Covid-19, un an après : "Ce bruit de fond, ces rires en terrasse...", les patrons de bar orphelins de leurs clients

Essouflés par les confinements et couvre-feux successifs, les gérants de bars et leurs employés peinent à voir le bout du tunnel. Un an après le début de la pandémie, les établissements ne peuvent toujours pas accueillir leur clientèle. Un crève coeur pour ces âmes de la nuit, à Boulogne-sur-Mer.

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Ce samedi soir dans le quartier du vieux Boulogne, la Cave de Monsieur Guy, un bar branché de la rue commerçante, est pleine à craquer. Un groupe de musique irlandais donne un concert à l'occasion de la Saint-Patrick. L'ambiance est festive.

L'annonce surprise du premier confinement

En terrasse, les verres tintent, à l'intérieur des clients dansent. Romain Postel, le gérant, n'imagine pas à cet instant que cette soirée serait la dernière du monde d'avant Covid. On est le 14 mars 2020, Edouard Philippe annonce lors d'une allocution télévisée la fermeture de tous les lieux publics "non indispensables".

Romain Postel est trop occupé à servir ses clients et ne suit pas le discours du Premier ministre. Il est aux alentours de 20 heures, et le patron ne sait pas encore qu'il devra fermer son établissement à minuit. Dehors, l'information se répand de terrasse en terrasse. L'ambiance reste chaleureuse et insouciante, mais la fête est en sursis.

"La police est passée à 23h30"

"C'est une cliente qui est entrée dans la bar dans la soirée et qui m'a dit : Tu as vu, ça y est !" Ca y est, ce qui pendait au nez des Français est arrivé. Le gouvernement saisit l'ampleur de la pandémie de Covid-19 qui jusqu'ici touchait nos voisins asiatiques puis italiens. Mais cette fois-ci, l'Etat serre la vis. Finis la bamboche. Et le 17 mars, soit le mercredi qui suit, les Français seront confinés chez eux.

Romain Postel décide d'allumer la télévision du bar "en fond". Toutes les chaînes en parlent, il faudra bel et bien fermer et mettre dehors tous ces gens. "La police est passée à 23h30, se rappelle-t-il. On a du raccourcir l'événement." À minuit, le rideau de la Cave de Monsieur Guy est tiré, comme dans tous les bistrots de France et de Navarre.

"Au début, on en rigolait, on se disait avec les collègues que c'était parti pour 15 jours de vacances, et on a même trinqué pour fêter ça ! Puis finalement..."

Romain Postel, gérant de la Cave de Monsieur Guy

Pourtant, la nouvelle n'entame pas l'humeur de l'équipe. "Au début, on en rigolait, on se disait avec les collègues que c'était parti pour 15 jours de vacances, et on a même trinqué pour fêter ça !, se remémore Romain. Puis finalement..." Installé dans le canapé feutré de son bar vide, il marque une pause : "Jamais je ne pensais qu'on serait encore fermé aujourd'hui."

Un an plus tard, "c'est vide, c'est triste"

Près d'un an plus tard, dans la rue de Lille, artère la plus vivante du vieux Boulogne-sur-Mer, où réside la Cave de monsieur Guy, la vie n'a pas repris. Ce mardi 16 mars, un peu après 18 heures, plus personne ne jonche les pavés carrés. "C'est vide, c'est triste, lâche Romain Postel. Les gens sont résignés." Les quatre bars que compte cette ruelle sont fermés. Couvre-feu oblige.

La journée, le gérant ouvre tout de même sa boutique, mais seulement pour de la vente à emporter, dans sa cave à vin et bières. "J'ai toujours une petite clientèle d'habitué", se réjouit-il. Rien de fulgurant toutefois. Le gros de son chiffre d'affaires, ce sont les consommations sur place. Là, les tireuses restent muettes.

"Je pense que le plus dur est passé, enfin j'espère."

