C'est une coutume ancienne et mystérieuse : chaque veille de Noël, les enfants boulonnais et picards taillaient les betteraves sucrières pour en faire des lanternes, appelées "guénels". Ils les présentaient ensuite à la ville, en échange de friandises. Une tradition qui remonte au Moyen Âge et qui perdure aujourd'hui sous forme de concours.
À Boulogne-sur-Mer et en Picardie, on ne vide pas les citrouilles, mais les betteraves sucrières. Chaque année, la veille de Noël, les enfants avaient pour coutume de sculpter ces betteraves puis de se promener avec, après y avoir glissé une bougie. Ils chantaient, de porte en porte, pour récolter quelques friandises et des pièces de monnaie. La betterave est alors baptisée "guénel" et l'étrange tradition "fête des guénels".
Mais d'où vient cette coutume, que l'on retrouve, avec quelques variables, dans le Boulonnais, la Picardie et la Wallonie ?
Une origine pas clairement établie
Les guénels trouvent leur origine dans un passé ancestral dont il est difficile de définir précisément la genèse, mais cette tradition remonterait au Moyen Âge.
L'origine du mot se prête à plusieurs interprétations. "Guénel" serait la contraction des mots "Gai Noël", ou dérivée de la "Ganaye", part de poissons que le patron donnait à chaque marin lors du retour à terre. Il pourrait signifier aussi "Au gui l'an neuf" (proche du nouvel an).
C'est à Boulogne-sur-Mer que la tradition aurait pris ses racines. Une légende locale raconte qu'un petit garçon appelé "Petit Pierre", issu d'une famille très pauvre et qui ne voulait pas passer Noël sans nourriture, avait défié les dangers de la nuit muni d'une lanterne taillée dans une betterave, pour aller mendier au château du seigneur local.
Même si la fête des guénels a lieu au mois de décembre à Boulogne-sur-Mer, difficile de ne pas voir les similitudes avec la fête d'Halloween lorsque le 31 octobre, les enfants irlandais se baladaient, en référence au personnage mythique de Jack O'Lantern, avec des navets sculptés en forme de tête, dans lesquels ils disposaient une petite chandelle. Navet... Betterave.. Même racine ?
Une chanson folklorique
Comme toute bonne fête populaire, une chanson accompagne la célébration. La quête des enfants se faisait sur un air qui s'identifie en partie à celui d' Au clair de la lune.
"Ô guénel, guénel, tou petou petiou,
Lavez vos écuelles et léquez vos plats !
Si vô filles sont belles, on les mariera
Si elles sont pon belles, on les laissera là ! et tra la la.
l’ bon Diu pass’ra par là !
Il dira qu’ô qu’té fais là ?
Je cueille des violettes
Pour mes ‘tites fillettes
Et j’jue du violon, pour les tits garçons !"
Les paroles varient légèrement selon les territoires et sont soumises elles aussi à des adaptations au fil des âges. Il y a quelques années, le premier couplet a été remplacé par les vers suivants : Au Guénel grand-père Barbot Il a un ventre comme un tonneau Au Guénel, Guénel tioup et tioup et tioup"...
"Ce grand-père Barbot était une figure locale du début du siècle. On affirme qu'il a existé, qu'il tenait un café dans le centre de la ville et qu'il avait "un ventre comme un tonneau" parce qu'il avait, paraît-il, "mangé trop d'haricots"", explique Bernard Coussée dans les Légendes et croyances en Boulonnais et pays de Montreuil.
Chaque année, la ville d'Etaples-sur-mer organise un concours de "beauté" des guénels :
Une fête qui se réinvente
"Vous n'ignorez pas que les traditions ont tendance à se perdre et qu'il est difficile de les maintenir vivaces. Ce que nous essayons de faire au Portel c'est tout simplement de permettre à une ancienne tradition de tenir le coup le plus longtemps possible", confie le maire de la ville dans ce reportage diffusé le 16 janvier 1962. Pour que la tradition perdure, la quête des enfants munis de leur guénel a laissé place dans certaines communes au concours de la plus belle guénel.
"Un premier concours a été organisé par le journal Le Boulonnais en 1906 pour réveiller une antique tradition qui tombait en désuétude . L’organisation de ces concours que l’on peut considérer comme artistiques va perdurer après-guerre (...) D’aucuns diront que le guénel a perdu de sa modestie originelle, même si cela a permis à cette tradition typiquement boulonnaise de perdurer" , confie Maxime Blamangin responsable des fonds iconographiques et expositions des archives municipales de Boulogne-sur-Mer.
En 1914, René Bazin publie Gingolph l'abandonné, roman racontant la vie des pêcheurs du littoral boulonnais à la fin du XIXe siècle. Le livre ouvre sur la fin de journée le 24 décembre et le jeune héros Gingolph part dans les rues de Boulogne chanter la chanson des guénels.
Fiers que cette tradition perdure, les habitants du boulonnais en revendiquent aujourd'hui la paternité, mais le mystère reste entier.