Alors que les salariés de Castorama (qui appartient au groupe Kingfisher), se mobilisent pour empêcher une délocalisation des services comptabilité en Pologne, plusieurs d'entre eux pointent du doigt le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) reçu par le groupe pour Castorama.
Une entreprise peut-elle bénéficier d'un crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), puis délocaliser une partie de ses services à l'étranger ? La question se pose alors que le groupe Kingfisher, qui détient les enseignes Castorama et Brico-Dépot en France, a annoncé vouloir délocaliser ses services comptabilité en Pologne.
Délocalisation des services comptabilité de Castorama: que le groupe Kingfisher rembourse tout ce qu'il a gagné au titre du CICE ! Cette course aux bas salaires au sein de l'UE et ce dogme de la libre concurrence condamnent la France au chômage de masse... https://t.co/iDxpTvljCj
— Dominique Martin (@DMartinFN) November 21, 2017
Chez #Castorama et #BricoDepot, le #CICE soigne la compétitivité en détruisant l’emploi.
— Rémi Vandeplanque (@R3m1VDP) November 14, 2017
Communiqué de presse #CGT à partager massivement. https://t.co/rCYoKVaEc2
Ce matin, les salariés du groupe se sont réunis devant le siège de l'entreprise, situé à Templemars, pour souligner cette question et alerter sur les risques de suppressions... d'emplois, justement. Or, en 2016, le groupe Kingfisher a touché 16 millions d'euros de crédit d'impôt pour la partie Castorama via le CICE et 9 millions d'euros pour la partie Brico-Dépot. A cela, il faut ajouter 25 millions d'euros d'aides au titre des réductions Fillon sur les bas salaires pour Castorama et 21 millions d'euros pour Brico-Dépot. Soit 71 millions euros d'aides publiques en tout.
Pas de contrôles
Depuis la création de ce crédit d'impôt, mis en place sous le mandat de François Hollande en 2012, de nombreuses entreprises ont bénéficié de ces remboursements, y compris des grands groupes. "Le CICE a pour objet de financer les dépenses d'investissement, de recherche, d'innovation, de formation, de recrutement, de prospection de nouveaux marchés, de transition écologique ou énergétique et de reconstitution de leur fonds de roulement", peut-on lire sur le site service-public.fr.
Pour l'obtenir, il suffisait d'avoir des salariés... et d'en faire la demande. Problème : si ce crédit d'impôt est censé bénéficier à la compétitivité et par effet boule-de-neige, créer des emplois, aucune justification ou contre-partie n'est demandée aux entreprises bénéficiaires. D'ailleurs, il est également précisé sur le site economie.gouv.fr que "l’administration fiscale ne contrôlera pas l’utilisation du CICE : un CICE qui ne serait pas utilisé conformément aux objectifs d’amélioration de la compétitivité de l’entreprise ne fera donc l’objet d’aucune remise en cause par l’administration fiscale".
Un crédit d'impôt pour aider... à licencier ?
En clair, ce crédit doit servir à améliorer la compétitivité des entreprises en France, mais si ce n'est pas le cas... L'Etat ne peut pas demander son remboursement. "On a demandé à la direction comment ces crédits d'impôts avaient été utilisés au sein de l'entreprise", explique Jean-Paul Gathier, délégué Force Ouvrière. "On nous a répondu que cela avait servi à des "investissements", notamment dans les magasins et pour notre système informatique. Mais c'est une réponse de dupes : les investissements magasins ne dépendent absolument pas de ça mais d'un taux de retour sur investissements", poursuit le syndicaliste.
D'après lui, les investissements informatiques sont en outre... ce qui a justifié la décision de délocaliser. "Le groupe a investi pour que tout le monde travaille sur le même système informatique. A partir de là, il était possible d'envisager de tout regrouper au sein d'un centre de coûts partagés, en Pologne", soupire Jean-Paul Gathier. "C'est paradoxal : le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi a été utilisé pour supprimer des emplois."
