Le LOSC, futur maillon d'une galaxie de clubs ?

Gérard Lopez, l'homme d'affaires en passe de racheter le LOSC, serait également sur le point de faire l'acquisition de Gil Vicente (2e division portugaise) et peut-être d'autres. Un projet de multipropriété semble se dessiner sur le modèle des "galaxies" Pozzo, Red Bull ou Duchâtelet.

Michel Seydoux, actuel président et actionnaire majoritaire du LOSC, et Gérard Lopez, en passe de devenir le nouvel acquéreur, ont signé le 22 décembre un protocole d'accord sur la vente du club qui devrait se concrétiser normalement d'ici le 20 janvier. Mais les ambitions de l'homme d'affaires hispano-luxembourgeois - qui préside déjà le petit club de Fola-Esch au Luxembourg - ne semblent pas s'arrêter là. Quelques jours plus tard, le journal portugais A Bola annonçait qu'il rachetait aussi pour 6 millions d'euros le club de Gil Vicente (D2 portugaise). Une information démentie par l'actuel président qui confirme néanmoins des discussions en cours.


"On a eu des discussions avec Gil Vicente. C’est un club sympa", avait reconnu sur RMC Marc Ingla, ex-dirigeant du FC Barcelone et conseiller de Gérard Lopez, pressenti pour devenir le prochain directeur général du LOSC. "On aime bien les clubs portugais. C’est un bon équilibre entre le talent individuel, la puissance physique, la formation tactique. C’est une bonne entrée pour les talents de l’Amérique latine. On a parlé avec ce club mais aussi avec d’autres, du Portugal, de l’Espagne, de la France, de la Belgique. C’est une stratégie possible. Il faut voir quel type de club. On va essayer. (...) C’est un projet qui va être très centré sur le talent footballistique. Luis Campos (le probable futur directeur sportif NDR) va surveiller ce projet du LOSC, mais aussi d’autres projets d’investissements qu’on a dans le monde du foot."


Cette stratégie "multiclubs" qui se dessine, Gérard Lopez l'avait théorisée en 2012 lorsqu'il avait annoncé que sa société d'investissement, Mangrove Capital Partners (au sein de laquelle Marc Ingla travaille également comme associé), était prête à se lancer dans le monde du ballon rond. "Il s’agit d’investir dans du business….d’acheter des clubs et de les rentabiliser. Ils ont juste besoin d’être mieux gérés", avait-il expliqué dans une interview à Paperjam. Selon son entourage, l'homme d'affaires devrait faire l'acquisition du LOSC en son nom, via la société britannique Victory Soccer, mais le schéma semble toujours le même. 

ENIC, un pionnier contré par l'UEFA

Le principe de la multipropriété n'est pas neuf dans le football. A la fin des années 1990, la société d'investissement britannique ENIC - dont la maison-mère est enregistrée aux Bahamas - s'était mis en tête de racheter des clubs dans plusieurs championnats européens. Elle fit ainsi l'acquisition de Tottenham (Angleterre), du Slavia de Prague (République Tchèque), de Vincenza (Italie), du FC Bâle (Suisse), et prit des parts dans le capital de l'AEK Athènes (Grèce) et des Glasgow Rangers (Ecosse). L'idée était de réaliser des économies d'échelle, en mutualisant le recrutement puis en échangeant des joueurs entre les différents clubs


Mais l'UEFA, l'autorité européenne du football, s'est rapidement inquiètée de potentielles dérives et ententes, susceptibles de fausser ses compétitions. Depuis 1998, ses réglements interdisent à deux clubs détenus par un même propriétaire de disputer la même compétition européenne. "Personne ne peut être, en même temps, directement ou indirectement impliqué, de quelque manière que ce soit, dans la gestion, l’administration et/ou les activités sportives de plus d’un club participant à une compétition interclubs de l’UEFA", stipule ainsi l'article 5. Débouté par la justice européenne, ENIC a fini par céder les parts qu'elle détenait dans ses différents clubs, à l'exception de Tottenham qu'elle conserve encore aujourd'hui.

La "galaxie" Pozzo

Mais la multipropriété de clubs n'est pas proscrite pour autant et certains en ont vite repris le principe. En 2009, l'Italien Giampaolo Pozzo , propriétaire du club italien de l'Udinese, et son fils Gino, décident de racheter Grenade en 3e division espagnole. Trois ans plus tard, ils reprennent Watford, en 2e division anglaise. A l'époque, aucun risque de concurrence au niveau européen. Le projet s'appuie ici sur le "scouting", c'est-à-dire la détection et le recrutement de jeunes talents prometteurs. Avec trois clubs, les Pozzo font tourner leur réseau de recruteurs à plein régime en Europe, en Afrique ou en Amérique latine, râtissant très large et se donnant ainsi davantage de chances de dégoter des pépites. Les joueurs sont placés dans tel ou tel club de la "galaxie" en fonction de leur progression, via des prêts (ou des pseudo-transferts quand les clubs ont atteint leur quota réglementaire de prêts).


