PORTRAIT. Municipales à Lille : qui est Stéphane Baly, le Vert qui défie Martine Aubry ?

Dans un sondage paru ce mercredi, Stéphane Baly, candidat EELV, talonne de très près la maire de Lille Martine Aubry. Au point de pouvoir prendre le beffroi. 

Ne boudons pas notre plaisir. C'est grâce à notre chaîne, France 3, qu'il y a enfin une élection municipale à suspense à Lille. L'intérêt de Stéphane Baly pour la planète - et donc son engagement pour l'environnement, et donc son ralliement aux écologistes, et donc son joli score du premier tour, et donc son statut de challenger dans un sondage - prend sa source dans une série animée diffusée sur FR3 à partir de 1978. "Il était une fois l'homme". L'histoire de l'humanité, des origines à la fin du XXème siècle. Un classique. Le générique se termine par des hommes courant vers une fusée pour fuir une terre sur le point de se détruire. Quatre mots apparaissent alors en lettres rouges : "Et la terre fût... " Flippant.

Le petit Stéphane est très impressionné. "J'ai une dizaine d'années quand je vois ça à la télé, se souvient-il, et je prends conscience qu'il n'y a pas de plan B pour la planète."  Quarante ans plus tard, un vilain virus nous confirme que cette planète va mal. Et Stéphane Baly espère une prise de conscience des électeurs lillois pour battre Martine Aubry, le 28 juin. Sa formule : "Penser global, agir localement".

C'est possible... mais la marche est haute. Le candidat d'Europe-Ecologie-Les Verts (EELV) était quasiment un inconnu juste avant le premier tour, alors que son adversaire est l'une des femmes les plus en vue dans le paysage politique français. Quand Martine Aubry pousse pour la première fois les portes du pouvoir, Stéphane Baly n'est encore que ce gamin scotché devant un dessin animé. Aubry, c'est quarante ans de carrière, dans les ministères, dans des fauteuils de ministre, dans les fauteuils de maire et de présidente de Métropole, comme cheffe de parti. Aubry, fille de Jacques Delors, c'est aussi une filiation prestigieuse. C'est un caractère, une stature, une autorité. Une femme populaire aussi. En décembre 2019, dans un sondage, les 3/4 des Lillois se disaient satisfaits de son action à l'hôtel de ville. Mais les sondages ne sont pas les élections. Au soir du 15 mars, malgré une prime au sortant qui a profité à bon nombre de maires en France, Martine Aubry cale sous la barre des 30%. Et malgré sa faible notoriété, Stéphane Baly hisse les écologistes à un niveau jamais atteint à Lille : 24,5%. Leur duel s'annonce serré.

Etonnant ce Stéphane Baly. Il a quitté sa Bretagne natale (il y a une église Saint-Jean du Baly à Lannion, dans les Côtes d'Armor) pour faire ses études dans l'Oise, puis a rejoint le Nord pour devenir enseignant-chercheur. Ce quadra a longtemps cultivé des allures d'adolescent. Un faux rêveur diplômé des plus grandes universités française et anglaise. Une grosse tête mais un petit gabarit. Une voix posée. Une extrême courtoisie. Toujours calme. L'air de ne jamais s'affoler. Discret. Un peu de raideur. Beaucoup de retenue.

Le clan Aubry a cru que le gentil écolo allait se faire avoir.

Dominique Plancke, militant écologiste, ancien adjoint de Martine Aubry

Une anecdote est révélatrice du bonhomme : en avril et mai, entre les deux tours, en pleine bagarre avec l'équipe Aubry pour négocier une éventuelle fusion des listes, Stéphane Baly dormait parfaitement bien. Aucun trouble du sommeil malgré la pression et les enjeux, à l'inverse de son entourage qui cogitait et fulminait jour et nuit. "J'étais serein, dit-il simplement. Je n'ai rien lâché." "Le clan Aubry a cru que le gentil écolo allait se faire avoir, confirme Dominique Plancke, militant historique des Verts sur la Métropole lilloise. Mais Stéphane a su rester ferme sur ses positions."

Le grand paradoxe de ce second tour, c'est que le choc frontal entre les verts et les socialistes lillois apparaît finalement comme un soulagement pour les deux camps, sans qu'on puisse vraiment s'expliquer la férocité de cette rivalité. La rupture a comme "libéré" les anciens alliés de la majorité municipale. Martine Aubry, esprit brillant mais un peu vachard, se moquait gentiment de ces écologistes défenseurs des petites fleurs et des abeilles, pestait souvent contre ces pinailleurs dogmatiques, s'irritait de ces donneurs de leçons. Maintenant, elle peut dire tout haut ce qu'elle pensait (presque) tout bas. Pendant le confinement, la maire de Lille renverse la table, affirmant qu'elle n'a plus confiance en ses anciens "amis", qu'elle n'a "plus rien en commun" avec eux, qu'elle ne veut  "pas faire entrer l'opposition dans sa majorité". Idem pour Stéphane Baly. On sent que lui aussi était sur les freins depuis trop longtemps. Désormais, il se lâche. "On ne parlait pas la même langue, dit-il. Nous proposions une équipe renouvelée, à la proportionnelle, en fonction du résultat des uns et autres au premier tour. Une voix une personne. Ni plus ni moins. Mais Martine Aubry - que je n'ai jamais vue - voulait la majorité absolue pour pouvoir continuer à gérer la ville en solitaire. Ok. C'est en solitaire qu'elle fera naufrage."

