"On a vu des choses complètement hallucinantes" : le Syndicat des avocats de France dénonce les conditions de garde à vue dans la métropole lilloise

Le Syndicat des avocats de France a documenté, dans un rapport, les conditions de garde à vue dans quatre commissariats et gendarmeries de la métropole lilloise. Odeur nauséabonde, détritus, sanitaires inutilisables... Le constat est alarmant.

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Des constats "accablants" à travers toute la métropole lilloise. Ce sont les conclusions du rapport co-écrit par le Syndicat des avocats de France (SAF) et de l'ordre des avocats de Lille. Pendant des mois, ils ont documenté les conditions de garde à vue dans les commissariats de la métropole lilloise.

À l'aide d'un questionnaire standardisé, remis par 412 avocats, ils ont documenté point par point les manquements à la dignité humaine en garde à vue. 

Des commissariats à contre-sens de la loi

"L'objectif de ce rapport inédit était de documenter la situation de la manière la plus objective possible, on espère que c'est le cas avec les moyens à notre disposition, entame Me Antoine Chaudey, président du SAF pour la section lilloise. C'est difficile d'alerter sur les conditions des gardés à vue, mais je rappelle tout de même qu'il s'agit parfois de mineurs, de femmes enceintes, de personnes porteuses d'un handicap ou dans une extrême fragilité, qui sont tous présumés innocents quand ils mettent le pied dans ces locaux."

Au-delà de la sensibilité de chacun, la loi est claire. L’article préliminaire du Code de procédure pénale dispose que les mesures de contrainte appliquées à une personne suspectée "doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne". Plus explicitement encore, l'article 63-5 du même texte insiste sur ce point : "La garde à vue doit s'exécuter dans des conditions assurant le respect de la dignité de la personne."

Pourtant, les statistiques compilées par l'enquête, ainsi que les photos prises à Lille, Roubaix, Tourcoing et La Bassée (zone gendarmerie) montrent une toute autre réalité. Dans ces quatre localités, dans 58% des cas, l'enquête conclut à des locaux ne respectant pas l'exigence de propreté. 78% des sondés déclarent n'avoir pas eu accès à un point d'eau en cellule et 63% n'ont pas eu accès aux toilettes. Dans 42% des cas, l'enquête atteste également de l'absence de chauffage. Les kits d'hygiène - pourtant rendus obligatoires par le Conseil d'Etat, sont absents dans plus de 83% des cas. 

À Roubaix et Lille, des cellules "dégueulasses"

"En parallèle de ce questionnaire, nous avons visité des locaux. Les conclusions sont que de façon générale, les conditions élémentaires de dignité ne sont pas respectées, à des degrés divers", résume Me Antoine Chaudey, avant de détailler au cas par cas. 

"La palme de l'immondice est à Roubaix, où rien ne va. On a vu des choses complètement hallucinantes. Il y a des toilettes en cellule, mais elles sont impossibles à utiliser, celles à l'extérieur sont bouchées avec de l'urine partout. Les kits hygiène, ça n'existe pas", dépeint l'avocat.

Le rapport note que, dans ce commissariat, faute de matelas en nombre suffisants, certains gardés à vue dorment à même le sol. La douche et les toilettes y sont inutilisables "compte tenu de leur état". 

"L’odeur dans les cellules est nauséabonde. Dans la première cellule visitée l’odeur est difficilement tenable. Des détritus sont empilés dans les toilettes (...) laissant penser que le ménage n’a pas été fait pendant deux ou trois jours. Il est à noter que les cellules ne comportent pas de poubelles", développent les auteurs du rapport. "L’état des locaux n’apparaît pas imputable aux gardés à vue : nous n’avons pas observé de projections d’aliments, sang ou excréments sur les sols ou les murs, ni de dégradations de type graffitis", observent-ils par ailleurs.

Pour Me Antoine Chaudey, le commissariat de Lille occupe la deuxième place sur ce sinistre podium. "Il y a eu des travaux il y a peu de temps, c'est un peu plus propre même si c'est cosmétique. En revanche, les cellules pour les mineurs sont absolument dégueulasses, au même niveau de ce que l'on peut voir à Roubaix. Il y a un problème de moucherons, dû à une ventilation défectueuse, avec des locaux qui sont manifestement sous-dimensionnés."

Enfin, le constat est un peu moins dur à Tourcoing et La Bassée. "À Tourcoing, c'est un peu plus propre, ça va un peu mieux même si on constate des points d'eau défectueux. À La Bassée, on constate quand même que les choses fonctionnent, comme quoi, c'est possible. On a des couvertures en coton à usage unique, par exemple, c'est un dispositif satisfaisant, des locaux correctement dimensionnés avec un accès la lumière extérieure... Il y a tout de même des soucis, on a pu voir entre autres des repas périmés. Mais si on veut faire une comparaison, ça se passe mieux", conclut le président du SAF Lille.

Le Syndicat des avocats passe à l'action

Face à ces constats alarmants, le Syndicat des avocats de France ne compte pas rester inactif. "On est obligés de mener ce combat et notre but est de multiplier les recours pour qu'enfin, nous ayons des conditions qui soient dignes", appuie Me Chaudey. 

Sur la base des éléments recueillis, lui et ses confrères vont procéder à la saisie du tribunal administratif de Lille, dans le cadre d'une procédure de référé-constat, pour qu'un expert soit mandaté dans les meilleurs délais afin de sanctuariser leurs observations. "Peut-être ensuite il sera possible de saisir de nouveau le tribunal pour qu'il enjoigne l'État à se mettre en conformité avec la loi."

La seconde possibilité, le SAF compte la mettre en place dans le courant de l'année 2023, lors des audiences de comparution immédiate. Chaque jour, à 14h, environ 4 ou 5 dossiers y sont examinés. 

"On va systématiquement soulever des conditions de nullité. Ce sont des vices de procédure, puisque le Code de procédure pénale dit bien que la garde à vue doit se dérouler dans des conditions qui respectent la dignité humaine et nous apportons la preuve que le compte n'y est pas à Lille. Nous demanderons donc au tribunal d'annuler toutes les procédures. Nous espérons remuer les choses pour que l'État prenne ses responsabilités."

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