A Hautmont (Nord), un père, maire depuis plus de 30 ans, affronte son fils au 2ème tour des élections municipales. Duel familial entre violence et tristesse.
Sept minutes. C'est le temps passé au téléphone avec le père. Et le même temps, exactement, passé au téléphone avec le fils. Trop court pour une interview digne de ce nom. Assez long toutefois pour comprendre que ces deux-là sont malheureux comme les pierres. Ils ne se parlent plus mais ne veulent plus en parler. "Je suis très sollicité mais j'ai tout refusé, explique Stéphane Wilmotte, le fils. TF1, France 2, M6 et d'autres voulaient me suivre en train de faire campagne. Mais ce qui les intéresse, c'est la rivalité avec mon père. C'est ce contexte familial si particulier qui intéresse les médias. Ce n'est pas Hautmont. Ce n'est pas le programme de l'un et de l'autre. Je ne veux pas entrer là-dedans. Notamment pour protéger mes enfants."
Le contexte de cette élection est horrible. C'est un mauvais feuilleton. Je ne le le souhaite à personne.
Joël Wilmotte, maire d'Hautmont.
Même voix lasse de Joël Wilmotte, le père, pour évoquer ce deuxième tour des élections municipales. "Je ne veux pas m'étendre trop longtemps sur le sujet, dit-il. Par pudeur. Le contexte de cette élection est horrible. C'est un mauvais feuilleton. Je ne le le souhaite à personne."
Le 28, juin, Joël Wilmotte (LR), 71 ans, sera donc opposé à Stéphane Wilmotte (DVD), 44 ans. Le premier est arrivé en tête du premier tour (46,7 %). Le second est distancé de neuf points (37,5 %). Et un troisième candidat, de gauche, s'immisce dans cette réunion de famille (15%). Ce qui rend cette élection encore plus extraordinaire, c'est que Joël, pour la toute première fois depuis qu'il est maire, depuis plus de trente ans, est contraint à un deuxième tour. Depuis 1989, il avait pris l'habitude d'écraser les élections municipales avec des scores soviétiques. Cette fois, son autorité est contestée, et c'est son propre fils qui le met en ballotage.
Si le père et le fils ont l'air si triste de se déchirer aujourd'hui sur la place publique, c'est qu'ils ont été par le passé d'une grande complicité. "C'est mon père qui m'a transmis cette passion", raconte Stéphane, qui a été conseiller municipal dans l'équipe de Joël Wilmotte durant une quinzaine d''années. Le père, frappé d'un an d'inéligibilité, va même jusqu'à confier à son fils les clés de la mairie, en 2015. Erreur d'interprétation. Pour, Joël, il ne s'agit que d'une mission d'intérim.
Stéphane, lui, annonce qu'il endosse pleinement l'écharpe de maire et entend bien rester aux commandes jusqu'aux élections de 2020. Le point de rupture se situe en juin 2016. Stéphane démissionne "pour raisons professionnelles et personnelles". Et c'est un fidèle de Joël Wilmotte qui achève la mission, pour que ce dernier puisse tranquillement retrouver son cher hôtel de ville, quelques mois plus tard. Pas rancunier, le père, redevenu maire, ne ratera pas une occasion de dire que le fiston a été incapable d'assurer, que c'était une erreur d'en faire "une roue de secours". Et il obtiendra la radiation des listes électorales à Hautmont de son fils et de sa belle-fille...
C'est hyper-violent !Stéphane Wilmotte, candidat à la mairie d'Hautmont.
Car le père Wilmotte, faut pas le chercher ! Il ne plie ni devant son fils, ni devant les partis politiques, ni devant le préfet, ni devant la presse, ni devant le Conseil Constitutionnel, ni devant Dieu. C'est un phénomène ! Un dur à cuire. Un combattant obstiné. Ce docteur en économie et administration des entreprises, né à Hautmont, est d'abord socialiste. Mais il part vite en dissidence, quand le PS lui refuse l'investiture aux élections municipales de 1989 dans sa ville natale. On ne refuse rien à Joël Wilmotte. En 1990, nouvel élu, il se fait remarquer en interdisant les rassemblements de marocains et d'algériens dans son centre-ville. En 1991, il refuse d'inscrire des enfants d'origine étrangère à l'école. En 1992, il organise un référendum pour limiter l'implantation de familles étrangères à Hautmont. Le préfet conteste. Le curé l'admoneste. On l'accuse de glisser vers l'extrême-droite. Rien n'y fait. En 2001, il tente d'empêcher des familles maghrébines d'acheter des biens immobiliers sur sa commune. En 2003, il refuse de marier des musulmans. En 2005, il est condamné pour discrimination raciale et religieuse. En 2007, il fait constater par un huissier que la presse quotidienne régionale parle moins souvent de lui que les autres maires du secteur. En 2008, il interdit à Marine Le Pen d'accéder à un quartier dévasté par une tornade. En 2012, aux élections législatives, il se présente contre le candidat soutenu par son parti (Les Républicains) sans craindre une exclusion... qui ne viendra d'ailleurs pas.
