"Le succès est immédiat dans le Tout-Paris des plus fortunés" : les thermes oubliés de Pierrefonds, station thermale réputée de 1847 à 1918

Pierrefonds, réputé pour son château de style gothique sorti d’un conte de fées, fut aussi, à la Belle Époque, un lieu très en vogue pour son centre de cure thermale. Une page de l’histoire tombée dans l’oubli et que nous feuilletons à nouveau pour vous.

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"Pierrefonds vient du mot latin petrae fontis, littéralement, sources qui s’écoulent de la roche", nous explique Guillaume Fournier, dont la famille réside depuis 13 générations au moins dans cette cité au patrimoine remarquable. Il le sait pour avoir plongé dans son histoire généalogique personnelle.

Cet ancien agent d’accueil au château de Pierrefonds, confesse une passion dévorante pour l’histoire locale. "J’ai accumulé un millier de documents et objets relatifs à ma commune. Au point qu’en 2021, j’ai ouvert le musée 'Les Secrets de Pierrefonds' non loin du château, ce qui me permet de profiter d’un flux de 150 000 à 160 000 visiteurs chaque année. C’est le 2e site le plus visité dans l’Oise après le château de Chantilly. J’organise aussi des escape game pour mieux découvrir l’histoire de mon village". Guillaume, qui se revendique pétrifontain, habitant de Pierrefonds, est aussi guide à la demande, et il est intarissable dès qu’il s’agit d’évoquer la grande époque des thermes dans ce qu’il appelle son village de 1 900 habitants.

7 collines et autant de sources

"On pourrait commencer cette histoire par le fameux 'il était une fois' s’amuse notre guide pétrifontain. Les eaux de Pierrefonds sont connues depuis l’Antiquité. Et avant l’arrivée du christianisme, la source, située sous l’actuelle église Saint-Sulpice, était l’objet d’un culte païen. Puis vers 600 après Jésus-Christ, on habille la source d’une chapelle. Cette eau est alors réputée soigner les maladies de peau, les reins, les maladies pulmonaires. Au 11e siècle, on bâtit une église. Elle est dédiée à Saint-Sulpice dont des reliques sont accrochées à un mur. C’est alors un lieu de pèlerinage important. Nous sommes à l’époque du premier seigneur de Pierrefonds, Nivelon."

Louis-Joseph Deflubé, l’homme providentiel

"La localisation des sources s’oublie avec le temps, nous explique Guillaume Fournier. Leurs vertus seront redécouvertes au 19e siècle par un homme qui a plus d’importance à mes yeux que Viollet-le-Duc, le célèbre architecte français qui a mené la restauration du château de Pierrefonds pendant des années et lui a rendu la splendeur qu’on lui connaît aujourd’hui." Cet homme, c’est Louis-Joseph Deflubé. C’est un artiste fortuné, qui peint, qui pratique la photo, encore balbutiante à l’époque.

Il arrive en 1828 à Pierrefonds, qui semble s’être figé dans le temps, celui du Moyen Âge. "À l’époque, l’étang relève plutôt de la mare croupie, le château est en ruines, les maisons sont à toit de chaume. Les habitants vivent en quasi-autarcie, du travail des champs et de l’exploitation de la forêt." En témoigne cette photo issue du fonds du musée d'Orsay et signée Louis-Joseph Deflubé.

Mais ce parisien aisé tombe sous le charme de ce lieu hors du temps. "Nous sommes en pleine période du Romantisme. Les ruines inspirent de nombreux auteurs et poètes. Il décide donc d’acheter le lac et le domaine situé à proximité. Et se fait construire un château en 1830. Il va assainir le lac et construire une berge, ajoute Guillaume Fournier. Un château qui deviendra progressivement le théâtre de fêtes somptueuses pour ses invités, des aristocrates parisiens."

1845, les débuts de l’aventure thermale

En 1845, Louis-Joseph Deflubé entame le déboisement du fond de son domaine. Des travaux de déblaiement, qui font réapparaître les sources tombées dans l’oubli. Très vite, l’artiste, doublé d’un homme d’affaires au flair aiguisé, demande l’analyse des eaux de source.

Et en 1847, il obtient une autorisation pour exploiter ces eaux. Tout s’enchaîne alors très rapidement. "Il fait construire un bâtiment en bord de lac, quelques douches et une salle de respiration. Le succès est quasi immédiat, grâce notamment à son réseau de connaissances dans le Tout-Paris des plus fortunés." Pierrefonds-les-Bains est né, et Deflubé va gérer le centre de cure jusqu’en 1878.

