La «"déconstruction" polémique de cet édifice du 19e siècle, par la mairie en 2017, devait permettre de construire un "bâtiment multifonction". Mais le projet a été abandonné.
Elle avait scandalisé. Comme nous vous le racontions en 2017, la démolition du château de Lagny-le-Sec avait suscité l’émoi d’amoureux du patrimoine, bien au-delà des frontières de ce village de l’Oise, malgré les arguments du maire (LR) Didier Doucet, qui travaillait sur différentes alternatives depuis plusieurs années.
Un article de 2017 repartagé
L’émotion est ravivée cette semaine par le partage massif sur Facebook de notre article de 2017, relayé notamment sur un groupe de Gilets jaunes. Une forme de fausse nouvelle. Beaucoup n’ont pas compris que l’information était vieille de 3 ans, alors qu’un simple clic les aurait éclairés.
Résultat de cette viralité maladroite : des commentaires violents et des courriers adressés au maire. "Des gens qui ne connaissent absolument pas le dossier et l’état du patrimoine me disent que je fais ‘honte à la France‘... Qu’ils viennent me voir et je vais leur expliquer la vie !", s’emporte Didier Doucet.
Une cantine et un accueil périscolaire
Pourquoi ne pas avoir revendu le château ? "Il se trouve dans un parc de 9 hectares qu’il est hors de question de saucissonner, explique l‘élu. Une maison sert de cantine et d’accueil périscolaire. On a aménagé des espaces de promenade, des aires de jeux, les ateliers techniques dans les jardins… Céder le château n’aurait été pratique pour personne."
L’édile affirme qu’il est "féru d’Histoire" et veut relativiser : "soyons clairs, ce n’est pas un château à forte valeur historique (il n’est pas inscrit au titre monuments historiques, ndlr), il a subi bien des remaniements au fil du temps, il faisait partie du paysage, on est contrit, mais il faut raison garder."
Inutile aujourd’hui de s’émouvoir de cette démolition : elle a eu lieu. Si un nouveau débat devait naître, ce serait plutôt sur le vide qu’elle a laissé.
Rappel des faits
En 1995, la maison de soins qui occupe le château est fermée administrativement pour vétusté. La commune devient propriétaire de l’enceinte mais va la laisser se délabrer. "Il y a eu des votes des habitants mais jamais d’accord sur ce qu’on devait en faire", explique le maire actuel.
En 2012, Didier Doucet est premier adjoint et travaille sur deux alternatives : réhabiliter et étendre le château, ou le "déconstruire" et construire un "bâtiment multifonction". Le conseil municipal vote pour la seconde option, moins chère d’1 million d’euros.
En 2017, le nouveau maire élu met en application la décision. L’association Urgences patrimoine est alertée. Mais les pelleteuses commencent leur oeuvre, au petit matin du 14 juin. "La plupart des murs sont tombés d’eux-mêmes", souligne Didier Doucet.
"J’ai remué ciel et terre mais c’était déjà trop tard, se souvient la présidente Alexandra Sobczak-Romanski. C’est un bel exemple de dictature patrimoniale : quand un maire est déterminé à mettre son château par terre, il n’y a rien à faire."
La militante concède que "l’église de Lagny-Le-Sec est super bien entretenue, on ne peut pas dire que le maire se fiche totalement du patrimoine". "On a dépensé 600 000 euros pour refaire l’Église", précise l’intéressé.
Le grand projet de construction abandonné
Le château détruit devait faire place à un vaste bâtiment d’architecte, conçu par un cabinet lillois pour "réinterpréter" l’édifice historique. "Un truc en verre, ‘salle multifonction machin…’, que tout le monde veut faire mais ne fait pas souvent", balaye Alexandra Sobczak-Romanski.
Le fait est que trois ans plus tard, rien n’a poussé à la place du château. "Le projet a été abandonné en décembre 2017, admet Didier Doucet. J’ai trouvé que le coût, qu’on n’a pas réussi à réduire suffisamment, ne correspondait pas à la capacité d’une commune comme la nôtre, et qu’il y avait des investissements beaucoup plus importants à faire pour les habitants."
Une maison de santé est notamment en construction (en dehors du parc). Quatre médecins sont déjà dans la commune et exercent en attendant dans des préfabriqués montés… à quelques mètres de l’emplacement du château. On les apperçoit ci-dessous à gauche, tandis que la chapelle mitoyenne du château, seule rescaptée de la démolition, apparaît à droite.
Car la mairie a tenu cet engagement : conserver la chapelle, "la seule qui tenait debout". Mieux, Didier Doucet compte toujours la réhabiliter et en faire "une sorte de phare du parc", qui va lui-même être remanié.
"À la démolition, on a sauvé toutes les pierres de taille qu’on a pu et on va les réutiliser pour refaire l’empreinte du château, raconte le maire de Lagny-le-Sec. On va installer des banquettes en béton brut, un espace scénique et vraisemblablement une pièce d’eau qui fera le pendant entre la chapelle et les jardins à la française que nous allons réhabiliter."
Le dossier de subvention est parti "juste avant le confinement" et le choix des entreprises est "quasiment fait".
D’autres édifices menacés dans les Hauts-de-France
La présidente d’Urgences patrimoine s’efforce de commenter chaque republication de notre article de 2017 pour marteler que la page est malheureusement tournée. Mais elle mène d’autres combats dans la région. Marquée par la démolition de l’Église Saint-Jacques d’Abbeville en 2013, la militante se désole d’une "diabolisation du 19e siècle".
"En ce moment on se bat pour la chapelle Saint-Joseph de Lille, confie Alexandra Sobczak-Romanski. Elle appartient à une école catholique… Si même les catholiques s’y mettent, où va-t-on ?!" France 3 Nord-Pas-de-Calais y consacrera prochainement un reportage.
Autre bataille actuelle : le château de Westhove, à Blendecques dans le Pas-de-Calais. "Le maire réélu en 2014 le laisse pourrir, avec des squatteurs, de l’urbex…. et il veut le détruire", s’insurge la défenseuse du patrimoine. Elle a lancé une pétition en ligne qui "ne prend pas". Elle dit avoir été contactée par Stéphane Bern pour le Loto du patrimoine : "Il a appelé le maire qui n’a même pas daigné lui répondre."
À la différence de Lagny-le-Sec, l’édifice serait inscrit au titre des monuments historiques depuis 2011, ce qui ne l'immunise pas pour autant contre la démolition. Parfois, les experts de la protection du patrimoine considèrent eux aussi qu'il faut tourner la page.