Stéphane est donc pour Joël - habitué depuis des décennies à être seul contre tous - un adversaire comme un autre. Un de plus. Car Joël Wilmotte, s'il se dit affecté par la candidature de son fils, sans doute avec sincérité, n'en demeure pas moins impitoyable. C'est tout le paradoxe de cette histoire. Dans un tract de campagne très virulent distribué fin janvier, le maire sortant passe au lance-flamme celui qu'il appelle désormais "Monsieur Stéphane Wilmotte". Il y dénonce "un fils qui veut détruire le travail de son père ; un exilé hautmontois qui veut profiter de son nom pour tromper les électeurs."
Manque de chance pour les Wilmotte, l'entre-deux tours dure plusieurs mois, largement le temps pour virer au sordide. Exemple : l'affaire des masques.
Début mai, Stéphane et ses colistiers se lancent dans une collecte de masques, de visières de protection et de gel hydroalcoolique. Le tout est ensuite confié aux services municipaux pour être redistribué à ceux qui en ont le plus besoin. La réaction du maire est surprenante : il fait renvoyer les cartons au domicile des donateurs, en affirmant "qu'il ne peut prendre la responsabilité de distribuer des produits dont il ne connait pas l'origine". "C'est hyper-violent", réagit Stéphane Wilmotte.
Il commence à m'inquiéter le père Wilmotte.
Jean-René Lecerf, pdt du Conseil départemental du Nord.
A un mois du deuxième tour, la situation est tellement tendue qu'il n'est même plus possible d'évoquer calmement les programmes respectifs de l'un et de l'autre. A peine le fils prend t-il quelques minutes pour expliquer qu'il "veut améliorer le quotidien des gens, rénover les écoles, sauvegarder les emplois menacés par la crise économique sans précédent qui nous attend et créer une police municipale." Le père, lui, balaie carrément la question. "C'est une connerie ! Y'a pas de programme. Pas de projet. Mon fils rêve de devenir maire, vice-président de l'agglo, conseiller départemental. Point. Avec son accord, il s'est laissé instrumentaliser."
C'est le nouvel axe de campagne de Joël Wilmotte : dénoncer un complot destiné à l'abattre. Son fils serait donc la marionnette entre les mains de Gérald Darmanin et de Jean-René Lecerf. Pourquoi le Ministre nordiste (LREM) de l'Action et des Comptes Publics ? Mystère... Pourquoi le Président (DVD) du Conseil Départemental du Nord, dans lequel siège le maire d'Hautmont depuis 26 ans ? Mystère... "J'ai seulement évoqué, pour tenter de calmer les esprits, l'idée que le fils soutienne le père à la mairie et que le père soutienne le fils au département, explique Jean-René Lecerf. Mais bon, je n'ai aucun problème avec Hautmont. On leur construit une salle des sports toute neuve. On vient de décider de réhabiliter leurs deux collèges en un seul. Après le 28 juin, je prendrai le Wilmotte que Dieu me donnera. Et franchement, je m'en fous !" Avant de conclure : " Il commence à m'inquiéter le père Wilmotte."
Mais le "père" Wilmotte va bien."Tous les ans, rassure t-il, je cours mon marathon. Je prépare celui de Paris. C'est ma révision annuelle. Mon hygiène personnelle. C'est aussi mon baromètre. J'arrête tout quand je sentirai que je n'en suis plus capable. Mais c'est loin d'être le cas. Faites du sport... c'est important." Fin des 7 minutes. Un bon chrono. Les journalistes, avec lui, ont rarement plus.