Ce jeudi 11 janvier 2024 soir, un rassemblement a lieu contre "le vieux monde sexiste" à Lille, comme à Paris ou Marseille et dans une trentaine de villes, trois semaines après le soutien apporté par Emmanuel Macron à Gérard Depardieu et peu après que le ministre de la Justice a annoncé une baisse du nombre de féminicides. Dans les Hauts-de-France, a minima, 14 féminicides ont eu lieu en 2023. Entretien avec Betty Rygielski, membre du conseil d'administration 'Nous Toutes' Valenciennes.
Dans un entretien publié mardi 2 janvier 2024 par Le Figaro, Eric Dupond-Moretti a donné le chiffre de 94 féminicides en 2023, contre 118 en 2022. Le garde des Sceaux y voit le signe que "l'engagement de la justice française pour endiguer les féminicides" porte "ses premiers fruits". Les associations féministes ont accueilli avec prudence la baisse de 20% des féminicides en 2023 avancée par Eric Dupond-Moretti et rappellent que ces meurtres ne sont que la "partie émergée" des violences intrafamiliales. Dans ce contexte, trois questions à Betty Rygielski membre du conseil d'administration de l'association "Nous Toutes" Valenciennes. (1)
Comment réagissez-vous à l'annonce des chiffres des féminicides par le ministre de la Justice ?
"On n'est pas d'accord avec ces chiffres et de manière collective. Déjà ce sont des chiffres provisoires qui doivent être comparés à d'autres chiffres provisoires de l'année 2022. Ce qu'on conteste, ce sont deux points cardinaux : d'une part, que le nombre est inexact : par exemple le collectif "Féminicides par compagnons ou ex-compagnons" a décompté 101 féminicides en 2023 et non 94. Et deuxième point contesté, c'est que le ministre se focalise sur les féminicides commis par compagnons, ex-compagnons ou conjoints, ex-conjoints alors que le terme féminicide est beaucoup plus large que cela et qu'il existe d'autres types de féminicides. Il se limite en fait aux féminicides conjugaux."
Pourquoi est-il important pour vous de contester cette annonce du ministre de la Justice ?
"C'est important de réagir parce que la société de manière générale, minimise les violences. Alors que les chiffres sont très peu contestables, ils sont minimisés par le ministère même. Au plus haut de l'Etat, on minimise les comportements violents. Et même les féminicides, les plus graves comportements violents. C'est extrêmement problématique que l'Etat ait ce positionnement-là alors qu'il paraît que c'est une des luttes fondamentales de l'Etat. Ce problème, on peut le mettre en perspective par rapport à ce qui vient de se passer par rapport à la Ciivise : l'Etat avait mis en place une commission indépendante pour travailler autour des violences sexuelles et plus précisément sur l'inceste. C'était un signal ultra-positif. On a une commission indépendante qui a travaillé pendant 3 ans avec des professionnels et des bénévoles, qui a déposé un rapport de 700 pages avec 82 préconisations pour lutter contre les violences sexuelles, les incestes et les violences, de manière plus générale. Ces personnes remettaient en cause aussi le système judiciaire et voyaient le problème de manière systémique. Ce qui s'est passé au sortir de ce rapport, c'est que les personnes qui l'ont rédigé ont été écartées. Avec les féminicides, c'est donc à nouveau une invisibilisation des phénomènes violents. Et pour nous, c'est un véritable problème que ça vienne de l'Etat qui dit vouloir lutter contre les violences."
Comment expliquez-vous ce décalage ?
"Je n'ai aucune explication. L'affaire Depardieu (2) c'est exactement la même chose. C'est même encore plus flagrant. Et les gens sont encore plus agacés [...] De voir le président de la République dire "c’est quelqu'un que j'admire"... On est à un niveau d'outrance, de déni des victimes qui est, pour nous, surréaliste. Je n’ose même pas imaginer que ça puisse être un président ou un gouvernement qui ne veut pas faire le travail. Parce qu'on se dirait "elle est complotiste", je n’ose même pas le penser. Mais sincèrement, on se dit : quel est son degré de volonté de protection des victimes, des enfants, des femmes et des personnes discriminées dans la société. [...] Pour envoyer ce message-là en tant que président de la République publiquement, ou avoir cette posture-là en tant que ministre de la Justice, pour moi, c'est avoir un très faible degré de volonté de lutter contre les violences."
(1) L'entretien avec Betty Rygielski a été effectué la semaine dernière.
(2) Gérard Depardieu est mis en examen pour viols et visé par trois plaintes pour agression sexuelle ou viol qu'il réfute.
Un rassemblement a lieu ce jeudi 11 janvier 2024 à 18h30 Place de la République à Lille pour "dénoncer la culture du viol et l’impunité des agresseurs qui dévalorise la parole des victimes de violences sexuelles".