Plusieurs témoignages de manifestants dénoncent des "arrestations préventives". Nous avons rencontré deux jeunes, à la sortie de leur garde à vue. Ils affirment avoir été appréhendé par les policiers alors qu'ils accrochaient une banderole, avant le départ du cortège contre la réforme des retraites.
Les premiers manifestants convergent vers la porte de Paris, le point de rendez-vous de la mobilisation, une petite heure à peine avant le début du cortège. Les forces de l’ordre, aussi, se positionnent déjà sur le parcours. Les rues sont calmes. Un groupe de manifestants choisit d’accrocher une banderole sur un échafaudage, en hauteur, sur un point de passage clé de la manifestation. Leur message : “face aux violences d'état, de Lille à Sainte-Soline organisons la contre attaque”, référence aux violences survenues en marge de la manifestation anti-bassines dans les Deux-Sèvres, le week-end dernier. Ils sont appréhendés par les policiers.
Dans ce groupe, deux manifestants qui veulent se faire appeler Louis et Mira. Un homme, une femme, chacun la trentaine environ. Ils sont habitués aux contestations sociales. Mais cette fois, surpris d’être interpellés. “Ils nous ont d’abord conduit dans un camion. Au début, on croyait à un contrôle d’identité. On ne s’inquiétait pas trop et on se disait qu’on allait quand même pouvoir participer à la manifestation” analyse Mira.
Finalement, Louis et Mira, ainsi que d’autres personnes sont conduits dans les locaux du commissariat central de Lille. “A partir de là, la procédure a été très longue. Je pense qu’ils avaient du mal à trouver un motif valable. On a quand même été placé en cellule sous le régime de la garde à vue” décrit la manifestante. Louis ajoute : “On a vite compris que l'intérêt était de nous empêcher de participer à la manifestation.”
Il est environ 14 heures à ce moment-là. Dans les rues de Lille, la manifestation commence à peine, les deux trentenaires, eux, sont déjà en cellule. Ils dénoncent donc aujourd’hui “des arrestations préventives, arbitraires et illégales”. Ce genre de témoignages se multiplient en France, ces dernières semaines. L’association de défense des libertés constitutionnelles (Adelico) a même récemment saisi la justice à ce sujet. Certains syndicats traditionnels dénoncent aussi ces pratiques, observées sur le terrain. A l’image de Hervé Poziemski, responsable départemental de Solidaires-Nord: “des gens sont gardés à vue, sans qu’on sache vraiment s’ils ont commis des violences. C’est ce que dit la police, eux aussi en commettent beaucoup en ce moment, ça se durcit. Les gens se font parfois ramasser pour rien, nous devons leur apporter notre soutien.”
La préfecture réagit, elle aussi, par l'intermédiaire de son directeur de cabinet, Christophe Borgus : "le dispositif policier a réagi de manière maitrisée et proportionnée. La manifestation a été gérée de A à Z, dans le temps et dans l'espace aussi, avec une sécurisation du cortège, y compris en centre-ville."
Mais au sujet d'éventuelles "arrestations préventives", la préfecture assume "des contrôles effectués en amont de la manifestation. Et pour cause, à Valenciennes, les fonctionnaires ont trouvé une hache et des boules de pétanque dans un sac à dos. Donc oui, nous procédons à des interpellations avant le début de la manifestation, mais sur des individus porteurs d’objets susceptibles de blesser ou de tuer.” La préfecture se défend donc d’interpellations préventives : “ce n’est en rien préventif. Les individus interpellés sont déjà sur le lieu du rassemblement ou à proximité et porteurs d’armes par destinations.”
Une garde à vue "sans trop savoir pourquoi"
Eux assurent s'être fait arrêter pour une banderole. Louis et Mira passent donc une nuit en garde à vue, "sans trop savoir pourquoi.” Le premier procès verbal, qu’ils signent pour entrer en cellule, mentionne, selon eux, une “incitation à un rassemblement armé non suivi d'effet”. Le lendemain matin, une nuance a été apportée au procès-verbal qui notifie cette fois leur sortie de garde à vue : la mention “armé” a disparu. Il ne s’agit plus que “d’incitation à un rassemblement non suivi d’effet.” Ils sortent alors du commissariat, sans aucune poursuite judiciaire. “Très concrètement, ils ont essayé de trouver un motif pour justifier cette garde à vue le temps de la mobilisation, ils ont fait traîner la procédure administrative pour retarder notre sortie et nous empêcher de manifester librement” argumente Louis avant de s'interroger : “pourquoi nous mettre en garde à vue et classer notre dossier sans suite, dès le lendemain?”
Les deux manifestants en veulent pour preuve le comportement des policiers, au moment des faits. Mira se souvient : “ils cherchaient autour de l'échafaudage si des dégradations avaient été commises mais ils n’ont rien trouvé. Par contre, ils ont insisté sur deux ou trois mots-clés de la banderole, comme le terme contre-attaque, c’est comme ça qu’ils ont justifié l’incitation au rassemblement armé. Tout ça est symbolique de cette politique : arrêter des personnes qui affichent un message qui va à l'encontre de l'Etat." Pour Louis aussi, c'est très clair : “C’est bien le motif de la banderole qui dérange. Notre message n’est même pas inscrit sur le procès-verbal parce qu’au final ils savent très bien qu’on a le droit de dénoncer les violences policières.”
"Des violences systémiques" pour les manifestants, la Préfecture s'en défend
Pour les deux jeunes, ces pratiques dépasseraient le simple calendrier de la réforme des retraites. Louis et Mira parlent de "violences policières et d'arrestations arbitraires institutionnalisées, systémiques."
“Tout ça n’est pas nouveau” pour Mira, “c’est quelque chose qui nous inquiète énormément. L’Etat est très dur, répressif. Que ce soit du point de vue policier, dans la rue, ou judiciaire, au tribunal. Ces gardes à vue arbitraires existent depuis longtemps, on a vu le phénomène apparaître dès 2016 avec les mouvements contre la loi travail. Ce qu’il s’est passé pour nous illustre bien ce contexte, c’est ce qui nous pousse à témoigner.” Louis ajoute : “Ce sont des techniques de dissuasion pour démotiver les gens et empêcher des mobilisations d’ampleur.”
Au contraire, la préfecture déclare respecter strictement la doctrine de maintien de l’ordre, en vigueur pour ce type de mobilisation. Le fait d'interpeller ou non est laissé à l'appréciation du policier ou du gendarme, sur la base d'un motif précis. “Chaque policier peut visualiser un individu qui met, par exemple, le feu à une poubelle ou qui jette des projectiles sur les forces de l’ordre. Il se base donc sur des éléments visuels pouvant être confirmés lorsque c’est possible par les caméras de surveillance. L’interpellation se fait ensuite.”
Ainsi, 25 personnes ont été arrêtées et placées en garde à vue, en marge des manifestations de ce mardi.