Un collectif d’habitants refuse la construction de deux poulaillers qui dégraderait la valeur foncière dans le village. “On a raconté n’importe quoi”, regrette le porteur du projet.
Ils ne veulent pas finir dindons de la farce. 65 personnes, selon les organisateurs, ont manifesté samedi 29 mai dans le joli village de Rully et son hameau de Bray - plus de 700 habitants - contre un projet d’élevage. Celui-ci est porté par Alexis Tordeur, 33 ans, fils d’agriculteurs du village. Sa mère est aussi adjointe à l’urbanisme.
Le jeune homme s’est rendu à la manifestation "pour échanger", accompagné de deux élus FDSEA "pour avoir leur regard extérieur sur la manière de gérer la situation". Ils ont vite été éconduits. "Ça m’a au moins permis de calmer une personne qui m’a dit qu’elle viendrait nous voir à la ferme, confie l’agriculteur. Certains sont prêts au dialogue, d’autres non."
Une polémique qui brasse histoires de village et débat de société sur notre modèle agricole. Des candidats aux élections départementales auraient d’ailleurs tenté de prendre le tracteur en marche : "On nous a proposé de nous soutenir en échange de distribuer des tracts pour eux, affirme une habitante opposée au projet, Karen Rabier. Mais on ne veut pas."
Un "permis complètement caché"
Alexis Tordeur souhaite reprendre l’exploitation céréalière de ses parents et en diversifier l’activité en construisant deux poulaillers, pour un total de 9000 bêtes. Le permis de construire a été signé par la maire pendant le confinement.
Un collectif d’une cinquantaine d’opposants s’est immédiatement constitué et une première pétition sur papier aurait recueilli 350 signatures. "Quelqu’un a lancé l’alerte en mettant des tracts dans des boîtes aux lettres stratégiques de la commune sur ce permis complètement caché", raconte Karen Rabier.
"On est parti du mauvais pied en communication, concède Alexis Tordeur. Certains ont probablement des griefs avec ma famille, des histoires de village. Et le confinement ne nous a pas permis de préparer le projet avec les habitants."
Convaincus d’avoir levé un lièvre, les opposants au projet pensent qu’Alexis Tordeur voudra doubler le nombre de poulaillers et de volailles. "On lui a demandé, il dit que non, mais on ne croit plus cette famille, tranche Karen Rabier. Sa mère emmerde tout le monde pour des cabanons de jardin alors qu'elle a démoli un mur et mis un portail sans autorisation dans un périmètre classé ABF (Architecte des bâtiments de France, ndlr)."
Le collectif compte se muer en association et, avec les adhésions, se payer un avocat. "Le nombre de volailles est en-dessous du seuil permettant de déclencher une enquête publique, mais nous allons voir s’il n’y a pas de vice de procédure", explique Karen Rabier.
Bruit, odeurs, camions...
À en croire la pétition en ligne lancée très tôt par les opposants, le projet serait catastrophique pour le village. Il nuirait à l’environnement, à cause d’une "implantation trop près des habitations", des "mauvaises odeurs" causées par l’épandage de fientes, des "rats", de la "pollution des sols" et des "nuisances routières". Le texte invoque même un "risque accru d’allergies", "la grippe aviaire", des "germes" pouvant avoir "de graves conséquences" sur la santé des animaux de compagnie, ainsi que la "souffrance" des poulets eux-mêmes, "stressés", dans des "espaces limités".
Toutes ces nuisances attendues entraîneraient, déjà, une "baisse de la valeur des biens" de la commune.
Notre principal sujet, c’est la perte du prix foncier. On a deux agents immobiliers dans le village qui nous l’ont clairement dit. D’ailleurs, il y a déjà trois ventes qui ont capoté, alors que ce n’est pas encore fait.
Les deux parties ont eu des moments de dialogue. "On avait rencontré le porteur du projet mercredi dernier pendant trois heures, explique Karen Rabier. Pour se diversifier, certains font des fraises, des pommes de terre... Lui, il veut faire de la volaille, parce que c’est moins de travail et ça fonctionne même l’hiver : on n’est pas d’accord."
Des critiques hors-sujet, selon le porteur du projet
Ingénieur agronome de formation, Alexis Tordeur a publié une vidéo explicative pour dissiper ce qu’il considère comme un malentendu. Économie circulaire, agroforesterie, viande blanche et Label Rouge : il assure que son projet de "polyculture-élevage" est "dans l’air du temps", loin du tableau dépeint par ses détracteurs, "sur la base de mauvaises informations".
"Je vais continuer de produire du blé et je vais planter plusieurs centaines d’arbres de fruits à coque, ça me tient à cœur, explique Alexis Tordeur. Tout cela viendra nourrir les poulets, dont les fientes seront épandues dans les champs, pour une forme d’autonomie azotée, une économie circulaire au sein de l’exploitation."
Quitte à se lancer dans l’élevage, pourquoi le poulet ? "La viande blanche a le vent en poupe, constate l’agriculteur, et avec 30% d’importation aujourd’hui, il y a de la place." Le cahier des charges Label Rouge sera respecté : des poulets à croissance lente devraient se balader en journée sur un parcours arboré de 20000 m2, entouré de haies, "on ne peut pas faire mieux niveau bien-être animal".
Quant au bruit et aux odeurs, "il n’y a pas de sujet", selon Alexis Tordeur. La distance légale des habitations, 100 mètres, est plus que respectée : la première maison sera à 800 mètres. Les vents dominants venant de l’Ouest, les poulaillers seront construits à 1km à l’Est du bourg. "Le seul camion à circuler, une fois toutes les trois semaines, ne passera pas dans le village", promet le futur exploitant.
Sûr de ses arguments, il espère que "le temps fera son œuvre" et qu’il pourra construire ses poulaillers cet hiver.