Un clip, un nouvel album en route, un projet collaboratif autour de Rimbaud. Le chanteur nordiste Jef Kino a de la ressource ! L'artiste plusieurs fois primé, qui exporte la chanson française à texte à travers le monde entier, a décidé de ne pas se laisser abattre par la crise sanitaire. Portrait.
"Votre accordéon, votre voix, vos textes et vos mélodies nous manquent !" Sur la page Facebook de l'artiste, les commentaires sont unanimes. Encouragé par ses fans, Jean-François Konieczny, alias Jef Kino, fait tout pour faire vivre la musique pendant la pandémie.
"C'est mon ADN !", clame le chanteur de 51 ans, dont 43 de musique. Alors Jef Kino joue. De l'accordéon, d'abord, qu'il a appris enfant, auprès d'un professeur non-voyant. "Je n'avais que huit ans, il a posé mes mains sur l'accordéon, et c'était parti. Mon rapport à l'instrument est très tactile, presque charnel." De la guitare, aussi, qui lui permet au lycée de devenir le leader d'un groupe de rock avec lequel il fera plus de 300 concerts et un mini album. "On s'appelait Parkinson, s'amuse-t-il. C'était les sonorités de l'époque, quelque chose entre Téléphone et les Rolling Stones."
Un nouveau clip ludique et coloré
Depuis, Jef Kino a fait du chemin. Un BTS publicité, "pour s'occuper", des études à la fac de lettres, "pour le plaisir d'aller en cours", et finalement la musique, encore elle, qui prend le dessus et le fait tout plaquer. Repéré après un premier album solo, il en sortira quatre autres - dont l'un sera récompensé par le prix Adami Bruno Coquatrix 2005 - qu'il déclinera en tournées dans le monde entier.
Rock endiablé ou ballades douces, toutes ses créations sont empreintes de poésie, d'humanisme et de tendresse, mais aussi d'humour et de son amour de la langue française, avec laquelle il joue aussi bien que de son accordéon.
Son dernier disque, "Haut les cœurs", est celui d'un artiste qui en a, du cœur. Au fil des titres, il prône la liberté, espère un monde meilleur et décline l'amour sous toutes ses formes, y compris en duo avec Mylène Seignez, qu'il emmène désormais en voiture pour l'éternité grâce à un clip psychédélique, fraîchement publié sur les réseaux.
"Cela faisait des mois que je rêvais de faire un clip avec cette chanson !" Le rêve est devenu réalité, malgré les conditions de tournage difficiles actuellement.
Un nouvel album en gestation
Bien sûr, comme tout le monde, Jef Kino n'aurait jamais imaginé que la crise s'installerait aussi durablement. Durant le premier confinement, c'est donc serein qu'il a passé du temps à lire, à redécouvrir l'œuvre de Simenon. "J'en ai lu au moins cinquante ! confie-t-il, lui même surpris. Et pas seulement les Maigret. Cet auteur était un génie. Et puis, je crois que les années 50 et 60, ça me rassure. J'en ai trouvé plusieurs recueils dans un Emmaüs. C'est culte."
De la lecture à l'écriture, il n'y a qu'un pas, que Jef franchit lors du deuxième confinement, à l'automne. "J'ai profité de cette période difficile pour écrire de nouvelles chansons. En décembre, je m'y suis mis à fond. J'en ai créé dix. Toutes empreintes de la période." Cet angoissé de nature y critique le virtuel qu'on a subi, la déshumanisation. Et puis, parce qu'il ne sait pas faire autrement, lui qui s'inspire avant tout de "la vie, l'amour, les autres", il y place aussi l'espoir. Jusque dans le titre provisoire de ce futur album : "La beauté derrière les choses".
"Plus gaie la vie" par exemple se veut un hymne à la joie, aux sourires, et à la légèreté. Légèreté de la vie, légèreté de ton, légèreté musicale à la guitare. Comme pour s'envoler par-delà ce qui pèse.
Une résidence pour enregistrer l'album
Aujourd'hui, il est en quête d'une résidence pour pouvoir enregistrer l'album. "Dans des conditions live, à l'ancienne, comme dans les années 70. Et dans la région, autant que possible." Il y tient. Pourquoi pas, d'ailleurs, dans le bassin minier, là où il a grandi.
"J'ai passé mon enfance entre Auchel, Marles-les-Mines et Calonne-Ricouart. Je vois encore les baraquements et la campagne se transformer en corons en quelques années." Cette mémoire minière, Jef Kino l'a dans la peau. "Mon arrière grand-père est venu de Pologne dans les années 20 après un périple en Allemagne pour travailler dans les mines. Ca m'a marqué..." Tellement, qu'il en a fait une comédie musicale, il y a douze ans, "pour leur rendre hommage, avec humour et émotion". Il y dévoile ses talents d'acteur, avec succès puisque "Le Bar de l'Ecluse" sera joué quatre-vingt fois dans la région.
Un projet autour de Rimbaud
C'est aussi grâce à une comédie musicale qu'il fait la connaissance de Freddy Pannecocke, avec qui il crée pour le CE de la SNCF "Le Pigeon de papier", un spectacle pour enfants. Le même Freddy Pannecocke qui, l'an dernier pense aussitôt à Jef Kino pour participer à un projet collaboratif autour d'Arthur Rimbaud, qu'il est en train de bâtir avec son association, le SMAC (service mobile d'animation culturelle).
Alors qu'il n'avait que seize ans, le poète avait fugué, pour venir à Douai. Il y avait laissé vingt-deux poèmes, dont le célèbre "Dormeur du Val". Vingt-deux textes non classés que l'on nomme les Cahiers de Douai. En 1871, Rimbaud avait réclamé que ces poèmes soient brûlés. Heureusement, ce ne fut pas le cas. Ils ont été publiés séparément à titre posthume des années plus tard.
C'est pour fêter les 150 ans de la venue d'Arthur Rimbaud à Douai que le SMAC a réalisé vingt-deux clips, interprétés par des Douaisiens comme la journaliste de France 3 Hauts-de-France Christelle Massin, des passionnés de poésie mais aussi de grands artistes : Philippe Torreton, Cali, Sanseverino, CharlElie Couture se sont ainsi prêtés au jeu.
Arthur R. comme une âme en peine, ça me parle. J'aime son goût du voyage, son côté adolescent.
"Je suis parmi les premiers que Freddy a appelés, se targue Jef Kino. Une histoire d'amitié au départ... Je ne suis pas un fanatique de Rimbaud, comme Patti Smith ou Yves Simon. Mais ça reste une figure emblématique. Arthur R., comme une âme en peine, ça me parle. J'aime son goût du voyage, son côté adolescent. Finalement, je l'ai redécouvert avec plaisir grâce à ce projet."
Jef a choisi d'interpréter "Le Cabaret Vert". "Ça correspond bien à ce que je raconte dans mes chansons. J'ai aimé la rythmique, la prosodie, je me suis dit que je pourrais me l'approprier." Pari réussi, comme en témoigne le clip, à découvrir sur une clé USB en vente à l'Office de tourisme de Douai.
Aujourd'hui, Jef se répète sa devise comme un mantra optimiste : "Ça ira mieux demain !" Il espère remonter sur scène le plus vite possible, lui qui fêtait il y a peu ses cinquante ans en public, au Splendid de Lille, un concert chaleureux et joyeux dont il a fait un livre photo souvenir. En attendant de retrouver le public, "comme tous les artistes", il continue, inlassablement, à explorer la beauté derrière le monde qui nous entoure, et à nous la partager.