Témoignage. "On n’a pas le choix de mettre sa vie en pause" : maman aidante, elle fait de son expérience une force pour les autres

Publié le Écrit par Anne-Sophie Roquette

Hortense est née en octobre 2019. Quelques mois plus tard, ses parents apprennent qu'elle soufre d'une maladie d’origine génétique très grave et rare. Mathilde, maman aidante, nous raconte son combat auprès de sa petite fille et son investissement pour les autres.

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Nous sommes à la fin du premier confinement. Le petit ventre d’Hortense s’est tellement arrondi que son nombril ressort et durcit. Ses parents l’emmènent voir un pédiatre qui les envoie aux urgences. Le verdict tombe en juillet 2020, Hortense a développé une glycogénose de type 4. C'est une maladie d’origine génétique très grave, mais rare ; la plupart des enfants atteints de cette maladie décèdent avant l’âge de deux ans. Il n’existe aucun traitement, seule une greffe du foie peut les sauver.

"Jean-Charles, mon mari, est comme moi porteur sain. Nous sommes tous les deux vraiment incompatibles génétiquement parlant, et il a fallu que nous tombions amoureux l’un de l’autre", nous confie Mathilde.

Tout va aller très vite finalement, c’est ce que je peux dire aujourd’hui, car à l’époque, le temps m’a semblé immensément long.

Mathilde Cabanis, maman aidante

Nous sommes au sortir du premier confinement, d’autres vont suivre, et les mesures restent très restrictives au quotidien, encore plus dans le milieu hospitalier. Mathilde se souvient : "Quelque part, cela a été une chance, car Hortense était inscrite sur la longue liste d’attente d’organes et à cause des confinements successifs, il y avait de moins en moins de greffes, puisque de moins en moins de donneurs". (NDLR : avec les restrictions de circulation, il y avait moins de décès sur les routes).

Hortense est donc hospitalisée en juillet 2020. Mathilde poursuit : "Et tout va aller très vite finalement, c’est ce que je peux dire aujourd’hui, car à l’époque, le temps m’a semblé immensément long." Le papa de la petite fille, Jean-Charles, est compatible. Il donne donc une partie de son foie, seul organe capable de se régénérer, et Hortense est greffée en novembre 2020.

Novembre 2020, la petite Hortense vient d'être greffée © Mathilde CABANIS

Maman aidante

"Au début, quand on découvre que son enfant est gravement malade, on s’arrête de travailler pour être disponible à 100%, ce qui est normal. J’avoue qu’on ne sait pas, ou que l’on ne reconnaît pas que l’on est aidant. Tout va très vite..."

Hortense a été greffée lors du second confinement (du 30 octobre au 15 décembre 2020), là aussi cela n’a pas été facile. "On s’est retrouvés enfermés dans une chambre de 10 m². Les soignants nous disaient : « Vous n’avez pas de chance. D’habitude, un hôpital pour enfants, c'est vivant, vous pouvez rencontrer des parents, d’autres enfants ». Là, je restais 24 heures sur 24 aux côtés de ma petite fille, mon mari lui travaillait (il est chef d’entreprise), il n’avait pas le choix. Il venait me rejoindre, mais mis à part lui, personne de la famille ne pouvait venir nous voir, ou me relayer, ça a été très dur, surtout avec les angoisses liées à l’état de santé d’Hortense dont le diagnostic vital était engagé".

Je me suis mis la pression toute seule, j’étais épuisée. Lorsqu’elle dormait, je rangeais, je nettoyais la maison, je préparais le repas pour que mon mari n’ait rien à faire en revenant du travail.

Mathilde Cabanis, maman aidante

Pendant deux ans, elle a vécu aux côtés de sa petite fille : "On n’a pas le choix de mettre sa vie en pause. La première étape a été la greffe d’Hortense, la suite pour moi a été plus difficile. Durant deux ans, on a vécu seules. Juste une mère qui gère sa fille qui, petite est déjà dépendante de moi, mais qui, en plus, est malade. Impossible de la faire garder, il fallait gérer les rendez-vous médicaux, les prises de médicaments à heures fixes, le jeûne à lui imposer avant et après la prise des médicaments, éviter tout risque d’infection, car elle était immunodéprimée, faire en sorte qu’elle mange bien."

Mathilde s’est jetée à corps perdu sans sa nouvelle mission : "Je me suis mis la pression toute seule, j’étais épuisée. Lorsqu’elle dormait, je rangeais, je nettoyais la maison, je préparais le repas pour que mon mari n’ait rien à faire en revenant du travail. Notre maison était une maison témoin."

