDLR] parce qu’il était très ancré chez nous", décrit Pascal Sergent, spécialiste du cyclisme et coauteur de la vie de ce coureur (Une vie extraordinaire, le livre coécrit avec Cathy Stablinski). "C'est aussi évoquer un peu l'histoire d'une ascension grâce au sport parce qu’il était destiné dans un premier temps à être mineur de fond ou à travailler dans la métallurgie", ajoute l’écrivain.

Daniel Mangeas, célèbre speaker du Tour de France entre 1974 et 2014, se souvient d'une personne attachée aux Hauts-de-France. "C'était un personnage. Sa popularité n'est pas due au hasard parce que c'était quelqu'un de très attachant, de très chaleureux, très convivial".

"Toute la ténacité, la rage, la motivation passent aussi par les difficultés qu'il a rencontrées quand il était jeune"

Pascal Sergent - coauteur du livre "Une vie extraordinaire", avec Cathy Stablinski

Son nom d’origine est Stablewski, devenu Jean Stablinski dans la mémoire collective. C'est ainsi qu'il était nommé par la presse de l’époque. Son père a fait partie de "la vague des Polonais arrivés dans les années 20/30, pour travailler essentiellement dans les mines", explique celui qui a écrit sa biographie. Jean naît le 21 mai 1932, à Thun-Saint-Amand, dans le Nord. En narrant son histoire à Pascal Sergent, Stablinski décrit une enfance heureuse.

Mais durant la Seconde Guerre mondiale, il affronte une lourde épreuve. Celle de la mort de son père, écrasé par un camion allemand, le 13 juin 1940, lors d’un contrôle de papiers. "C'est ce qui lui a forgé aussi un peu son caractère. Il me l’a souvent dit. C'est-à-dire que toute la ténacité, la rage, la motivation passent aussi par les difficultés qu'il a rencontrées quand il était jeune". Ces caractéristiques vont l’accompagner et lui permettre de devenir le cycliste à venir.

Un caractère façonné par l'épreuve de la guerre et le travail

Au sortir de la guerre, à 14 ans, il aide sa famille à se nourrir en travaillant en tant que zingueur et arrondit ses fins de mois le week-end, en jouant de l’accordéon. Un instrument qu'"il a toujours adoré. Il animait un petit peu les bals populaires" des villages de la région. C’est par la suite que le jeune Nordiste découvre l’objet qu’il ne quittera plus en chemin : le vélo.

Dès la première année, les résultats ne se font pas attendre. Il se fait remarquer auprès des spécialistes. Seulement, sa mère ne voit pas cette nouvelle activité d’un bon œil. "Elle était très réticente, parce qu’elle se disait : s’il tombe, qu’il se casse un bras ou une jambe, il ne pourra plus travailler", résume Pascal Sergent.

Après avoir choisi la nationalité française, en pensant évoluer dans ce sport, Jean Stablinski range son vélo au garage, à 18 ans. Il suit les traces de son père, en allant travailler à la mine d'Arenberg. Mais il ne lui faut que trois mois pour décider de se remette en selle. L’objectif est clair. Il souhaite échapper au destin de mineur de fond. Afin d'assurer ses arrières, "Stab" entame des études de cimentier. Il ne lui faut pas longtemps pour renouer avec la victoire. Ce sont ses deux succès d'étape sur la Course de la Paix, en 1952, qui confortent son choix de devenir coureur professionnel.

"Il est sélectionné dans l'équipe des Polonais de France, pour participer à la course qui se déroule en Tchécoslovaquie, Pologne et Allemagne de l’Est. Il gagne deux étapes. Il perd le maillot jaune sur chute, mais il finit quand même troisième. À l'époque, la course regroupait tous les meilleurs coureurs du monde amateur des pays de l'Est”, raconte Pascal Sergent.

La même année, il dispute le tour de la Manche où est aligné un certain Jacques Anquetil. Le Directeur sportif de ce dernier repère Stablinski. "Il détecte des capacités et lui fait signer un contrat. C'est là qu'il rejoint Jacques Anquetil". En 1953, Jean Stablinski vient donc d'atteindre son objectif : être coureur professionnel.

Un coéquipier, mais aussi un leader affirmé

Après une première expérience sur le Tour de France en 1954, le Nordiste se met au service du Normand lors de la Grande Boucle 1957, l’année du premier couronnement de ce dernier. "Jean avait compris qu'il avait beaucoup de qualités, mais pas celle d’un vainqueur de Tour de France. Il était plus intéressant pour lui de se mettre au service de Jacques Anquetil, tout en tirant son épingle du jeu", analyse Pascal Sergent.

Pour preuve, il empoche cinq victoires en 12 participations sur le Tour, en jouant sa partition de stratège à chaque moment opportun. "On dit souvent que c'était l'adjoint d’Anquetil ou le capitaine de route. Ce n'est pas comme ça qu'il voyait les choses. Il se voyait plutôt comme une aide", souligne Pascal Sergent, comme l'aide d'un ami.

Daniel Mangeas se souvient de "l’intelligence de course" dont le Nordiste faisait preuve. "Lorsqu'il se glissait dans une échappée, c'était rare qu'elle n'aillait pas au bout. Mon souvenir d'enfance, c'est quand il est champion du monde en 1962, j'avais 12 ans. C'étaient les premières télévisions et on voit Jean Stablinski chercher le titre mondial. Il était à l'image de Bernard Hinault : capable d’être prêt le jour J à l’heure H".

