En France, une femme meurt au moins tous les trois jours des coups de son conjoint ou de son ex conjoint. Et après ? Qu’en est-il des familles, des survivants, victimes collatérales ? C’est le constat qui a amené Isabelle Boulant à créer l’association "Un regard bleu qui s’envole".
En octobre 2022, Isabelle Boulant a créé "Un regard bleu qui s’envole". Cette jeune association a pour but de venir en aide aux familles de victime de féminicide dans les Hauts-de-France et de sensibiliser aux violences conjugales à l’échelle locale. "Ce n’est encore que le début. On essaye d’avancer avec des élus sur des choses à mettre en place dans les petites communes. J’aimerais pouvoir faire de la prévention auprès des écoles", explique Isabelle Boulant.
Au 9 mars 2023, on dénombrait déjà 27 féminicides en France depuis le début de l’année, tandis qu’en 2022, 104 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. Pour chaque décès, il y a une famille et des proches, en souffrance. Isabelle Boulant l’a vécu. Car ce "regard bleu", c’est celui de Manon, sa fille.
Tuée par son ex petit ami, déjà connu des services de police
En 2020, Manon a été victime du 56e féminicide de l’année. Elle avait 19 ans. Elle a été assassinée par son ancien petit ami. "Son ex petit copain l’avait laissé tomber au mois de juin. Il a essayé de la récupérer, mais elle ne voulait plus", confie Isabelle Boulant.
Elle est allée chez l’une de ses copines et il en a profité pour aller la chercher. On ne l’a jamais revue.
Isabelle Boulant
Avant ça, son ex petit ami la harcelait. "Au moment voulu, je n’avais pas peur pour Manon puisque je le connaissais et il n’y avait jamais eu de réaction de violence, jamais un mot plus haut que l’autre", poursuit-elle.
Mais derrière les apparences, ce jeune homme de 26 ans était connu des services de police et de gendarmerie. Il avait déjà commis des violences sur son ancienne petite amie et avait été condamné pour avoir brûlé la voiture de ses beaux-parents. Des faits dont Isabelle Boulant n’avait pas connaissance avant le décès de sa fille : "Je l’ai appris au moment où il a fallu lire le dossier de Manon. J’ai appris énormément de choses que je ne savais pas de son vivant".
Un accompagnement inexistant
Il y a la peine, la douleur. Mais pas le temps de faire le deuil pour Isabelle Boulant. La machine juridique s’enclenche : "Il faut trouver des avocats, essayer d’avoir des conseils, être orienté. Ce que je n’ai pas eu".
On ne connaît pas ce monde judiciaire, on ne sait pas qui contacter. On n’a pas de numéros dans le répertoire, j’ai dû me débrouiller seule.
Isabelle Boulant
Le jour même de la mort de sa fille, elle fait son dépôt de plainte à la gendarmerie : "On me pose de questions sur les qualités et les défauts de ma fille. Ce fut un choc pour moi. Je me dis que la coupable là-dedans, ce n’est pas ma fille. Est-ce qu’ils n’essayaient pas de savoir si Manon ne l’avait pas cherché ?".
Une situation difficile d’autant qu’Isabelle Boulant a deux autres filles qui doivent se reconstruire. "Rien n’est prévu pour la famille. Parfois, on se retrouve dans des situations où il y a des enfants. En France, malheureusement, il n’y a qu’à Paris, la Seine-Saint-Denis et le Rhône où il existe le protocole féminicide pour la prise en charge des enfants de victime. Autrement, il n’existe absolument rien", détaille Hauteclair Dessertine, présidente de l’Union nationale des familles de féminicides (UNFF). "Les familles basculent dans un univers qu’elles ne connaissaient pas, qu’elles ne maîtrisent pas. Au deuil s’ajoute la multiplicité des procédures, des obstacles. On a parfois des nettoyages de scènes de crime. Et absolument rien n’est prévu pour les familles".
Tenir grâce à la vie associative
L’UNFF va être le plus gros soutien d’Isabelle Boulant. L’organisation va lui fournir une aide importante : "C'est des familles qui ont vécu la même chose que moi. Elles sont là pour nous soutenir et nous lever vers le haut, plutôt que de rester dans notre coin", explique-t-elle. "On se sert de nos expériences personnelles pour aider les familles, en les conseillant. On est entouré de professionnels, d’avocats. Notre force, c'est qu’on est tous des proches de victime de féminicide, donc on sait ce que c’est", ajoute Hauteclair Dessertine.
Cette aide fournie par l’UNFF ne s’arrête pas aux procédures judiciaires. L’organisme aide également Isabelle Boulant dans son projet d’association locale, lui fournissant des contacts et en établissant des partenariats. Car la vie associative est aussi une façon de tenir le coup : "Je veux montrer que même auprès un moment difficile, on peut se raccrocher à quelque chose pour continuer à vivre", conclut Isabelle Boulant.