Voilà seize ans que la brasserie du pays Flamand, implantée dans le Nord, réchauffe le cœur des amateurs de bières. Née d’une amitié, son évolution est intimement liée aux gens du Nord chers à Mathieu Lesenne, l’un des deux créateurs de la célèbre Anosteké. Portrait de ce passionné.
"La brasserie du pays Flamand, c’est d’abord l’histoire de deux copains d’enfance", raconte dès le début de l’échange Mathieu Lesenne, faisant référence à son acolyte-ami-confident-collègue Olivier Duthoit, toujours présent en filigrane de la conversation. Car c'est ensemble qu’ils ont créé cette brasserie en 2006 et qu’ils inaugureront le 10 septembre prochain l’extension de leur site à Merville, dans le Nord, avec une surface doublée.
Avec ces tout nouveaux 5 000 m2, elle semble bien loin, l’époque où ils brassaient dans le garage d’Olivier. À cette époque, ils ont alors la trentaine : Mathieu est banquier, Olivier ingénieur brasseur, et tous deux se posent des questions sur leur avenir professionnel. "Nous voulions redonner un nouveau souffle et du sens à notre emploi donc nous avons décidé de quitter nos métiers et de vivre de notre passion commune qui est la bière", explique le co-gérant.
Débrouillardise avant tout
Sans patrimoine aucun pour lancer l’activité et après avoir brassé chez des confrères, la débrouille continue au moment de chercher un premier site où s’installer : le choix se porte donc sur une ancienne friche industrielle. "On a toujours fait comme on pouvait, mais de plus en plus on fait comme on veut", se réjouit Mathieu Lesenne, qui a appris son métier actuel sur le tas, lorsqu’il aidait, petit, sa grand-mère à brasser et à embouteiller la production familiale. "C’est un peu ma madeleine de Proust à moi", plaisante-t-il avec une once de nostalgie, lui qui a grandi "au pied des cuves d’une belle brasserie".
La bière fait partie de notre terroir, c’est ancré dans nos gènes : elle était faite dans les fermes, elle désaltérait les ouvriers agricoles et encore aujourd’hui son côté convivial colle au caractère des nordistes.
Mathieu Lesenne
Un héritage qu’il partage selon lui avec les gens du Nord : "La bière fait partie de notre terroir, c’est ancré dans nos gènes : elle était faite dans les fermes, elle désaltérait les ouvriers agricoles et encore aujourd’hui son côté convivial colle au caractère des nordistes", énumère-t-il.
Voilà qui explique la genèse de la Anosteké, bière phare de la brasserie distinguée parmi les meilleures bières du monde grâce à divers prix. Née en 2011 d’un mélange entre une bracine triple et une India Pale Ale (IPA), son nom signifie en Flamand "à la prochaine fois", pour faire écho au moment de partage lié à cette boisson.
Travail entre amis
Une notion de partage également au cœur de l’entreprise puisque les deux amis se sont rencontrés au collège, avant de se rapprocher aux scouts et "autour de leurs premières bières", plaisante Mathieu sur le ton de la confidence. Des dizaines d’années plus tard, ils sont désormais collègues et forment un binôme qui se complète parfaitement : les savants mélanges et la fabrication à Olivier, microbiologiste de formation, et la gestion et le commerce à Mathieu. "On porte nos destins respectifs, on est très liés donc j’ai une confiance aveugle en lui", assure-t-il.
On porte nos destins respectifs, on est très liés donc j’ai une confiance aveugle en lui.
Mathieu Lesenne
Quand on lui demande si certaines difficultés peuvent naître du fait de travailler avec son ami, Mathieu répond sans une once d’inquiétude que leur amitié “passe avant le business” grâce à une communication efficace. “Au boulot, on scinde fortement les choses. Il sait être critique donc quand il rentre dans mon bureau en me disant ‘je dois te parler en tant que co-gérant’, je sais que ça va mal se passer pour moi”, explique son collaborateur dans un rire.
Pour leur plus grand bonheur, après trois ans en duo, d’autres ont peu à peu rejoint l’aventure : le premier salarié est arrivé en 2009, suivi, chaque année, par un deuxième, puis un troisième. Et ainsi de suite, puisque la production est passée de 300 hectolitres la première année à 42 000 en 2022.
40 salariés
Forte de son succès, notamment à la suite d’une première médaille d’or en 2009, seulement un an après la sortie des premières bières, l’entreprise rassemble aujourd’hui 40 salariés. Pour Mathieu, ils s’apparentent d’ailleurs plus à une "bande de copains" qu’à de simples collègues. "Je suis très fier qu’on arrive à construire une belle entreprise avec les mêmes valeurs qu’il y a quinze ans", expose-t-il en mettant en avant la démarche de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) portée autant sur l’emploi que sur l’engagement écologique.
La mission de Mathieu ? "S’assurer" que ces valeurs perdurent au quotidien et se renforcent dans le futur. "Pour Olivier et moi, l’argent est un moyen et pas une fatalité. On ne voulait pas reproduire ce qu’on faisait avant", indique-t-il, se montrant d’ores et déjà satisfait du bien-être de ses salariés.
Preuve en est la facilité de l’entreprise à recruter, et ce dans un contexte où les candidats sont justement plus exigeants. Les engagements environnementaux, eux aussi, se multiplient : approvisionnements locaux, recyclage de la totalité de la biomasse en biogaz ou choix du lieu en fonction de la possibilité d’installer des panneaux photovoltaïques sont mis en place.
Mais Mathieu, conscient que l’extension du site puisse aux premiers abords paraître paradoxale avec son discours écologique, explique que "l'extension du site est la limite à ne pas dépasser, c’était une question pratique. Mais nous ne sommes pas à courir après les volumes", avance-t-il. Il explique toutefois que la place supplémentaire permettra par exemple de développer un système pour réemployer les bouteilles de bière.
Regard vers l'avenir
"Plus que jamais, les investissements que nous réaliserons demain seront liés à des améliorations d’économie d'énergie et d’eau, ainsi que sur la diminution des gaz à effet de serre", se projette-t-il, allant jusqu’à imaginer la brasserie comme étant une "sorte de laboratoire en terme de développement durable". Il ajoute, convaincu : "C’est une nécessité, une forme d’anticipation de survie."
Plus que jamais, les investissements que nous réaliserons demain seront liés à des améliorations d’économie d'énergie et d’eau, ainsi que sur la diminution des gaz à effet de serre.
Mathieu Lesenne
Derrière une bouteille d’Anosteké, "je pense qu’il y a toutes ces valeurs", se réjouit ainsi Mathieu, qui précise aussitôt - en toute modestie, qu’il s’appuie sur les retours laissés par leur communauté sur Facebook et Instagram pour établir ce propos. Et l’engouement va même au-delà de ses espérances puisqu’à sa grande surprise, le futur auquel il se prépare tant peut parfois réserver des surprises : "Ce qui nous épate c’est que nos enfants grandissent et s’intéressent grandement à ce qu’on fait. C’est une grande fierté."
Rien de concret à ce stade mis à part des stages, ce qui n’empêche pas la satisfaction de noter un intérêt commun qui le comble déjà bien amplement. Car attention, pas de pression à avoir autre que celle de la bière.