"On a dit pour beaucoup de coureurs, c'était la tête et les jambes. Et pour Jean, c'est une appellation qui se vérifie"

Daniel Mangeas - Speaker du Tour de France entre 1974 et 2014

Ce caractère de leader permet à Jean Stablinski d’obtenir des succès de prestige : le Tour d’Espagne 1958, ou encore des classiques importantes, qui correspondent à des courses d’un jour. Il lève notamment les bras lors de la première édition de l’Amstel Gold Race en 1966, une épreuve devenue incontournable aujourd’hui. "C’est un palmarès exceptionnel tout en ayant fait une carrière qui lui permettait de mettre Jacques Anquetil dans les meilleures dispositions. On a dit pour beaucoup de coureurs que c'était la tête et les jambes. Et pour Jean, c'est une appellation qui se vérifie", considère la voix du Tour de France durant 50 ans.

Mais une rivalité existe entre les deux coureurs, ravivée chaque année à l’occasion des championnats de France. Jean Stablinski revêt à quatre reprises le maillot tricolore de champion de France sur route (1960, 1962, 1963 et 1964). Un titre que Jacques Anquetil ne réussira jamais à obtenir. À l'époque, ce titre honorifique est plus qu'une distinction. À l'époque, c'est une reconnaissance qui permet au vainqueur d’être invité sur tous les critériums. Des courses de villages, très rémunératrices.

Une anecdote illustre cette rivalité. "Jean avait demandé à ce qu'on lui fasse un maillot, avec les liserés Bleu, blanc, rouge [sur le bas des manches, NDLR] pour bien montrer qu'il avait été champions de France. Jacques n’avait pas trouvé ça très bien". C'est pourquoi ce dernier a demandé également un maillot avec un liseré tricolore, "alors qu’il n'avait jamais été champion de France sur route, mais de poursuite", précise l'écrivain.

1968, l'initiateur de la Trouée d'Arenberg

Jean Stablinski est aussi associé à Paris-Roubaix. L'épreuve fait partie des deux courses qu'il affectionne le plus, avec Bordeaux-Paris. "Il a toujours espéré gagner d'abord Bordeaux-Paris et ensuite Paris-Roubaix", révèle Pascal Sergent. Le grand événement cyclisme de la région où il a grandi. "Aurait-il échangé un de ses titres nationaux contre une victoire sur le Paris-Roubaix ?" se demande Daniel Mangeas. "Je pense quand même", conclut-il.

Seulement, cet événement ne lui a jamais réussi. "Il a souvent eu des malchances à Paris-Roubaix. Pour gagner à Roubaix, il faut d'abord être très fort, mais avoir un peu de chance. Et, il a été marqué par des chutes, des crevaisons. Il n'a jamais pu s'exprimer", explique Pascal Sergent. En 14 participations, il ne signe qu’un top 10, 7e en 1964, et doit abandonner cinq fois.

"C'est surprenant parce que c'est peut-être la course qui lui a donné envie de devenir champion cycliste et qui s'est toujours refusée à lui, un petit peu comme le maillot jaune s'est refusé à Raymond Poulidor, avec lequel il a terminé sa carrière", compare Daniel Mangeas.

En 1968, son lien avec Paris-Roubaix prend une nouvelle dimension. Son histoire personnelle, hors du cadre du vélo, vient s'imbriquer dans l'histoire du cyclisme. Inquiets de voir les pavés disparaître, les organisateurs de l'épreuve sollicitent Jean Stablinski, pour trouver de nouveaux passages pavés. Naturellement, l'ancien mineur d'Arenberg pense au chemin qu'il empruntait pour aller à la mine. Sans le savoir, il vient de créer la légende de Paris-Roubaix : la trouée d'Arenberg.

53 ans plus tard, tous les cyclistes et suiveurs du monde attendent son franchissement le premier week-end d'avril. Un passage qui fait appel à la mémoire du cycliste. "C'est l'homme qui a redessiné le Paris-Roubaix d’aujourd’hui", exprime Daniel Mangeas. Le cycliste aimera dire par la suite une phrase devenue célèbre : "Je suis le seul à être passé en dessous et au-dessus d’Arenberg".

"Même s'il avait un caractère fort, je l'ai toujours rencontré joyeux, qui avait envie d'échanger avec les autres"

Daniel Mangeas - Speaker du Tour de France entre 1974 et 2014

Avant d'entrer dans ce redoutable passage, les coureurs de l'Enfer du Nord, passent devant la stèle Jean Stablinski, inaugurée en 2008. Sa mémoire est assurée par l'association des amis de l'ancien champion, dont fait partie Pascal Sergent.

Ce dernier retient le caractère de l'homme avec lequel il a entretenu de longs et nombreux échanges. "C'était quelqu'un avec qui il était intéressant de discuter parce qu’il était très ouvert." Daniel Mangeas évoque également son altruisme. "On sentait qu'il avait envie de transmettre son bonheur. Même s'il avait un caractère fort, je l'ai toujours rencontré joyeux, qui avait envie d'échanger avec les autres." Des caractéristiques qui ont donc formé l'identité du coureur qu'il a été.

Jean Stablinski, décédé le 22 juillet 2017, sera à coup sûr dans les têtes de beaucoup de suiveurs de Paris-Roubaix, cette année encore. Au moment où les acteurs s'emploieront à accélérer la course, dans ce lieu stratégique chargé d'histoire, ils se remémoreront ses plus grands exploits, parmi ses 108 victoires.

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