Savez-vous ce qu'est un déballage marchand ? C'est là où brocanteurs et antiquaires s'approvisionnent. Un rendez-vous entre professionnels uniquement qui a des airs de marché de Rungis du meuble et de l'objet de décoration anciens.
5h du matin et c'est déjà l'effervescence sur ce parking en périphérie de Compiègne. Des dizaines de camionnettes y sont garées, coffres et portières grands ouverts. Des chaises, de la vaisselle ancienne, des tableaux en descendent et sont installés dans un grand préfabriqué en fonction des emplacements attribués.
La brocante des brocanteurs et des antiquaires
Au milieu des va-et-vient, brassard jaune au bras, Nicolas Jallot, l'organisateur, oriente les derniers arrivés. Nous sommes dans un déballage marchand, une grande brocante pour brocanteurs et antiquaires. "On est entre pro, acheteurs comme vendeurs. On achète et on vend de la marchandise destinée aux professionnels. On s’approvisionne entre nous, explique Nicolas. La particularité du métier d’antiquaire ou de brocanteur, c’est qu’on a tous notre spécialité. Moi, c’est le vintage. D’autres, c’est le début du siècle, l’Art déco, les tableaux. Et on a tous de la marchandise qui ne correspond pas à notre spécialité. Donc on se revend cette marchandise entre nous. Il y a des mois où on a plus de marchandise que d’habitude, donc on a besoin de revendre. Ou alors, on vient s’approvisionner parce qu’on a une commande particulière d’un client."
Ça permet de proposer des produits à des collègues dans d’autres régions qui ont une clientèle plus ciblée que la nôtre.
Antoine Lefort, antiquaire à Pacy-sur-Eure, dans l'Eure
Sites d'occasion, salles des ventes, achats aux particuliers. Le déballage marchand, sorte de marché de Rungis de l'ancien, est l'une des façons qu'ont les professionnels de trouver de la marchandise. À Compiègne, les vendeurs viennent d'une centaine de kilomètres à la ronde : région parisienne, Nord, Pas-de-Calais, Normandie, mais aussi Belgique.
Antoine Lefort est antiquaire à Pacy-sur-Eure, spécialisé dans les objets militaires et l'Art nouveau. Les déballages marchands en tant que vendeur, c’est l'occasion de recentrer son stock sur ses domaines de prédilection. "On amène plutôt des objets qu’on a chinés ces dernières semaines ou ces derniers mois chez des particuliers, quand on a fait ce qu’on appelle des adresses. Ça permet de proposer des produits à des collègues dans d’autres régions qui ont peut-être une clientèle plus ciblée que la nôtre, confirme-t-il en installant son stand. L’intérêt d’un déballage marchand, c’est que ce sont des acheteurs qui savent vraiment ce qu’ils veulent. Ça va vite. Les acheteurs sont en général spécialisés dans un domaine, dans une époque, dans un artiste. On arrive comme ça à cibler des acheteurs qui ont une clientèle très particulière. Et la plupart des choses qui sont vendues aujourd’hui sont déjà revendues d’avance."
Une culture et un langage communs
Il existe très peu de déballages marchands mensuels en France : Chartres, Le Mans, Avignon, Montpellier, Béziers. Et depuis peu, Compiègne. Alors dehors, les antiquaires et brocanteurs acheteurs sont déjà nombreux. Jean-Paul Petit, qui tient une boutique à Montigny-Lengrain dans l'Aisne, vient à Compiègne pour la première fois. Et il a hâte d'aller chiner. "Je ne sais pas ce que je viens chercher aujourd’hui ! Le coup de cœur ! Toujours le coup de cœur ! Moi, je suis généraliste. Je ne sais pas si je vais acheter quelque chose. Ça dépend de ce que je trouve. Je veux peut-être dépenser 500 ou 1 000 €. Peut-être plus ! Peut-être moins !", s'amuse-t-il.
Aujourd’hui, les particuliers regardent sur leur téléphone et vous disent combien ils en veulent en fonction de ce qu’ils ont vu. Sauf qu’ils regardent des prix qui n’existent pas.