Romain Postel, gérant de la Cave de Monsieur Guy

Malgré le trou dans la caisse, il s'en sort financièrement. Les aides de l'Etat lui permettant de payer ses charges. Puis l'été dernier a été "costaud". Le beau temps et les clients étaient au rendez-vous. Côté salaire, le dispositif de chômage partiel a permis jusqu'ici de payer ses quatre employés.

"Je pense que le plus dur est passé, avance Romain Postel. Enfin j'espère". À ce jour, aucune date de réouverture des bars et cafés a été officiellement communiquée, même si le gouvernement planche sur un calendrier de réouverture.

Café à emporter

Près de la place Dalton, à quelques rues de là, en cette matinée de marché, Tony Moreno a installé deux petites tables rondes à l'entrée de son bar. "Vente de café à emporter", inscrit à la craie blanche sur sa devanture noire. Le patron du Café del Medio regarde passer les badauds, la mine un peu déconfite.

Cela fait sept ans que cet ancien boxeur du Pas-de-Calais tient son rade, rue Saint-Nicolas. Il travaille dans ce genre d'établissements depuis 1999. "J'en ai connu des périodes compliquées, avec parfois de la neige pendant un mois, sans client, assure-t-il. Mais là, c'est du jamais-vu."

"Si j'avais 30 ans, avec mes dettes, je me serai pendu"

"5000 euros." Ce chiffre, c'est le déficit accumulé durant l'année 2020 par la petite entreprise de ce patron. Tony Moreno assure ne pas pouvoir prétendre aux différentes aides de l'Etat, à cause de sa situation d'endettement. L'argent, le nerf de la guerre, et la cause de ses ennuis.

Loyer, eau, électricité, droit de terrasse, etc. En ouvrant une fois par semaine, le mercredi, ce cafetier boulonnais ne peut couvrir ses frais. "Avant, je faisais un bon chiffre le samedi, mais depuis le confinement...". Comme une double peine, le Pas-de-Calais est confiné le week-end depuis le 4 mars. "Si j'avais 30 ans, avec mes dettes, je me serai pendu, assène-t-il. Mais à 50 ans, je vois les choses avec plus de recul."

À bout de souffle financièrement, Tony Moreno cherche actuellement un job de secours. "Je suis prêt à ramasser des pommes de terres s'il le faut", lâche ce gaillard, acculé par ses dettes.

"Les clients, le bruit, la musique", manquent à cet amoureux de la nuit. Faute de moyens, il a même stoppé son abonnement Deezer en janvier dernier. Il utilisait la plateforme pour lancer sa playlist de bar. Mais à quoi bon aujourd'hui ? Maintenant que la fête est finie.

"Aider nos cafetiers"

"Il faut les aider nos cafetiers." Nicolas, un client et ami de longue date de Tony Moreno, passe prendre un café, à emporter. Et des nouvelles, pour réconforter. À lui aussi, ce cinquantenaire, les petits rituels manquent : "se retrouver au bar avec les copains, le samedi matin, après le marché." Pareil au travail : "entre deux visites, quand j'avais une pause, je prenais un café. Maintenant, j'attends dans ma voiture."

"Ce bruit de fond des bars, ces rires en terrasse, les couverts qui claquent..."

À la sortie du marché, l'adjoint au commerce et au tourisme de Boulogne-sur-Mer vient saluer Tony Moreno. Grégory Suslamare a été élu lors des dernières élections municipales, en pleine crise du Covid-19. Il en rigole : "Je ne pouvais pas mieux tomber." Lui aussi préférait sa ville animée par "ce bruit de fond des bars, ces rires en terrasse, les couverts qui claquent..." Un lointain souvenir, cela fait cinq mois que les établissements sont clos.

Garder le lien

Face à la difficulté des commerçants, il dit "essayer de les appeler régulièrement" pour garder le lien. Et rappelle qu'une cellule d'écoute économique a été ouverte dans l'agglomération boulonnaise pour leur venir en aide si besoin. Même s'il reconnaît : "le confinement le week-end, c'est chaud..."

