Mardi 14 décembre, 68 agriculteurs ont été placées en garde à vue à Paris à la suite de leur manifestation devant le Conseil d'État pour protester contre le renforcement des règles encadrant les distances d'épandages de pesticides. Parmi eux 12 de l'Aisne, une dizaine de l'Oise et 5 de la Somme.
"C'est très perturbant quand vous n'avez jamais vécu cela". Au lendemain de sa garde à vue, Gwenaëlle Desrumaux, présidente des Jeunes agriculteurs de l'Oise ne comprends toujours pas comment la situation a pu dégénérer à ce point.
Il est 5h30 du matin, mardi 14 décembre, quand une centaine d'agriculteurs se rassemblent devant le Conseil d'État pour protester contre le renforcement des règles encadrant les distances d'épandages de pesticides. "On a installé nos banderoles, on a mis de la tôle sur le bitume et de la terre pour ne rien dégrader, ensuite on a fait brûler des palettes. Il y a eu les discours habituels, des CRS étaient là pour surveiller. C'était calme", relate Gwenaëlle Desrumaux.
Durant le rassemblement, deux agriculteurs sont soudainement interpellés par les policiers, qui annoncent par ailleurs que des contrôles de sécurité vont être effectués. "On a été parqués, sans qu'il n'y ait d'incidents, tout s'est fait dans le calme, répète la présidente des Jeunes agriculteurs de l'Oise. Par contre aucun contrôle n'a été fait, ils attendaient d'avoir les véhicules nécessaires pour nous emmener au commissariat." À ce moment-là, aucun des agriculteurs ne comprend qu'il s'agit d'interpellations. "On se disait même que c'était complètement aberrant de dépenser de l'argent pour nous emmener au commissariat pour de simples contrôles d'identité", poursuit-elle.
"C'est au moment d'enlever mes lacets et mon soutien gorge que j'ai compris, notamment quand on m'a dit que cela pouvait durer 48h."
Gwenaëlle DesrumauxPrésidente des Jeunes agriculteurs de l'Oise
À 7h30, l'ensemble des manifestants est alors réparti dans plusieurs commissariats de Paris. Au total, 73 personnes ont été interpellées dont 68 placées en garde à vue pour "participation à un attroupement" et deux pour "organisation d'une manifestation non déclarée" selon le parquet de Paris. Gwenaëlle Desrumaux est placée en garde à vue dans celui du 18e arrondissement. "C'est au moment d'enlever mes lacets et mon soutien-gorge que j'ai compris, notamment quand on m'a dit que cela pouvait durer 48h." La jeune femme est alors placée en cellule. "Nous ça allait, les femmes, on a été mises à part, mais pour d'autres, c'était des conditions plus ou moins dures."
Les libérations se feront par la suite au compte goutte. "Moi, j'ai été libérée à 16h après avoir donné ma déposition, indique-t-elle. "
"On a l'impression d'avoir subi un excès de zèle"
Après une nuit de sommeil, l'agricultrice tente de relativiser. "Mais certains agriculteurs en ont vraiment gros, nous confie-t-elle. C'était totalement disproportionné. Il y aurait eu des affrontements, on aurait compris, mais ce n'était pas du tout le cas. On a l'impression d'avoir subi un excès de zèle."
Pour elle, c'est le fait d'avoir manifesté devant la plus haute juridiction administrative qui a tout déclenché. "On a jeté un pavé dans la mare. On aurait jamais eu une telle répression, si cette action n'avait pas eu d'impact."
"Notre but ce n'est pas d'empoisonner nos voisins"
Depuis plusieurs années déjà, la question de la distance des zones d'épandages fait polémique. En décembre 2019, le gouvernement avait fixé dans un décret les distances minimales à respecter entre ces zones et les habitations soit : 5 mètres pour les cultures dites basses comme les légumes et céréales, et 10 mètres pour les cultures hautes, fruitiers ou vignes.
Ce même décret prévoyait également des dérogations afin de rallonger les ZNT (zone de non traitement) dans le cadre de "chartes d'engagement départementales" proposées par les utilisateurs de produits phytosanitaires et validées par les préfets après avoir été soumises à concertation publique. Pas suffisant pour le Conseil d'Etat, qui par une décision du lundi 26 juillet, ordonnait au gouvernement de revoir une nouvelle fois sa réglementation d'ici fin janvier, estimant que les distances minimales d'épandages étaient insuffisantes.
Alors que l'échéance approche, les agriculteurs opposés à ces mesures sont de plus en plus inquiets, redoutant d'importantes pertes de production, sans moyens de compensation, si les distances étaient allongées. "Les ZNT à 10 mètres cela représente 15 000 hectares dans l'Oise, vous imaginez ? À l'échelle française, cela représente des milliers d'hectares, indique Gwenaëlle Desrumaux. Il est légitime de se poser des questions par rapport aux produits phytosanitaires, mais il y a une vraie méconnaissance sur le sujet. Notre but ce n'est pas d'empoisonner nos voisins. Ce sont des produits sur-réglementés, pour lesquels on a été formés. Si on respecte les règles, il n'y a pas de danger pour la santé."
Le gouvernement devrait se prononcer en janvier. En attendant, les agriculteurs ne comptent pas baisser la garde. "Il y aura très fortement d'autres rassemblements, c'est certain", conclut la présidente des Jeunes agriculteurs de l'Oise.