Le cas de l'attaquant nigérian Odion Ighalo a valeur d'exemple : il est recruté en 2008 par l'Udinese, à 19 ans, puis est prêté ensuite pendant plusieurs saisons à Grenade, où il contribue à la montée en Liga (1ère division espagnole) en 2011. Il est ensuite prêté puis transféré à Watford, club avec lequel il décroche là aussi la montée en 2015. Grâce à ce système, Grenade et Watford ont pu disposer d'un bon effectif pour revenir très vite dans l'élite dans leurs pays respectifs. Et les Pozzo, de leur côté, ont pu réaliser une belle opération financière en revendant le club espagnol pour 37 millions d'euros à des investisseurs chinois l'an dernier (ils l'avaient acquis en s'engageant à prendre en charge ses 12 millions de dettes, soit 25 millions de plus-value) .


Mais pour l'Udinese - censé être le "vaisseau amiral" du réseau - le bénéfice est moins patent. Le club a fini dans le top 5 de la Série A en 2011, 2012 et 2013 puis est retombé dans le ventre mou du championnat italien. Malgré de belles opérations réalisées sur le marché des transferts (plus de 75 millions d'euros récoltés à l'issue de la saison 2012-2013), les comptes sont également dans le rouge, en raison notamment d'un projet de nouveau stade. Aux yeux de certains supporters, la multipropriété représente aujourd'hui une déperdition de moyens, un surcoût qui empêche le club de progresser dans la hiérarchie....

Red Bull, filière intégrée

La marque autrichienne de boissons énergétiques Red Bull, elle, n'a pas vraiment de soucis d'argent. Son marketing agressif s'appuie depuis plusieurs décennies sur le sport. Outre ses deux écuries de Formule 1, l'entreprise de Dietrich Mateschitz a fait l'acquisition de six clubs de football dans le monde : Red Bull Salzbourg en Autriche en 2005, Red Bull New York aux Etats-Unis en 2006, Red Bull Brasil (Sao Paulo) au Brésil en 2007, Red Bull Ghana (Sogakope) au Ghana en 2008, RB Leipzig en Allemagne en 2009 et le FC Liefering en Autriche (3e division) en 2012. 


Tous ces clubs sont aux couleurs de la marque, ce qui n'a pas été sans poser de problèmes avec les supporters de l'Austria Salzbourg, le premier club racheté. Beaucoup d'entre eux - notamment la frange ultra - ont préféré faire sécession plutôt que de changer de nom et de couleurs. Ils ont recréé l'Austria en amateurs, tout en bas de l'échelle, et sont parvenus à remonter jusqu'en 2e division autrichienne, avec peu de moyens mais beaucoup de passion (ils sont redescendus depuis à l'échelon inférieur). Malgré ce désamour et une image un brin écornée, Red Bull n'a pas dévié de sa ligne et connaît aujourd'hui une belle réussite. En Autriche, Salzbourg a remporté sept titres de champion en dix ans, dont les trois derniers consécutivement. De son côté, le RB Leipzig est passé en sept ans de la 5e à la 1ère division allemande. Pour sa première saison en Bundesliga, ce club made by Red Bull, conspué par les supporters adverses, joue d'entrée les premiers rôles. Il occupe actuellement la 2e place du championnat derrière le Bayern Munich après avoir été longtemps leader.


A Leipzig, une dizaine de joueurs de l'effectif sont passés auparavant par les autres clubs de la marque. Le défenseur latéral brésilien Bernardo, 21 ans, a d'abord évolué au Red Bull Brasil avant de partir en Europe au Red Bull Salzbourg qui le prête cette saison à son "cousin" allemand. Comme en sport automobile, la marque au taureau s'appuie sur des jeunes talents et non sur des stars établies. Red Bull a beaucoup investi dans ses différents centres de formation, en Allemagne, en Autriche, au Brésil et au Ghana. Aujourd'hui, on lui prête l'intention d'acquérir un 7e club de football, celui de West Ham en Angleterre. Mais Red Bull a démenti. Pas sûr en effet que les supporters anglais, très attachés à leurs couleurs et à leur histoire, acceptent facilement la politique marketing du géant autrichien. Red Bull risque par ailleurs de se retrouver avec deux clubs qualifiés l'an prochain pour la Ligue des Champions, Salzbourg et Leipzig. Mais un seul d'entre eux pourra la disputer, conformément aux règlements européens.