Jean-Paul Petit, brocanteur à Montigny-Lengrain
Il est 8h, l'heure d'ouvrir l'accès. La vente ne va durer que trois heures, mais les brocanteurs sont des acheteurs qui ont du nez. Tout va donc très vite.
Jean-Paul passe de stand en stand. S'arrête. Prend un broc d'eau, le retourne et le repose. "C’est plus facile dans les déballages marchands que chez les particuliers, avoue-t-il. Aujourd’hui, les particuliers regardent sur leur téléphone et vous disent combien ils en veulent en fonction de ce qu’ils ont vu. Sauf qu’ils regardent des prix qui n’existent pas. Cette coupe, je peux la mettre sur un site en disant que ça vaut 3 000 €. Et le particulier qui a la même va en demander autant. Ce qui est totalement ridicule. Ça n’existait pas avant. Et c’est une catastrophe pour nous."
Et de filer d'un seul coup vers un petit miroir de style Forêt-Noire dont l’encadrement a été taillé dans une seule pièce de bois et qui date du milieu du 19e siècle. "Avec les marchands, on partage une culture commune donc c’est plus facile d’échanger sur des objets d’art ou des objets d’histoire, Antoine Kojalavicius, le vendeur, brocanteur à Amiens. Après les négociations restent des négociations. Mais c’est plus rapide avec des professionnels parce qu’ils savent ce qu’ils achètent et nous, on sait ce qu’on vend."
Antoine n'aura pas à négocier avec Jean-Paul pour ce miroir : les 400 € qu'il en demande, c'est trop cher pour le brocanteur de l'Aisne qui va plutôt lui acheter "deux petits lustres Jansen. Et une petite table en rotin qui est dans l’air du temps. Ça, je suis sûr de la revendre. Ce sera pour la boutique", montre-t-il.
Une profession en difficulté
Un article qu'il revendra deux ou trois fois le prix d'achat. C'est le tarif dans le milieu. "On a des charges à payer ! Les gens ne se rendent pas compte de ça ! On est comme les autres !", justifie Jean-Paul.
Quand vous allez chez les gens, il n’y a même plus de bibliothèque. Il n’y a pas de tableaux aux murs. Tout est blanc. Tout est épuré. C’est le même intérieur chez tout le monde. Il n’y a plus d’âme.
Fabien Masse, antiquaire à Pacy-sur-Eur
Hausse des charges. Concurrence de l'étranger. Baisse de la clientèle. La profession d'antiquaire/brocanteur a mangé son pain blanc il y a déjà quelques années. "On est en voie de disparition. Le très haut de gamme se vend encore très bien, mais tout ce qui est entrée de gamme, et objets de déco, ça a chuté énormément, déplore Fabien Masse, qui exerce à Pacy-sur-Eure. Je l’explique par le manque de culture de la jeune génération : quand vous allez chez les gens, il n’y a même plus de bibliothèque. Tout est sur tablette. C’est triste. Il n’y a pas de tableaux aux murs. Tout est blanc. Tout est épuré. C’est une grande marque scandinave qui meuble les gens. C’est le même intérieur chez tout le monde. Il n’y a plus d’âme. Il n’y a plus rien. C’est générationnel. Ceux qui achètent, ce sont des passionnés, des gens qui aiment ce que l’on fait. Aujourd’hui, notre métier, c’est plus une profession de foi."
Le déballage se termine. Jean-Paul repart avec ses lustres, sa petite table en rotin et une applique cuivrée en forme de feuilles. Antoine Lefort commence à ranger pour repartir à Pacy-sur-Eure. C'est l'heure des comptes. Il a fait "à peu près 1 000 €. C'est maigre." Fabien Masse, lui, a vendu pour "à peine 300 balles... Tout déduit, il ne reste pas grand-chose... Mais bon, c’est pas grave ! On s’est bien marrés !", relativise-t-il.
Avec Sophie Crimon / FTV