Fort de ses 21 sélections en équipe de France, le Beauvaisien Marcel Communeau a su imposer sa vision moderne du rugby dans les premiers temps forts de la sélection nationale au début du XXe siècle. C'est notamment grâce à lui que le coq est présent sur le maillot du XV de France.
"Il aurait été un grand joueur à toutes les époques", disait de lui l'un de ses anciens coéquipiers Emile Lesieur lors d'une interview accordée au Monde en 1980. Une chose est certaine, Marcel Communeau a laissé son empreinte dans l'histoire du ballon ovale grâce à sa vision du jeu et son amour pour le maillot tricolore.
Né le 11 septembre 1885 à Beauvais, l'ancien capitaine du XV de France a grandi dans une famille d'industriels. Son grand-père possédait une manufacture de textile, l'une des entreprises les plus importantes de la ville à l'époque. Voué à faire de grandes études, Marcel Communeau est envoyé en pension en région parisienne à l'âge de 12 ans. D'abord au lycée Janson de Sailly puis au collège Albert Le Grand d'Arcueil. C'est là-bas qu'il prend goût pour le rugby. L'établissement encourageait vivement les élèves à la pratique de ce sport. "Il fit la rencontre de Louis Dedet, professeur de philosophie et capitaine du Stade Français, il y avait une filiation assez naturelle entre les deux. C'était une sorte de mentor pour lui", relate Frédéric Humbert, historien et collectionneur passionné de rugby.
Naturellement, comme Louis Dedet, Marcel Communeau, après avoir foulé ses premiers terrains de rugby avec l’équipe d’Albert Le Grand, entre au Stade français. Depuis 1892, le championnat de France initié par Pierre de Coubertin, rassemble exclusivement des clubs parisiens. Il faudra attendre le début des années 1900 pour voir triompher les clubs de province, le premier vainqueur du championnat de France non parisien étant le Stade bordelais.
Côté équipe nationale, à ce moment-là, le XV de France n'en est encore qu'à ses balbutiements. L'Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA) fonde la première sélection de rugby à XV en 1893. "À cette époque, on fait des matchs, mais on n'a pas encore le niveau pour se mesurer aux autres équipes nationales, explique Frédéric Humbert. Et puis il y a eu ce fort rapprochement avec l'Angleterre - l'Entente cordiale signée en 1904 entre les deux pays - qui fait que cela se retrouve également dans le monde du sport. L'équipe de France va se mesurer à des clubs anglais notamment."
Les All Blacks comme premiers adversaires
Le premier match officiel de l'équipe de France a lieu le 1er janvier 1906 et pas face à n'importe quelle équipe. Les All Blacks, qui sont en pleine tournée européenne, acceptent de se mesurer aux Français. Le score est sans appel : 38 à 8. "Il y a clairement une différence de niveau, c'est une période où le rugby français est en apprentissage, il y avait même quelques joueurs britanniques qui venaient jouer dans les clubs", explique Frédéric Humbert.
L'équipe de France, menée par le capitaine Henri Amand, comporte en effet ce jour-là deux joueurs étrangers : l'Anglais William Crichton et l'Américain Allan Muhr. Malgré le score, les Français se félicitent d'avoir marqué tout de même deux essais. "Quoique battue hier par l'équipe de rugby néo-zélandaise, la France eut la satisfaction de marquer contre les All Blacks plus de points qu'une équipe anglaise et autant que Cardiff", écrit le journal New-York Herald.
Face aux Anglais en 1906, le premier "Crunch" de l'histoire, les Français ne feront guère mieux. Mais cette rencontre du 22 mars sonne comme le premier véritable duel entre les deux équipes rivales. Tout comme face aux Blacks, c'est une déculottée : 35 à 8. "Malheureusement, le jeu proposé par ces Bleus ressemblait énormément au rugby d'antan", écrit l'Auto, l'ancêtre de l'Équipe, à l'issue de la rencontre.