Ils ne s'aiment pas

Etonnant cette opposition Baly-Aubry. Car ils ont beaucoup en commun. Tous deux sont du genre "à ne rien lâcher". Tous deux sont de belles machines intellectuelles. De bons élèves. Elle a fait l'ENA. Il est ingénieur en génie mécanique, docteur en sciences diplômé de l'Imperial College of London. Ce sont des bosseurs qui respectent les bosseurs. Ils sont fidèles à leurs convictions, à leur (unique) famille politique, à leur ancrage à gauche. Ils ne quittent pas leur camp pour le camp du voisin, pratique si courante aujourd'hui. Ils ne quittent pas le navire dans la tempête. Ils détestent les girouettes, les fades, les petites combines. Ce sont des européens convaincus. Ce sont des pudiques. Ce sont des pugnaces et des courageux.

Tous deux ont un ennemi suprême : l'extrême-droite. Aux élections régionales de 2015, Martine Aubry prend tous les risques et s'engage "sans réserve" pour le vote Bertrand contre Marine Le Pen. Aux élections régionales de 1998, c'est l'accord entre la droite et le FN, en Picardie, qui incite Stéphane Baly à s'engager en politique. Mais après six années passées ensemble au sein du conseil municipal de Lille, ces deux là ne se supportent plus. Elle méprise "ces amateurs"; il n'accepte plus les "petits arrangements avec la vérité". A 70 ans, enfin débarrassée de la droite, de l'extrême-droite et de l'extrême-gauche, elle ne veut plus courber l'échine devant quiconque. A 48 ans, il ne veut plus être traité comme un gamin ni subir l'hégémonie du PS. Au final, l'explication est peut-être très simple : ils ne s'aiment pas. 

Stéphane Baly est sûrement charmant et souriant devant les médias, mais il est en réalité très... comment dire... très différent.

Roger Vicot, maire de la commune associée de Lomme, proche de Martine Aubry

"Stéphane Baly est sûrement charmant et souriant devant les médias, mais il est en réalité très... comment dire... très différent, nuance Roger Vicot, maire socialiste de la commune associée de Lomme, présent à cette fameuse réunion du 28 mai au cours de laquelle la possibilité d'une fusion a définitivement tourné court. Au bout de dix minutes, Stéphane Baly a quitté la réunion au prétexte que Martine Aubry était absente. C'était caricatural ! Il n'en avait rien à battre du projet pour Lille, des projets sur lesquels on pouvait s'accorder. Lui veut tenter sa chance. C'est la consigne au niveau national. Point." "Stéphane Baly fait partie des plus modérés chez les Verts, précise Thierry Pauchet, centriste et chef de file de l'opposition lilloise durant le dernier mandat. C'est une personne que j'estime, compétent, pédagogue, qui a ouvert ma conscience aux problèmes environnementaux. Mais derrière lui, ce sont des fous furieux ! Des écolo-marxistes qui le poussent à draguer les Insoumis et lui ferment l'accès à l'électorat centre-droit. Il ne sait ou ne peut leur résister."

C'est vrai qu'ils sont énervants ces écologistes. Querelleurs, indisciplinés, moralisateurs. Et déconnectés : quand Stéphane Baly, qui prend soin de se montrer toujours à vélo, qui n'a possédé dans sa vie que deux vieilles 4L et critique les trois milliards d'aide du gouvernement à Renault, on se demande ce qu'il connaît de l'économie réelle. La réponse est plus nuancée. Stéphane Baly, gros lecteur de presse, ne vit pas dans sa bulle. "Il fait partie de cette génération de militants écolo qui justement n'est pas déconnectée, explique Dominique Plancke. Il roule à vélo et possède des ruches, mais il n'est pas un extra-terrestre. Il n'est pas de la génération précédente qui souvent était passée par l'extrême-gauche avant de rejoindre les Verts. Il connaît bien le monde de l'entreprise. Il a de bons rapports avec le milieu économique. Avec lui, on n'a pas de problème pour avoir un rendez-vous avec Louis-Philippe Blervaque, le président de la CCI ; ou avec Philippe Vasseur, avec qui il siège au Forum de la Troisième Révolution Industrielle. Il est membre du Conseil Economique et Environnemental Régional (CESER), ce qui l'amène à côtoyer des patrons et des syndicalistes. Et il est co-fondateur d'Enercoop Nord-Pas de Calais. Ça fait beaucoup. C'est du concret." Le réseau Enercoop, présent sur tout le territoire, fonctionne comme une coopérative de fourniture d'électricité "verte".

Les producteurs indépendants de cette énergie renouvelable - essentiellement hydraulique et éolienne - injectent leur courant dans le réseau mais touche de la coopérative une juste rémunération. Le surcoût est de 8% pour le consommateur. 15 bâtiments publics de la ville de Lille se fournissent chez Enercoop. Stéphane Baly, administrateur, en est fier : "On a 100 000 clients en France. On est la société coopérative d'intérêt collectif  la plus grande en France."  

En vieux breton, un baly évoque une allée bordée d'arbres, plantée en droite ligne et qui conduit à la maison. Les écologistes croient en leur chance. Ils espèrent que leur Baly va les conduire jusqu'en mairie de Lille. La maison commune.

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