Les deux hommes évoquent une hypothétique date de réouverture mi-avril. Nul ne sait vraiment. "Nous aussi on découvre à la télévision ce que va dire le Premier ministre", tient à rappeler Grégory Suslamare, qui dit travailler à une future reprise avec l'Union des commerçants.

À sa connaissance, aucun établissement de Boulogne a mis la clé sous la porte au cours de cette crise. Pourtant, le gérant du Gordon Pub, Cédric Rivet, n'est pas certain de pouvoir rouvrir son établissement à la sortie de cette crise. "Il y a très peu de chance", dit-il. Après 20 ans de métier, l'homme est déboussolé : "je me bats depuis trois mois avec les impôts, car les aides me sont refusées..."

Combien de bars et cafés ne se relèveront pas de cette année sacrifiée ? Difficile à dire, et les avis divergent sur la question. Romain Postel, espère que tout repartira avec un bel été. Tony Moreno, lui, ne "passera pas le mois de juin" si l'activité ne repart pas.

Les galères des employés

Si les patrons de bars payent un lourd tribut dans cette crise, les employés ne sont pas épargnés. Privés de travail, ils sont nombreux à avoir changé de voies en catastrophe. Corentin Quentin, 23 ans, en fait partie. Barman jusqu'au deuxième confinement, il travaille désormais dans les cuisines d'un restaurant.

Ce diplômé de CAP en café-brasserie a quitté son job dans un bar de Boulogne au début du mois d'octobre, car son contrat de travail avait été rogné à cause du Covid-19. 25 heures au lieu de 35 heures pendant l'été. Trop petit salaire et "mauvaise ambiance de travail", le jeune homme avait choisi de démissionner.

"Le métier de serveur me manque, je sais que je suis fait pour ça. Quand je me levais, je savais que c'était pour faire plaisir aux clients."

Corentin Quentin, serveur de 23 ans.

Il poursuit de suite sur un contrat dans un bistrot chic. Après sa période d'essai, le patron lui fait une promesse d'embauche. Seulement voilà, les rumeurs d'un reconfinement bruissent, et se confirment avec un reconfinement le 29 octobre 2020, à minuit. Le gérant ne peut garder Corentin. Il se retrouve sans chômage partiel, sans aide : "C'était galère, heureusement qu'il y avait ma copine, sinon j'allais tomber en dépression."

L'usine comme alternative

"Le Covid, ça m'a foutu une grosse claque, confie-t-il. Je suis vite monté et très vite redescendu." Durant trois mois, il se retrouve sans salaire, broie du noir dans son appartement, prend 15 kilos. "À ce moment là, j'ai appelé toutes les agences d'interim pour trouver un petit job." Il termine dans une usine de crevettes. "Horrible."

"Je ne suis pas le seul comme ça", relativise Corentin Quentin. Aujourd'hui, il espère vite retrouver son métier de formation, car la cuisine ça n'est pas son dada. "Le métier de serveur me manque, je sais que je suis fait pour ça, livre le jeune homme. Quand je me levais, je savais que c'était pour faire plaisir aux clients."

"Les tireuses sont prêtes"

Aujourd'hui, un an après le début de la crise du Covid-19, les bars, les cafés et celles et ceux qui les font vivre, sont partagés entre espoir et résignation. Les clients retrouveront-ils leurs habitudes ? Les patrons pourront-ils retrouver assez de saissonnier ? Les questions restent en suspens. "Mais les tireuses sont prêtes à repartir", assure Romain Postel.

 

Soignants, malades, commerçants, employés de supermarché, artistes, élus ou encore parents : nous les avions rencontrés il y a un an. Aujourd’hui ils nous racontent leur année Covid. Pour les découvrir, cliquez sur un point, zoomez sur le territoire qui vous intéresse ou chercher la commune de votre choix avec la petite loupe. 

 

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