Promoteur d'un rugby moderne
Titulaire lors de ces deux matchs, Marcel Communeau va tenter de se détacher de ce "vieux rugby." Excellent avant - on lui attribue une position de 3e ligne -, celui qui a fini major de Centrale s'avère être un formidable tacticien, soucieux de faire circuler le ballon et de développer des phases de combinaisons. "Il considère que les avants doivent être disponibles dans le jeu, affirme Frédéric Humbert. Alors qu'habituellement il n'y a pas beaucoup d'interactions entre les avants et les arrières."
Dès 1907, lors d'un autre France-Angleterre, Marcel Communeau devient capitaine du XV de France. Il le sera 14 fois entre 1907 et 1912. "Un record absolu avant-guerre. La France aura joué 28 matchs au total", précise l'historien. Après 1910, le rugby se veut plus collectif. Marcel Communeau prend son rôle de capitaine à cœur : plus affirmé et directif dans la conduite du jeu qu'aujourd'hui. "Il semble impossible de ne pas s’entendre avec ce bon garçon qui accepte de représenter la France sans vouloir croire qu’il joue un rôle immense dans la diplomatie européenne ; tout à fait place, à la fois comme joueur et comme capitaine, il plaît à nos voisins", écrivait à propos de lui le journaliste Fernand Bidault dans l’Auto de février 1909.
Le coq, un emblème "bien plus français"
Et son influence ne s'arrête pas là puisque c'est lui qui demandera de porter l'emblème du coq sur le maillot du XV de France. Auparavant, seuls les deux anneaux bleus et rouges de l'USFSA apparaissaient. Mais après la fabuleuse première victoire de l'équipe de France face à l'Écosse le 2 janvier 1911, les rugbymen veulent afficher clairement leurs couleurs. "Je me fais ici l'interprète de nombreux sportsmen, qui en ont fait la remarque en demandant que l'on remplace sur notre maillot les deux anneaux enlacés par cet emblème bien plus français et que nous croyons dignes de porter pour faire aussi lever le jour glorieux de l'athlétisme : Le Coq Gaulois", écrit-il dans une tribune du journal La Vie au Grand Air du 14 janvier 1911.
Si le coq a pu faire son apparition lors de matchs informels, notamment en 1905, c'est bien à partir de la décision officielle de l'USFSA le 21 janvier 1911, qu'il vient, non pas remplacer, mais se percher sur les deux anneaux bleus et rouges. Après la création de la Fédération française de rugby en 1920, les anneaux sont retirés, mais le coq trônera toujours sur la poitrine des joueurs du XV de France.
Quant à Marcel Communeau, il connaît en ce temps une certaine notoriété et fait la une de plusieurs hebdomadaires sportifs après cette victoire face à l'Écosse. "C'était quelque chose parce que même si le rugby est le plus important des sports collectifs d'avant-guerre, la part de ces sports dans l'opinion publique est encore assez faible", souligne Frédéric Humbert.
Soldat dans l'aviation et industriel
Marcel Communeau aura passé l'ensemble de sa carrière au Stade français jusqu'en 1913, avec semble-t-il un interlude en 1912 où il revient dans sa ville natale au Véloce Club Beauvaisien. En 1914, il est envoyé au front. Il officiait dans l'aviation. Pour ses faits d'armes, il obtient la Croix de guerre en 1918, puis plus tard la Légion d'honneur en 1932.
Son autre vie, il la passera à la tête de la manufacture familiale à Beauvais. Il reviendra à quelques courtes reprises dans le monde du rugby, notamment en tant que membre de la commission des "sages" dont la mission étaient d'apaiser les tensions entre la fédération française et les fédérations britanniques en 1931.
Il participera également à l'écriture d'un petit fascicule intitulé "L’Art et la pratique du Football Rugby, illustré par la photographie", une sorte de petit manuel pour apprendre à jouer au rugby.
Sa ville natale ne l'a jamais oublié, le stade du Beauvais RC porte aujourd'hui son nom. Le rugby international non plus : depuis 2015, il fait partie des personnalités honorées au World Rugby Hall of Fame.