Déjà pour Whirlpool
Plus tôt dans l'année, la question du remboursement des aides s'était déjà posée pour Whirlpool, qui avait annoncé son intention de délocaliser l'entreprise en Pologne, également. Xavier Bertrand et Benoît Hamon avaient alors tous deux demandé à ce que Whirpool rembourse les aides fiscales reçues. "Quand on soutient l'activité pour que l'emploi soit ici, il est normal que l'on demande le remboursement quand l'emploi s'en va ailleurs", avait alors déclaré Benoît Hamon.
Si #Whirlpool a touché le CICE, le montant perçu doit être rendu pour aider à la ré-industrialisation du site d'Amiens. pic.twitter.com/x4kDquMtNn
— Xavier Bertrand (@xavierbertrand) 1 février 2017
A l'heure actuelle, Castorama ne communique pas encore sur le nombre de postes qui pourraient être supprimés suite à cette délocalisation. Une seule indication, vague, dans le communiqué transmis ce matin : Castorama et Bricot Dépot "réaffirment leur engagement à proposer une solution de reclassement à chaque collaborateur concerné par ces évolutions, et à susciter des opportunités de redéploiement vers d’autres métiers, vers d’autres parcours professionnels". Les syndicats estiment à 550 le nombre d'emplois concernés.
En Italie, le gouvernement a lui aussi créé un système similaire de crédit d'impôt pour favoriser l'emploi. Seule différence : là-bas, ces aides sont remboursables en cas de licenciements économiques...
Licenciements économiques ?
Sur la question d'éventuels licenciements économiques pour les employés Castorama à Templemars et en France, là aussi, c'est le grand flou. En effet, les ordonnances travail viennent chambouler le cadre législatif qui s'applique à ce type de licenciement. Le groupe Kingfisher pourra-t-il, oui ou non, licencier de cette sorte ?
Jusqu'à présent, avant de prononcer des licenciements économiques, la situation financière globale des multinationales était regardée. Une entreprise mal en point au niveau français, par exemple, ne pouvait prononcer des licenciements économiques si elle était bénéficiaire au niveau du groupe. La Loi El Khomery avait prévu de transformer cette disposition pour n'étudier la situation du groupe qu'au niveau national, avant que l'option ne soit retirée du projet de loi. Aujourd'hui, les ordonnances travail défendues par Emmanuel Macron ont réintégré l'idée.
"Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun au sien et à celui des entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national", indique ainsi l'ordonnance parue au Journal Officiel le 23 septembre 2017.
"Quand on a souligné que cette délocalisation allait peut-être impliquer des suppressions d'emploi, on nous a répondu qu'il y avait une baisse de chiffre d'affaire en France, comme si c'était une raison. Mais c'est absurde !", s'emporte Jean-Paul Gathier. En effet, pour le premier semestre de l'année 2017, le chiffre d'affaires du groupe en France était en recul de 4,6%. Concrètement, le groupe pourrait donc mettre en avant le fait que, malgré sa bonne situation générale (les ventes totales du groupe ont progressé de 4,5% à six milliards de livres), en France, cela ne va pas bien... et justifier ainsi certains licenciements.
"En réalité, le groupe fonctionne bien en France, on continue à gagner de l'argent", résume Jean-Paul Gathier. "S'il y a eu une légère baisse du chiffre d'affaire, c'est à cause des changement stratégiques que nous a imposé le groupe." Le syndicaliste fait référence à une transformation de l'approvisionnement. En clair, le nombre de fournisseurs a diminué pour laisser un choix moindre aux consommateurs. D'après Jean-Paul Gathier, cela a créé des retards dans les livraisons (une ou deux entreprises se retrouvant avec beaucoup plus de commandes d'un coup) et des hésitations de la part des clients, habitués à acheter des produits disparus des rayons.
"C'est normal qu'il y ait un trouble lors de tels changements. Il faut que tout le monde s'habitue", plaide Jean-Paul Gathier. La situation économique du groupe en France pourrait donc très rapidement repartir sur de bons rails. Par ailleurs, le groupe Kingfisher a promis à ses actionnaires 700 millions d'euros de dividendes supplémentaires à ses actionnaires d'ici 2020, selon nos confrères de Libération. Tout va bien donc...