Deux cabinets japonais, provenant des collections du duc d'Aumale, ont été volés au château de Chantilly en 1975. 45 ans plus tard, le 26 avril 2021, les conservateurs du musée Condé ont retrouvé les deux objets sur le catalogue d'une vente aux enchères à Doullens dans la Somme.
Les conservateurs du musée Condé du château de Chantilly ne s'attendaient sûrement pas à une telle découverte. Comme à leur habitude, ils regardent régulièrement les objets vendus aux enchères afin d'en faire peut-être l'acquisition pour leurs collections.
Ce matin là, lundi 26 avril, Mathieu Deldicque, conservateur du patrimoine au musée Condé, reçoit une alerte du site Interencheres. Deux cabinets japonais, "fin XVIIIe siècle", présentant "une étiquette de la Maison d’Orléans. Probablement ancienne collection du duc d’Aumale", sont à vendre aux enchères à Doullens dans la Somme.
"Cela nous alerte tout de suite bien sûr, affirme Nicole Garnier, conservateur général du patrimoine et responsable des collections du musée Condé. On regarde alors les photos dans le catalogue de la vente et on essaye de comprendre comment ces objets peuvent provenir de la collection du duc d'Aumale."
Deux étiquettes "Orleans House"
À l'intérieur des cabinets, le commissaire-priseur en charge de la vente avait repéré un détail précieux : des étiquettes indiquant Orleans House. Il s’agit là en effet des étiquettes apposées sur les meubles du duc d’Aumale au moment de son exil anglais.
"Il avait une résidence à Twickenham qui s'appelait Orleans House. Donc cela appartenait bien au duc d'Aumale, confirme Nicole Garnier. Sur notre inventaire, il est indiqué que ces objets proviennent des collections de Condé en provenance du palais Bourbon. On voit que c'est arrivé à Chantilly en juillet 1843 et ensuite c'est parti à Twickenham au début des années 1850 et c'est revenu ensuite à Chantilly. On comprend aussi très vite qu'il peut s'agir des objets volés en 1975."
Un vol bien orchestré
Dans la nuit du 12 au 13 août 1975, alors que l'un des gardiens de nuit était en vacances, une camionette suspecte réussit à pénétrer dans le domaine de Chantilly. Les voleurs, visiblement bien renseignés, réussisent à déjouer les alarmes et à s'introduire dans la Maison de Sylvie, une annexe du château. Ils s'emparent alors de plusieurs objets : deux tapisseries des Gobelins, quatre vases japonais et deux petits cabinets en laque du Japon.
Les socles du XIXe siècle, sur lesquels ils étaient présentés, sont restés en place, tout comme les objets trop lourds à transporter, qui ont été seulement déplacés. Jusqu'à ce jour, aucun objet n'avait été retrouvé malgré la large diffusion des photos des œuvres volées.
Chez un antiquaire de Rouen
45 ans plus tard, il n'y a plus de doute, les photos des deux cabinets avant 1975 correspondent bien avec les objets parus sur la vente aux enchères. "Le commissaire-priseur m'a dit : « c'est limpide, on comprend bien que c'est à vous », confie Nicole Garnier. Heureusement qu'il avait identifié les étiquettes, sinon on ne les aurait pas vu passer..."
Le déposant, un antiquaire de Rouen, a accepté de céder gratuitement les deux meubles au musée. Sans avoir connaissance de la provenance des objets, la paire était estimée entre 10 000 et 15 000 euros. "Lui et le commissaire-priseur ont été très généreux", souligne la conservatrice.
Dans la foulée, le musée Condé a déposé plainte auprès de la gendarmerie en présence de l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels. "Ils vont remonter la piste pour essayer de récupérer d'autres objets qui ont été volés la même nuit", indique-t-elle.
Présentés pour la réouverture du musée
Selon les recherches effectuées par les conservateurs du musée, les deux cabinets appartenaient aux collections de Louis-Henri-Joseph, dernier prince de Condé (1756-1830) et parrain du duc d’Aumale. Mort sans héritier vivant, il avait légué Chantilly, ainsi que sa résidence parisienne du Palais-Bourbon et ses collections au duc.
Ceci étant, cela ne permet pas d'identifier à quelle époque les deux objets sont entrés dans les collections des princes de Condé, ni même leur datation. Les conservateurs pensent alors au grand-père de Louis-Henri-Joseph, Louis-Henri de Bourbon-Condé (1692-1740), premier ministre de Louis XV, immense mécène et grand amateur de pièces asiatiques. Il collectionnait notamment les porcelaines et laques d'Extrême-Orient. Il avait d'ailleurs créé trois manufactures inspirées par les productions d’Asie : celle de porcelaines, celle d’indiennes, et celle de laques.
Comme un signe du destin, dès le 19 mai prochain pour la réouverture du musée, les deux cabinets prendront place à l'entrée de l'exposition : "La fabrique de l’extravagance. Porcelaines de Meissen et de Chantilly", centrée sur les collections asiatiques du prince de Condé. "Dans ce cas là, les cabinets tombent à pic", sourit Nicole Garnier. L'exposition aura lieu jusqu'au 29 août 2021.