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Prise de conscience

Elle est épuisée et son mari essaye de la raisonner, lui disant : "Hortense dort par moments dans la journée, prends ces temps de sieste pour faire quelque chose pour toi", et c’est à ce moment précis que tout a changé. Elle nous confie : "Ces quelques heures par jour ont tout changé. Toute ma vision de mère au foyer, rôle pour lequel je ne suis pas faite, a évolué. Il faut dire que je suis la première de mon groupe d’amies à avoir eu un enfant, je n’avais pas de référence de jeunes mamans."

Autre fait important, comme le souligne la docteure Hélène Rossinot, également autrice et experte sur la question des aidants : "Les aidants ont la tête dans le guidon, ils agissent et réfléchissent lorsque la situation se calme un peu."

durée de la vidéo : 00h13mn00s
Mathilde Cabanis est la maman aidante d’une petite fille de 5 ans. Pendant deux ans elle cessé de travailler pour se consacrer à son enfant. Il lui a fallu admettre ce statut et repenser sa place dans le milieu professionnel. Aujourd’hui elle est chargée de mettre en place des dispositifs pour accompagner les personnes aidantes ou porteuses de handicap. Elle s’engage pour la connaissance de leurs droits et pour rappeler la richesse qu’ils apportent aux équipes. ©France Télévisions

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Faire changer les choses

Mathilde Cabanis a aujourd’hui 35 ans. C’est une femme souriante, toujours de bonne humeur, et reste une éternelle positive. Elle qui, à 21 ans, a fait un AVC et se retrouve depuis en situation de handicap (lire notre article ici) est bien consciente que la vie peut s’arrêter à tout moment : "j’ai toujours agi en fonction de ce qu’on m’avait donné comme cadeau, et j’estime que toutes les épreuves de ma vie ont été des grands cadeaux qu’on m’a offerts."

Elle ajoute : "À la suite de mon AVC, je me suis engagée auprès des personnes handicapées, et j’ai découvert le milieu des aidants en devenant moi-même aidante. J’estime que c’est un simple retour des choses de s’investir pour des causes dont on ne parle pas forcément beaucoup, mais en tout cas de donner une bonne image et d’essayer de faire changer les choses en entreprise".

Une vie de famille épanouie

La famille s’est agrandie. Hortense a aujourd’hui un petit frère, Marceau, qui a trois ans : "Il est porteur sain, comme nous et va très bien. C’est grâce à lui que j’ai mesuré la différence avec sa sœur. J’ai trouvé que c’était hyper facile d’avoir un enfant par rapport à Hortense." Tous les deux sont pleins de vie, de complicité et "s’entraînent dans les bêtises". Inutile de vous préciser que maintenant, la maison n’est plus vraiment une maison témoin, mais une maison dans laquelle vit une famille avec beaucoup d’amour et de rires.

Hortense a pu faire son entrée en crèche l’année de ses trois ans. Elle va à l’école, pratique la danse, le karaté, aide même sa maman à préparer ses médicaments, "mais le plus dur reste de l’empêcher de manger, surtout quand elle a très faim lorsqu’elle rentre de l’école. Il y aura toujours ce jeûne avant et après la prise de son traitement". Mathilde évoque aussi le stress qu'elle ressent, car greffée à l'âge d'un an, Hortense devra certainement subir une autre greffe quand elle sera plus grande.

Je me sens vraiment à ma place et je suis très épanouie, consciente d’être une privilégiée.

Mathilde Cabanis, maman aidante

Quant à Mathilde, au sortir de ces années aux côtés d’Hortense, elle a créé une startup à Amiens, Paupiettes, qui livre des repas pour enfants. Si l’entreprise existe encore, Mathilde a depuis changé d’activité : "Mes connaissances et mon réseau me demandaient d’intervenir, d’animer des conférences sur le handicap, et sur les aidants. Souvent dans les entreprises, on imagine que l’aidant est fragile. Au contraire, il est tout sauf fragile ! Les aidants développent beaucoup de compétences qui pourront être au service de l’entreprise, après. Je me sens vraiment à ma place et je suis très épanouie, consciente d’être une privilégiée."

Seul un quart des aidants osent parler de leur situation à leur employeur. Si pour beaucoup de chefs d’entreprise, aider un proche relève de la vie personnelle, les choses commencent à bouger. Mathilde Cabanis parle du statut des aidants, mais aussi des personnes en situation de handicap, au sein d’entreprises de toute la France, rencontre beaucoup de managers, de responsables des ressources humaines.

Côté vie personnelle, là aussi tout va bien : "Nous avons trouvé un point d’équilibre parfait entre vie professionnelle et vie privée, nous avons toujours des projets. Agrandir notre famille ? Si c’est possible, mais avant mes quarante ans ! Et puis relever à deux des défis comme nous l’avons fait, en gravissant le mont Fuji. Nous avons la chance d’avoir des grands-parents extraordinaires qui gardent les enfants et nous laissent ainsi profiter de moments à deux. C’est indispensable pour mon équilibre."

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