Duchâtelet, le mauvais exemple

L'autre expert en multipropriété dans le football européen, c'est le milliardaire belge Roland Duchâtelet. Avec sa famille, il a possédé jusqu'à six clubs lui aussi : le Standard de Liège (Belgique), Saint-Trond (Belgique), Ujpest (Hongrie), Charlton (Angleterre), Alcorcon (Espagne) et le Carl Zeiss Iéna (Allemagne). Mais ses méthodes et sa personnalité ont souvent décontenancé les supporters : ingérence dans les affaires sportives, valse des entraîneurs, joueurs déplacés d'un club à l'autre, meilleurs éléments rapidement vendus, résultats sportifs finalement peu convaincants...


Son passage au Standard, l'un des clubs les plus populaires de Belgique, a été un fiasco : aucun titre gagné en cinq ans et des relations orageuses avec les supporters qui ont organisé plusieurs manifestations contre lui. "Duduche" a fini jeter l'éponge et céder le Standard en 2015 pour s'occuper de son club de coeur, Saint-Trond,  promu la même année en première division belge.


A Charlton, relégué la saison dernière en League One (3e division anglaise), la situation est également extrêmement tendue avec les supporters qui manifestent régulièrement pour demander son départ. Roland Duchâtelet n'est pas non parvenu à faire progresser ses autres clubs étrangers : Alcorcon est toujours en 2e division espagnole, le Carl-Zeiss Iéna végète en 4e division allemande... 

Multinationales du football

Ces dernières années, des clubs prestigieux se sont lancés à leur tour dans la constitution d'une "galaxie" internationale. L'Atlético de Madrid a créé ainsi en 2014 une franchise en Inde, l'Atlético de Kolkata (Calcutta) et ouvert des écoles de football en Roumanie et au Mexique (avec une équipe fanion en 3e division mexicaine - l'Atlético de Madrid Mexico - et un nouveau projet de club franchisé dans l'élite). L'an dernier, le club espagnol a aquis 35% des parts de Racing Club de Lens en association avec la société luxembourgeoise Solferino, majoritairement détenue par l'homme d'affaires français Joseph Oughourlian. Ce dernier est le patron du fonds Amber Capital, actionnaire principal du club colombien de Millonarios qui vient de signer un partenariat sur la formation et des prêts de joueurs avec le Benfica Lisbonne, club "ami" de l'Atlético.


Le club anglais de Manchester City, racheté en 2008 par un fonds d'Abou Dhabi (Emirats Arabes Unis), a constitué, de son côté, le City Football Group qui a lancé des franchises aux Etats-Unis (New York City) et en Australie (Melbourne City) et racheté 20% des parts des Yokohama F·Marinos, propriété du groupe Nissan au Japon. Cette holding footballistique a par ailleurs signé des partenariats avec plusieurs clubs européens pour le "scouting" (détection / recrutement), la formation et des prêts de joueurs  : Aarhus (Danemark), l'Espanyol Barcelone (Espagne), Limerick (Irlande), NAC Breda (Pays-Bas), le Sporting du Portugal ou encore... Gil Vicente, le club portugais dans le viseur de Gérard Lopez.


La cheville ouvrière du City Football Group n'est autre que l'Espagnol Ferran Soriano, un proche de Marc Ingla, le probable futur directeur général du LOSC. Ils ont fondé en 1993 Cluster Consulting, une société de conseil en investissements, spécialisée dans les nouvelles technologies. Ils ont ensuite intégré tous les deux le conseil d'administration du FC Barcelone, fait campagne ensemble en 2010 pour la candidature d'Ingla à la présidence du club catalan, puis ont rejoint tous deux Mangrove Capital Partners, la société d'investissement co-fondée par Gérard Lopez. Y aura-t-il à l'avenir des liens formels et officiels entre le LOSC et cette "galaxie" mancunienne ou s'agira-t-il d'un modèle à suivre - à moindre échelle - pour l'homme d'affaires hispano-luxembourgeois, avec le club nordiste comme pierre angulaire ? La réponse ne devrait plus tarder.
        
Que dit le règlement quand plusieurs clubs d'un même propriétaire sont qualifiés pour l'Europe ?
Si plusieurs clubs liés entre eux sont qualifiés pour l'Europe, l'article 5 des règlements UEFA prévoit les dispositions suivantes : "un seul d'entre eux peut être admis dans une compétition interclubs de l'UEFA, conformément aux critères suivants (qui s'appliquent dans l'ordre indiqué ci-après) :
a. le club qui, par ses résultats sportifs, se qualifie pour la compétition interclubs de l'UEFA la plus prestigieuse (c.-à-d. par ordre décroissant d'importance : l’UEFA Champions League et l’UEFA Europa League) ;
b. le club le mieux classé dans le championnat national donnant accès à la compétition interclubs de l'UEFA correspondante ;
c. le club dont l'association dispose de la meilleure position dans le classement par coefficient établi conformément à l'annexe D
(le fameux indice UEFA des pays NDR)."
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