Napoléon III : une visite impériale qui lance définitivement Pierrefonds-Les-Bains

En 1850, le prince-président Louis-Napoléon Bonaparte arrive à Pierrefonds pour y visiter les ruines du château. Lors de cette impériale visite, il va tomber sous le charme de ce village et notamment de ses thermes. "En 1857, nous explique Guillaume Fournier, Napoléon III décide d’engager les énormes travaux de restauration du château, sous la houlette de Prosper Mérimée, écrivain, inspecteur général des monuments historiques, et d’Eugène Viollet-Le-Duc, maître de l’architecture française du 19e siècle. Un chantier de près de trente ans qui va attirer les riches parisiens, curieux de suivre l’évolution de la restauration. Au rang desquels Alexandre Dumas et John Davison Rockefeller, un industriel américain, l’homme le plus fortuné de son époque. Du beau monde, qui en profitera pour s’offrir une cure thermale."

Le Second Empire signe l’apogée des thermes de Pierrefonds. L’impératrice Eugénie est une habituée des cures et elle possède même sa propre barque sur l’étang. Un succès qui doit aussi beaucoup à la construction de la gare en 1884, avec la création de la ligne Paris - Villers-Cotterêts - Pierrefonds - Compiègne.

Une invention révolutionnaire

D’avril à octobre, dates de la saison des eaux, on se bouscule donc dans ce centre de cure aux portes de Paris. Désormais, les thermes comportent une quarantaine de salles, où l’on bénéficie de soins, de douches, bains, pour soigner ses maladies de reins, pulmonaires, de vessie, de peau et même la syphilis !

Le propriétaire de l’établissement, Louis-Joseph Deflubé, engage un directeur : le docteur Sales-Giron. "Ce dernier va mettre au point sur papier une invention révolutionnaire : un système de nébulisation ou pulvérisation des eaux. Deflubé se passionne pour cette trouvaille et il va passer des mois à mettre au point la machine ad hoc. Sa machine à pulvériser des gouttelettes fines est opérationnelle à la fin des années 1850. Une première mondiale. Ce soin respiratoire fonctionnel sera décliné plus tard avec les sprays ou les récipients sous pression. D’ailleurs, Deflubé et Sales-Giron recevront la Légion d’honneur pour leur action en faveur de la commune."

Une trouvaille remarquable qui accroît la notoriété des bains de Pierrefonds. "L’hôtel des Thermes, l’ancien château de Deflubé, ne désemplit pas. Restaurants et lieux d’hébergement se multiplient pour accueillir les curistes. Pierrefonds devient un lieu huppé où les aristocrates se font construire de grandes demeures."

En 1884, c’est la fin d’une époque, la Belle Époque, avec le décès, à l’âge de 87 ans, de Louis-Joseph Deflubé, le créateur du centre de cure thermale. Un homme à la formidable intuition qui repose désormais dans le cimetière de Pierrefonds.

La Grande Guerre et le déclin

En 1914, la guerre éclate, nous explique Guillaume Fournier. "Pierrefonds devient une base arrière pour le Front, situé à une vingtaine de kilomètres. L’établissement des Thermes est transformé en hôpital et à Palesne, à un kilomètre de là, on construit un aérodrome pour l’aviation française. Le Compiégnois Georges Guynemer s’y posera. Quant au château, il est réquisitionné par l’Armée française".

Côté centre de cure, le nouveau propriétaire est un enfant du pays, il s’appelle Adolphe Clément-Bayard, fabricant de vélocipèdes, automobiles et matériel aéronautique. "Un homme très occupé, à la tête de plusieurs usines, qui sera le maire de Pierrefonds pendant la Première Guerre mondiale. Si occupé qu’il demande à Carlos Bugatti, le père d’Ettore Bugatti, d’assurer l’intérim à la tête de la commune". Venu soigner son épouse atteinte d’une grave maladie pulmonaire, Carlos Bugatti s’est en effet installé à Pierrefonds. "Il est ébéniste de formation et c’est lui qui va sculpter la cheminée monumentale en bois qui se trouve toujours au restaurant Le Chalet du Lac."

Notre histoire s’achève le 20 août 1918 avec les bombardements allemands sur la ville de Pierrefonds. "L’ennemi jette ses torpilles, à la main, depuis les avions, précise Guillaume Fournier. Aucun bâtiment ne sera épargné et les thermes sont totalement détruits. Après-guerre, on va tenter de relancer l’activité des bains, mais en vain. Et peu à peu, on démontera ce qui reste des thermes. On m’a raconté qu’à l’époque, dans des boutiques parisiennes, on vendait des bouteilles remplies d’eau de source de Pierrefonds. Une eau sulfurée, remarquable pour sa couleur opaline. Si je pouvais en dénicher une, ce serait mon Graal à moi", s’amuse Guillaume Fontaine, passionné aussi par l’histoire médiévale.

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