François Mitterrand n'était pas un amoureux de la mer et pourtant, aucun autre président n'a fait mieux pour la protéger. Et si c'était grâce à Guy Lengagne, ex député-maire de Boulogne-sur-Mer devenu secrétaire d'Etat à la Mer ? Le père de la loi "littoral" et de Nausicaá raconte son 10 mai 1981.
On le connaît comme fervent défenseur de la culture, moins comme protecteur du monde marin. Et pourtant, c'est François Mitterrand, à la suite de son élection le 10 mai 1981, qui créera le premier ministère de la Mer. Une vague bleue dans la vague rose.
Peu sachant sur ces questions maritimes, le président socialiste pouvait se reposer sur un de ses proches : Guy Lengagne. L'ancien député PS du Pas-de-Calais (1981-2007) et maire de Boulogne-sur-Mer (1977-1989 ; 1996-2002) a conseillé Mitterrand avant même qu'il accède à l'Elysée. "La mer, ce n'était pas son truc, mais il faisait confiance à ceux qu'il connaissait", raconte celui qui deviendra son secrétaire d'Etat à la Mer, entre 1983 et 1986.
A l'origine de la loi "littoral" en 1986 et du Centre national de la mer... Guy Lengagne, aujourd'hui âgé de 87 ans, raconte comment ce 10 mai 1981 a changé la face des côtes françaises et de sa ville, Boulogne-sur-Mer.
Où étiez-vous ce 10 mai 1981 ?
J'étais dans mon bureau de maire, à Boulogne-sur-Mer. On regardait la télévision avec quelques amis, attendant avec une impatience fébrile le résultat des élections. Quand on a vu apparaître la silhouette de François Mitterrand, petit à petit, ça a été des cris de joie dans le bureau. Et ensuite, la foule s'est agglutinée autour de l'hôtel de ville. C'était noir de monde !
À un moment donné, je suis sorti, et j'ai été acclamé et porté par la foule. Car j'étais le représentant de François Mitterrand dans la ville, j'étais le mitterrandiste du littoral et notamment de Boulogne. À l'époque, j'étais secrétaire fédéral du Parti socialiste.
C'était un grand moment. La ville était quasiment en liesse. On était allé prendre un verre en basse ville, les bistrots étaient pleins, fêtant la victoire.
En 1980, pendant sa campagne, Mitterrand fait étape à Boulogne-sur-Mer. Vous êtes alors maire, quel souvenir en gardez-vous ?
Je me souviens de l'avoir emmené dans ma voiture, on s'était baladé sur le port et on avait fait un repas-débat. (N.D.L.R : François Mitterrand a également donné un meeting en tant que Premier secrétaire du PS et candidat à la présidentielle.)
Mitterrand n’était pas un grand connaisseur du monde marin, mais il vous consultait régulièrement ?
François Mitterrand n'était pas un maritime, la mer ce n'était pas son truc. Mais il était très réceptif sur les questions qu'il ne connaissait pas. Il faisait confiance à ceux qu'il connaissait.
Pour l'anecdote, dans les années 1980, j'étais responsable de questions maritimes au Parti socialiste. Et Mitterrand m’avait appelé avant un débat télévisé. On était à la fin de l’été 1980, tous les ports français étaient bloqués (lien). Mitterrand m’avait alors demandé : "Dites-moi Lengagne, de quoi s'agit-il, donnez moi votre point de vue là-dessus". Je lui ai donc donné des éléments très précis. Et chose extraordinaire, deux heures après, à la télévision, il avait tout retenu.
Après son élection, Mitterrand crée le premier ministère de la Mer. Vous y êtes entré en 1983, comme Secrétaire d'Etat chargé de la Mer. Qu’en retenez-vous ?
Ce dont je suis le plus fier, c'est la loi "littoral" (du 3 janvier 1986 N.D.L.R), qu'on voulait appeler la loi Lengagne. C'est moi qui l'ai fait voter à l'unanimité. Aujourd'hui, on l'oublie souvent, mais si les gens peuvent se promener au Cap Gris-Nez ou un peu partout sur le chemin littoral, c'est grâce à cette loi. On a exigé que les propriétaires privés laissent passer les gens sur ce chemin.
Le Centre national de la Mer, devenu Nausicaa, est né sous la présidence de Mitterrand. Avez-vous joué un rôle ?
On a fait partie des grands projets du septennat. Au-delà du Louvre ou de la grande bibliothèque FrançoisMitterrand, il y a eu quelques projets en province, dont ce Centre national de la Mer, appelé ensuite Nausicaa.
Quand j'étais au gouvernement, on a pu obtenir des financements, y compris de l'Europe. Le projet a coûté 14 millions de francs, et seulement 10% sont revenus à la ville de Boulogne-sur-Mer. C'est grâce à ma présence au gouvernement qu'on a pu débloquer des dossiers avec l’Union européenne.
Sans votre passage au sein du gouvernement, Boulogne-sur-Mer aurait-il bénéficié de ce Centre national de la Mer ?
On aurait fait quelque chose, mais pas de cette dimension. Ca a été le premier aquarium de France assez rapidement, avant d'être le plus grand d'Europe.
Le 26 avril 1983, quand Mitterrand revient à Boulogne-sur-Mer, quel a été l’accueil ?
Il a été très acclamé. En 1983 c'était encore la grande période de Mitterrand.
Je lui avais demandé de venir. On a visité quelques entreprises de Capécure, notamment l'entreprise du président des armateurs à la pêche de France. Il a fait un grand discours en mairie, dans lequel il a dit : "j'ai de l'amitié pour Boulogne, pour preuve votre maire, je l'ai fait entrer au gouvernement."
L’esprit de mai 81, celui de l’union de la gauche, peut-il renaître en vue de l’élection présidentielle de 2022 ?
Je crains que non. Je suis très pessimiste, c'est peut-être l'âge qui veut ça. A l'époque, l'union de la gauche, c'était trois partis (le PS, le Parti radical de gauche et le PC). Des gens engagés en politique depuis longtemps, des gens de terrain venant de partis anciens. Tandis qu'aujourd'hui, la gauche est écartelée.